Mircea Eliade: "Cycles cosmiques et histoire"

"Même dans le cadre des trois grandes religions iranienne, juive et chrétienne, qui ont limité la durée du cosmos à un certain nombre de millénaires, et affirment que l'histoire cessera définitivement in illo tempore, il reste des traces de l'antique doctrine de la régénération périodique de l'histoire » : Doctrine très ancienne qu'Eliade, dans son essai « Le mythe de l'éternel retour », retrouve dans la tradition babylonienne, hindoue, bouddhique, germanique et hellénique.


di Mircea Eliade
prélevé "Le mythe de l'éternel retour", 1949, chap. III, "" Douleur "et" histoire ""

 

Jamais le sens acquis par "l'histoire" dans le contexte des diverses civilisations archaïques ne nous est révélé aussi clairement que dans le théorie du "grand temps", c'est-à-dire des grands cycles cosmiques […]. Il faut en reparler, car dans ce cas deux orientations distinctes se précisent pour la première fois : celle traditionnelle, prévue (sans jamais être clairement formulée) dans toutes les cultures « primitives », celle de temps cyclique qui se régénère périodiquement À l'infini; l'autre, "moderne", de temps fini, fragment (bien que cyclique aussi) entre deux infinis intemporels.

Presque partout ces théories du « grand temps » se retrouvent en conjonction avec le mythe des âges ultérieurs, puisque L'"âge d'or» se trouve toujours au début du cycle, près duillu tempus paradigmatique. Dans les deux doctrines - celle du temps cyclique infini et celle du temps cyclique limité - cet âge d'or est récupérable, c'est-à-dire qu'il est répétable une infinité de fois dans la première doctrine, une seule fois dans l'autre. Nous retenons ces faits non pour leur intérêt intrinsèque, sans doute considérable, mais pour éclairer le sens de « l'histoire » du point de vue de chaque doctrine. Nous commencerons par Tradition hindoue, parce que précisément en elle le mythe de l'éternelle répétition a trouvé sa formulation la plus audacieuse.

La croyance en la destruction et dans la création périodique de l'univers est déjà dans leAtharva Veda (10,8, 39-40). La préservation d'idées similaires dans le Tradition germanique (conflagration universelle, ragnarok, suivi d'une nouvelle création) confirme la structure indo-aryenne de ce mythe, qui peut donc être considéré comme l'une des nombreuses variantes de l'archétype [...] (d'éventuelles influences orientales sur la mythologie germanique ne détruisent pas nécessairement l'authenticité et le caractère autochtone du mythe de ragnarok. En revanche, il serait difficile d'expliquer pourquoi les Indo-Aryens n'ont pas, dès leur préhistoire commune, partagé également la conception du temps avec les autres « primitifs »).

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Carl Emil Doepler, "Ragnarök", 1905

Spéculation hindoue, Cependant, il amplifie et orchestre les rythmes qui commandent la périodicité des créations et des destructions cosmiques. L'unité de mesure du plus petit cycle est lo yuga, l'âge". Une yuga il est précédé et suivi d'une "aube" et d'un "crépuscule" qui unissent les "âges". Un cycle complet, ou mahayuga, est composé de quatre "âges" de durée inégale, avec l'âge le plus long au début et le plus court à la fin. Ainsi le premier "âge", le krita-yuga, elle dure quatre mille ans, plus quatre cents ans d'"aube" et autant de "crépuscule" ; alors suivez treta-yuga, trois mille ans, dvapara-yuga de deux mille ans e kali-yuga de mille ans (plus, bien sûr, les "aurores" et "crépuscules" correspondants). Donc un mahayuga dure douze mille ans (Manu, 1, 69 sq. ; Mahabharata, 3. 12. 826).

Aux diminutions progressives de la durée de chaque nouvelle yuga correspond, sur le plan humain, à une diminution de la durée de vie, accompagné d'un relâchement des mœurs et d'une baisse de l'intelligence. Cette décadence se poursuit à tous les niveaux - biologique, intellectuel, éthique, social, etc. - acquiert plus d'importance dans les textes puraniques (cf. par exemple Vayu Purana, 1,8; Vishnu Purâna, 6,3). Le passage d'un yuga à l'autre se produit, comme nous l'avons vu, au cours d'une "crépuscule" qui marque une décroissance à l'intérieur de chacun aussi yuga, car chacun d'eux se termine par une période d'obscurité. Alors que nous approchons de la fin du cycle, c'est-à-dire la fin du quatrième et dernier yuga, les "ténèbres" s'approfondissent. Il Kali Yuga, celui dans lequel nous nous trouvons actuellement, est considéré précisément comme "l'âge des ténèbres". Le cycle complet se termine par une "dissolution", une Pralaya, qui se répète de manière plus radicale (mahapralaya, la "grande dissolution") à la fin du millième cycle.

H. Jacobi croit à juste titre que, dans la doctrine originelle, on yuga cela équivalait à un cycle complet comprenant la naissance, "l'usure" et la destruction de l'univers. D'autre part, une telle doctrine était plus proche de mythe archétypal, de structure lunaire […]. La spéculation ultérieure n'a fait qu'élargir et reproduire à l'infini le rythme primordial "Création-destruction-création", projetant l'unité de mesure, lo yuga, dans des cycles de plus en plus grands. Les douze mille ans d'un mahayuga elles ont été considérées comme des « années divines », chacune d'une durée de trois cent soixante ans, ce qui donne un total de 4.320.000 XNUMX XNUMX ans pour un seul cycle cosmique. Un millier d'entre eux mahayuga constituer un Kalpa; 14 Kalpa former un manvantara.

Un Kalpa cela équivaut à un jour dans la vie de Brahma ; une autre Kalpa à une nuit. Une centaine d'entre eux "Années" de Brahma constituent sa vie. Mais cette durée considérable de la vie de Brahma ne s'épuise pourtant pas, puisque les dieux ne sont pas éternels et les créations et destructions cosmiques se succèdent à l'infini (par contre, d'autres systèmes de calcul allongent encore beaucoup plus les durées correspondantes). De toute cette avalanche de chiffres, il suffit de rappeler le caractère cyclique du temps cosmique. En effet, nous assistons à la répétition infinie du même phénomène (création-destruction-récréation) pressentiment dans chacun yuga ("Aube" et "crépuscule"), mais entièrement réalisé par un mahayuga. La vie de Brahma comprend donc 2.560.000 XNUMX XNUMX de ces mahayuga, et chacun d'eux reprend les mêmes étapes (craie, connerie, dvapara, kali) et se termine par un Pralayaune ragnarok (la destruction "définitive", au sens d'une régression de toutes les formes en une masse amorphe qui se passe à la fin de chaque Kalpa au moment de la mahapralaya).

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Représentation graphique de la doctrine hindoue des yugas

En plus de dépréciation métaphysique de l'histoire - qui, en proportion et par le seul fait de sa durée, provoque une érosion de toutes les formes, épuisant leur substance ontologique - et en plus de la mythe de la perfection des commencements, que l'on retrouve ici aussi (le mythe du paradis qui se perd peu à peu, pour le simple fait qu'il se réalise, se dessine et perdure), mérite d'arrêter notre attention, dans cette orgie des nombres, l'éternelle répétition du fondamental rythme du cosmos : sa destruction et sa recréation périodiques. L'homme ne peut se détacher de ce cycle sans début ni fin qu'avec un acte de liberté spirituelle (puisque toutes les solutions sotériologiques hindoues se résument à une libération préalable de l'illusion cosmique et à la liberté spirituelle).

Les deux grandes hétérodoxies, il bouddhisme et jaïnisme, accepter dans ses grandes lignes la même doctrine pan-hindoue du temps cyclique et la comparer à une roue à douze rayons (cette image est déjà utilisée dans les textes védiques, cf. Atharva Veda, 10,8,4; Rig Veda, 1,164,115 XNUMX XNUMX, etc). Le bouddhisme adopte l'unité de mesure des cycles cosmiques Kalpa (pàli : kappa), divisé en un nombre variable de "Incalculable" (asamkheyya, pàli : asankheyya). Les sources pali parlent généralement de quatre asankheyya et cent mille kappa (voir par exemple Jataka, 1, p. 2); Dans la littérature mahayànica, le nombre des "incalculables" varie entre 3, 7 et 33, et sont liés au cheminement du Bodhisattva dans les différents cosmos.

Le déclin progressif de l'homme est marqué dans la tradition bouddhique par une diminution continue de la durée de la vie humaine. Alors, deuxième Dighanikaya, 2,2-7, à l'époque du premier Bouddha, Vipassi, qui fit son apparition 91 kappa or, la durée de la vie humaine était de 80.000 31 ans ; à celle du deuxième Bouddha, Sikhi (XNUMX kappa ou ont) 70.000 XNUMX ans, et ainsi de suite. Le septième Bouddha, Gotama, apparaît alors que la vie humaine n'a que cent ans, c'est-à-dire qu'elle est réduite à son extrême limite. (on retrouvera le même motif dans les apocalypses iraniennes et chrétiennes). Ainsi, pour le bouddhisme, comme pour toute spéculation hindoue, le temps est illimité ; Et le Bodhisattva s'incarnera, pour annoncer la bonne nouvelle du salut, pour tous les êtres, dans l'éternité.

La seule possibilité de sortir du temps, de briser le cercle de fer des existences, c'est l'abolition de la condition humaine et la conquête de Nirvana. D'autre part, tous ces "incalculables" et tous ces éons innombrables ont aussi un fonction sotériologique; la simple contemplation de leur paysage terrifie l'homme et l'oblige à se convaincre qu'il doit recommencer cette même existence évanescente des milliards de fois et endurer les mêmes souffrances sans fin, ce qui a pour effet d'exacerber sa volonté d'évasion, c'est-à-dire de repousser lui à transcender définitivement sa condition "existante".

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Représentation bouddhiste traditionnelle de la « roue des existences » et du Grand Temps (« Maha-Kala ») représentée dans la fonction de dévoreur (similaire au Kronos hellénique et au Zurvan iranien)

Les spéculations hindoues sur le temps cyclique montrent "Refus de l'histoire". Nous soulignons cependant une différence fondamentale entre ces conceptions et les conceptions archaïques ; tandis que l'homme des cultures traditionnelles rejette l'histoire par l'abolition périodique de la création, revivant ainsi sans cesse l'instant intemporel de ses débuts, l'esprit hindou, dans ses tensions suprêmes, avilit et rejette aussi cette réactualisation du temps auroral, qui n'y voit plus une solution efficace au problème de la souffrance. La différence entre la vision védique (donc archaïque et « primitive ») et la vision mahayana du cycle cosmique est, pour reprendre une formule sommaire, la même qui distingue la position anthropologique archétypale (traditionnelle) de la position existentialiste (historique).

Il karma, loi de causalité universelle, qui, justifiant la condition humaine et expliquant l'expérience historique, aurait pu être un générateur de consolation pour la conscience hindoue pré-bouddhiste, devient avec le temps le le symbole même de "l'esclavage" de l'homme. Pour cette raison, dans la mesure où la libération de l'homme est proposée, toutes les métaphysiques et techniques hindoues cherchent l'annulation de la karma. Mais si les doctrines des cycles cosmiques n'étaient qu'une explication de la théorie de la causalité universelle, nous serions dispensés de les mentionner ici. La conception des quatre yuga en fait, il apporte un élément nouveau : l'explication (et par conséquent la justification) des catastrophes historiques, de la décadence progressive de la biologie humaine, de la sociologie, de l'éthique et de la spiritualité.

Le temps, par le simple fait qu'il a duré, aggrave continuellement la condition cosmique et implicitement la condition humaine. Pour le simple fait que nous vivons actuellement dans Kali Yuga, donc dans un "âge de ténèbres", qui progresse sous le signe de la désintégration et doit se terminer en catastrophe, notre destin est de souffrir plus que les hommes des "âges" précédents. Or, dans notre moment historique, nous ne pouvons pas nous consacrer à autre chose : tout au plus (et nous entrevoyons ici la fonction sotériologique de Kali Yuga et les privilèges que nous réserve une histoire crépusculaire et catastrophique), nous pouvons se libérer de la servitude cosmique.

La théorie hindoue des quatre âges est donc vivifiante et consolante pour l'homme terrifié par l'histoire. En effet : 1) d'une part les souffrances qui lui sont assignées, puisqu'il est contemporain de la décomposition crépusculaire, l'aident à comprendre la précarité de sa condition humaine et ainsi faciliter sa libération ; 2) d'autre part, la théorie valide et justifie les souffrances de ceux qui ne choisissent pas de se libérer, mais se résignent à endurer leur existence, et cela est dû au fait qu'ils sont conscients de structure dramatique et catastrophique du temps dans lequel il a été donné de vivre (ou, plus exactement, revivre).

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Bouddhiste "roue des existences"

Nous nous intéressons particulièrement à cette seconde possibilité pour l'homme de se situer dans un "âge de ténèbres" et en fin de cycle ; en fait, on le retrouve dans d'autres cultures et dans d'autres moments historiques. Supporter d'être contemporain d'une époque désastreuse, prendre conscience de la place occupée par cette époque dans la trajectoire descendante du cycle cosmique, c'est une attitude qui devait surtout montrer son efficacité au crépuscule de la civilisation gréco-orientale. Nous n'avons pas à traiter ici des nombreux problèmes soulevés par les civilisations hellénistiques orientales. Le seul aspect qui nous intéresse est la situation que l'homme de ces civilisations découvre face à l'histoire, et plus précisément face à l'histoire qui lui est contemporaine.

Pour cela nous ne nous attarderons pas sur l'origine, la structure et l'évolution des différents systèmes cosmologiques, dans lesquels le mythe antique des cycles cosmiques est repris et approfondi, ni sur leurs conséquences philosophiques. Nous ne retiendrons ces systèmes cosmologiques - du Présocratique au Néo-Pythagoricien - que dans la mesure où ils donnent une réponse au problème suivant : quel est le sens de l'histoire, c'est-à-dire de l'ensemble des expériences humaines causées par des fatalités géographiques, par des structures sociales, par des conjonctures politiques, etc. ?

Notons d'emblée que ce problème n'avait de sens que pour une toute petite minorité à l'époque des civilisations hellénistico-orientales, que pour ceux qui se trouvaient détachés de l'horizon de la spiritualité archaïque. L'écrasante majorité de leurs contemporains vivaient encore, surtout au début, sous le régime des archétypes; il n'en sortira que très tardivement (et peut-être jamais définitivement, comme c'est le cas, par exemple, pour les sociétés agricoles), lors de fortes tensions historiques provoquées par Alexandre et qui ne prendront fin qu'avec la chute de Rome. Mais les mythes philosophiques et les cosmologies plus ou moins scientifiques développés par cette minorité, qui commence par i pré-socratiques, avec le temps il connaît une immense diffusion. Ce qui était une gnose difficile d'accès au Ve siècle av. J.-C., devient, quatre siècles plus tard, une doctrine qui réconforte des centaines de milliers d'hommes, comme en témoignent par exemple les néo-pythagorisme et le néostoïcisme dans le monde romain. Certes, nous nous intéressons à toutes ces doctrines grecques et gréco-orientales, fondées sur le mythe des cycles cosmiques, pour le "succès" qu'elles ont obtenu plus tard et non pour leur mérite intrinsèque.

Ce mythe était encore transparent dans les premières spéculations présocratiques. Anaximandre sait que toutes choses naissent et reviennent àapeiron. Empédocle explique avec la suprématie alternée des dieux deux principes opposés philia e Neikos les créations et destructions éternelles du cosmos (cycles dans lesquels on peut distinguer quatre phases, quelque peu analogues aux quatre "incalculables" de la doctrine bouddhique). La conflagration universelle […] est aussi acceptée par Héraclite. Quant à "l'éternel retour" - la reprise périodique par tous les êtres de leurs existences antérieures - il y a là un des rares dogmes dont on sache, avec quelque certitude, qu'ils appartenaient à Pythagorisme primitif (Dicearco, cité par Porphyre, La vie de Python., 19). Enfin, d'après des recherches récentes, admirablement menées et synthétisées par J. Bidez, il semble de plus en plus probable qu'au moins certains éléments du système platonicien soient d'origine irano-babylonienne.

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Jean-Auguste Ingres, "L'âge d'or", 1862

Nous reviendrons sur ces possibles influences orientales ; pour l'instant nous nous concentrons sur l'interprétation par Platon du mythe du retour cyclique, plus précisément dans le texte fondamental, le Politico, 269c et suiv. Platon trouve la cause de la régression et des catastrophes cosmiques dans un double mouvement de l'univers, de "... cet univers, qui est le nôtre... tantôt la divinité guide l'ensemble de sa résolution circulaire, tantôt elle l'abandonne à elle-même, une fois que les révolutions ont atteint en durée la mesure qui appartient à cet univers ; il recommence alors à tourner en sens inverse, de son propre mouvement… ».

Le changement de direction s'accompagne cataclysmes gigantesques: "Les destructions les plus considérables, tant chez les animaux en général que chez l'humanité, dont, comme il se doit, ne survivent qu'un petit nombre de représentants" (270c). Mais cette catastrophe est suivie de une "régénération" paradoxale. Les hommes commencent à rajeunir; « Les cheveux blancs des vieillards redeviennent noirs », etc., tandis que ceux qui étaient à la puberté commencent à diminuer de jour en jour de stature, pour revenir aux dimensions du nouveau-né, jusqu'à, « en continuant à s'user désormais , ils seront totalement anéantis. Les cadavres de ceux qui sont morts ont ensuite "disparu complètement, sans laisser de traces visibles, en un petit nombre de jours" (270e).

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Puis la race des "enfants de la terre" est née (gégeneis), dont le souvenir a été conservé par nos ancêtres (27la). Dans ce'ère de Cronos il n'y avait ni animaux sauvages ni inimitiés entre animaux (27le). Les hommes de cet âge n'avaient ni femmes ni enfants : « En quittant la terre, ils revinrent tous à la vie, sans avoir conservé aucun souvenir des conditions antérieures de leur existence ». Les arbres leur donnaient des fruits en abondance et ils dormaient nus sur le sol, n'ayant pas besoin de lits, car alors les saisons étaient douces (272a).

Le mythe du paradis primordial, évoqué par Platon, transparent dans les croyances hindoues, est connu aussi bien des Juifs (par exemple, illu tempus messianique dans Is. 11,6,8; 65,25) et des traditions iranienne (Dinkard, 7,9,3-5, etc.) et gréco-latine. En revanche, il s'inscrit parfaitement dans la conception archaïque (et probablement universelle) de "Débuts célestes", que l'on retrouve dans toutes les améliorations deillu tempus primordial. Il n'est guère surprenant que Platon reproduise de telles visions traditionnelles dans les dialogues de sa vieillesse ; l'évolution même de sa pensée philosophique l'oblige à retrouver les catégories mythiques. Il avait certainement sous la main le souvenir de "l'âge d'or" de Cronos dans la tradition hellénique (voir par exemple les quatre âges décrits par Hésiode, Erga, 110 sq.).

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Jacopo Zucchi, "L'âge d'or", 1565

De plus, cette observation ne nous empêche nullement de reconnaître, même en Politique, certain Influences babyloniennes; quand, par exemple, Platon attribue les cataclysmes périodiques aux révolutions planétaires, explication que certaines recherches récentes dérivent des spéculations astronomiques babyloniennes, plus tard rendues accessibles au monde hellénique par babylonien di Bérose. Selon le Timée, les catastrophes partielles sont dues à la déviation planétaire (cf. Timée, 22e et 23e, déluge rappelé par le prêtre de Saïs), tandis que le moment de la réunion de toutes les planètes est celui du "temps parfait" (Timée, 39d), c'est-à-dire à la fin de la "grande année". Comme le note J. Bidez, "L'idée qu'il suffit que les planètes se mettent toutes en conjonction pour provoquer un renversement universel est certainement d'origine chaldéenne". D'autre part, Platon semble également connaître la conception iranienne, selon laquelle ces catastrophes ont pour but la purification de l'humanité (Timée, 22j).

Les stoïciens ils ont repris les spéculations sur les cycles cosmiques pour leurs fins, insistant à la fois sur la répétition éternelle (par exemple, Chrysippe, frag. 623-627), et sur le cataclysme, ekpyrose, avec laquelle se terminent les cycles cosmiques (déjà selon Zénon, fragments 98 et 109 von Arnim). Inspiré d'Héraclite, ou directement de la gnose orientale, le stoïcisme vulgarise toutes ces idées par rapport à la "Excellente année" et avec l' feu cosmique (ekpyrose), qui met périodiquement fin à l'univers pour le renouveler. Au fil du temps, les raisons de « l'éternel retour » et de la fin du « monde » finissent par dominer toute la culture gréco-romaine. La renouvellement périodique du monde (métacosmésie) c'était en revanche une doctrine privilégiée des néo-pythagorisme, qui, comme l'a montré J. Carcopino, partageait avec le stoïcisme les suffrages de la totalité de la société romaine des IIe et Ier siècles av. de l'apocatastase (le terme pénètre dans le monde hellénique après Alexandre le Grand), sont deux positions philosophiques qui laissent entrevoir une attitude anti-historique très ferme, et aussi une volonté de défense contre l'histoire. Nous allons nous concentrer sur chacun d'eux.

Nous avons observé [...] que le mythe de l'éternelle répétition, tel que réinterprété par la spéculation grecque, a le sens de tentative suprême d'« étatisation » du devenir, deannihilation de l'irréversibilité du temps. Puisque tous les instants et toutes les situations du cosmos se répètent indéfiniment, leur évanescence finit par se révéler apparente ; dans la perspective de l'infini, chaque instant et chaque situation restent immobiles et acquièrent ainsi le régime ontologique de l'archétype. Ainsi, parmi toutes les formes de devenir, le devenir historique est aussi saturé d'être. Du point de vue de l'éternelle répétition, les événements historiques sont transformés en catégories et ainsi ils retrouvent le régime ontologique qu'ils possédaient dans l'horizon de la spiritualité archaïque. En un sens, on peut aussi dire que la théorie grecque de l'éternel retour est la dernière variante du mythe archaïque de la répétition d'un geste archétypal, tout comme la doctrine platonicienne des idées était la dernière version de la conception archétypale, et même la le plus élaboré. Il est à noter que ces deux doctrines ont trouvé leur pleine expression à l'apogée de la pensée philosophique grecque.

Mais surtout mythe de l'embrasement universel il a obtenu un succès notable dans tout le monde grec oriental. Il semble de plus en plus probable que le mythe d'une fin du monde par le feu, dont les bons sortiront indemnes, est de Origine iranien (voir par exemple Bundhishhn, 30,18), du moins sous la forme connue des « mages occidentaux » qui, comme l'a démontré Cumont, la répandirent en Occident. Le stoïcisme, le Oracles sibyllins (par exemple, 2,253 XNUMX) et la littérature judéo-chrétienne font de ce mythe la base même de leur apocalypse et de leur eschatologie. Aussi curieux que cela puisse paraître, ce mythe était réconfortant ; en fait, le feu renouvelle le monde, à travers lui un « nouveau monde sera restauré, soustrait à la vieillesse, à la mort, à la décrépitude et à la putréfaction, qui vivra éternellement, qui grandira éternellement, lorsque les morts ressusciteront, l'immortalité sera donnée aux vivants et le monde se renouvellera, selon les vœux" (Yacht, 19,14,89, XNUMX, XNUMX, trad. Darmesteter). C'est donc un apocatastase dont les bons n'ont rien à craindre. La catastrophe finale mettra fin à l'histoire, et réintégrera ainsi l'homme dans l'éternité et la béatitude.

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John Martin, "Le grand jour de la colère du Seigneur", 1853

Les recherches récentes de F. Cumont et HS Nyberg sont venues éclaircir un peu l'obscurité de l'eschatologie iranienne et éclairer ses influences sur l'apocalypse judéo-chrétienne. Comme l'Inde (et, dans un sens, la Grèce), L'Iran connaissait le mythe des quatre âges cosmiques. Un texte mazdéen perdu, le Sudkarnask (dont le contenu a été conservé dans Dìnkart, 9, 8), parlait de quatre âges : or, argent, acier et "fer mixte". Les mêmes métaux sont mentionnés au début de Bahman-yasht (1,3), qui cependant peu après (2,14) décrit une arbre cosmique à sept branches (d'or, d'argent, de bronze, de cuivre, d'étain, d'acier et d'un "mélange de fer"), qui correspond à la septuple histoire mythique des Perses. Cette ebdomada cosmique est sans doute constituée en relation avec les doctrines astrologiques chaldéennes dans lesquelles chaque planète "domine" un millénaire.

Mais le mazdéisme avait proposé une durée de 9000 ans (3 × 3000) pour l'univers bien avant, alors qu'il zervanisme, comme l'a montré Nyberg, a ramené la limite supérieure de la durée de vie de cet univers à 12.000 XNUMX ans. Dans les deux systèmes iraniens - comme d'ailleurs dans toutes les doctrines des cycles cosmiques - le monde finira par le feu et l'eau, / pyrosime et cataclysme, comme l'écrira plus tard Firmicus Maternus (3,1). Que dans le système Zervanite le "temps illimité", Zrvan Akarana continuez et suivez les 12.000 XNUMX ans de "temps limité" créés par Ormazd ; que dans ce système « le temps est plus puissant que les deux créations » (Bundhishhn, ch. l), c'est-à-dire des créations de Ormazd et Ahriman; que par conséquent Zrvan akarana il n'a pas été créé par Ormazd et ne lui est donc pas subordonné - ce sont là des problèmes que nous pouvons nous dispenser d'aborder ici. Nous voulons juste souligner que dans la conception iranienne, qu'elle soit ou non suivie d'un temps infini, l'histoire n'est pas éternelle ; il ne se répète pas, mais finira un jour par le travail d'un ekpyrose et un cataclysme eschatologique, puisque la catastrophe finale, qui mettra fin à l'histoire, sera en même temps un jugement sur cette histoire. Donc - dans illo tempore - tous rendront compte de ce qu'ils ont fait "dans l'histoire" et seuls ceux qui ne sont pas coupables connaîtront la béatitude et l'éternité.

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Windisch a montré l'importance de ces idées mazdéennes pour l'apologiste chrétien Lactance. Le monde a été créé par Dieu en six jours, et le septième s'est reposé ; pour cela, le monde durera six éons, pendant lesquels « le mal vaincra et triomphera » sur terre. Au cours du septième millénaire, le prince des démons sera enchaîné et l'humanité connaîtra mille ans de repos et de justice complète. Après cela, le diable se libérera de ses chaînes et reprendra la guerre contre les justes ; mais finalement il sera vaincu et, au début du huitième millénaire, le monde sera recréé pour l'éternité. Evidemment cela subdivision de l'histoire en trois actes et huit millénaires elle était également connue des Chiliastes chrétiens, mais sa structure iranienne ne fait pas de doute, même si une vision eschatologique similaire de l'histoire a été diffusée dans tout l'Orient méditerranéen et dans l'Empire romain par les gnoses gréco-orientales.

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John Martin, "La destruction de Pompéi et d'Herculanum", 1822

Une série de calamités annoncera l'approche de la fin du monde et la première d'entre elles sera la chute de Rome et la destruction de l'Empire romain, une prédiction courante dans leapocalypse judéo-chrétienne, mais qui était également connue des Iraniens. Par contre, le syndrome apocalyptique est commun à toutes ces traditions. Lactance, tout comme le Bahman-yasht, annonce que "L'année sera raccourcie, le mois diminuera, et le jour se contractera", vision de la détérioration cosmique et humaine que l'on a aussi trouvé en Inde (où la vie humaine passe de 80.000 100 à XNUMX ans) et que le doctrines astrologiques ils se sont popularisés dans le monde grec oriental. Alors les montagnes s'effondreront et la terre deviendra lisse, les hommes aspireront à la mort, ils envieront les morts, et seul un dixième d'entre eux survivra.

"C'est un moment", écrit Lactance (Institut., 7,17, 9), "dans lequel la justice sera rejetée et l'innocence sera odieuse, où les méchants exerceront leurs vols hostiles contre les bons, où l'ordre, la loi et la discipline militaire ne seront plus respectés, où personne ne respectera les cheveux blancs, accomplira ses devoirs de piété, aura compassion des femme ou de l'enfant, etc." Mais après cette étape précurseur le feu purificateur descendra qui anéantira les méchants et sera suivi par le millénaire de béatitude qui attendait aussi le chrétien Chiliasti et qui avait déjà annoncé Isaïe et Oracles sibyllins. Les hommes sauront un nouvel âge d'or, qui durera jusqu'à la fin du septième millénaire : en effet, après ce dernier combat, on ekpyrose universel réabsorbera l'univers entier dans le feu et cela permettra la naissance de un monde nouveau, juste, éternel et heureux, non soumis aux influences astrales et libéré du règne du temps.

même le ebrei limité la durée du monde à sept millénaires (voir par exemple Testamentum Abraham, Éthique Enochi, etc.), mais les rabbins n'ont jamais encouragé la détermination de la fin du monde par des calculs mathématiques. Ils se sont contentés de souligner que une série de calamités cosmiques et historiqueset (famines, sécheresses, guerres, etc.) annonceront la fin du monde. Alors viendra le Messie : les morts ressusciteront (Is. 26,19), Dieu vaincra la mort et le renouveau du monde suivra (Is. 65,17 ; aussi Jubil, 1,29, parle d'une nouvelle création ). Ici aussi, comme partout dans les doctrines apocalyptiques évoquées plus haut, on retrouve le motif traditionnel de la décadence extrême, le triomphe du mal et des ténèbres, qui précèdent le changement d'Aeon et le renouvellement du cosmos. Un texte babylonien traduit par A. Jeremias prédit ainsi l'apocalypse : « Quand ces choses se produiront dans le ciel, alors ce qui est clair deviendra opaque et ce qui est propre deviendra sale, la confusion se répandra sur les nations, elles ne se sentiront pas plus de prières, les auspices s'avéreront défavorables… ». "Sous un tel royaume, les hommes se dévoreront et vendront leurs enfants pour de l'argent, l'époux abandonnera son épouse et l'épouse son époux, et la mère fermera la porte à sa fille."

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John Martin, "La destruction de Sodome et Gomorrhe", 1852

Un autre hymne annonce qu'alors le soleil ne se lèvera plus, la lune n'apparaîtra plus, etc. Mais dans la vision babylonienne, cette période crépusculaire est toujours suivie d'une nouvelle aube céleste. Souvent, comme prévu, la période paradisiaque s'ouvre avec l'intronisation d'un nouveau souverain. Ashurbanipal se considère comme un régénérateur du cosmos, puisque "après que les dieux, dans leur bonté, m'aient placé sur le trône de mes pères, Adad envoya sa pluie..., le blé germa..., la moisson fut abondante..., les troupeaux se multiplièrent, etc.. . ". Nebucadnetsar dit de lui-même : "Je fais en sorte qu'il y ait un royaume d'abondance, des années d'exubérance, de prospérité dans mon pays." Dans un texte hittite Murshilish s'exprime ainsi sur le règne de son père : "... Sous lui tout le territoire de Khatti a prospéré, pendant son règne le peuple, le bétail, les moutons se sont multipliés". La conception est archaïque et universelle ; on la trouve chez Homère, chez Hésiode, dans l'Ancien Testament, en Chine, etc.

On pourrait dire tout simplement que, tant pour les Iraniens que pour les juifs et les chrétiens, "l'histoire" assignée à l'univers est limitée et que la fin du monde coïncide avec l'anéantissement des péchés, avec la résurrection des morts et la victoire de l'éternité sur le temps. Mais même si cette doctrine devient de plus en plus populaire au Ier siècle avant J.-C. et aux premiers siècles après J.-C., elle n'élimine pas définitivement la doctrine traditionnelle de la régénération périodique du temps au moyen de la répétition annuelle de la création. […] Des vestiges de cette doctrine se sont conservés chez les Iraniens jusqu'à une date avancée du Moyen Age. Dominante aussi dans le judaïsme prémessianique, cette doctrine n'a donc jamais été totalement abolie, puisque les milieux rabbiniques hésitaient à préciser la durée fixée par Dieu au cosmos, et se contentaient d'affirmer que laillu tempus un jour viendrait certainement.

Dans le christianisme, par contre, la tradition évangélique suggère déjà que BASILE TOU TEOU est déjà présent "entre" (ENTOS) à ceux qui croient, et que par conséquent leillu tempus il est éternellement actuel et accessible à tous, à tout moment, pendant six mois. Puisqu'il s'agit d'une expérience religieuse totalement différente de l'expérience traditionnelle, puisqu'il s'agit de "foi", la régénération périodique du monde se traduit dans le christianisme par une régénération de la personne humaine. Mais pour celui qui participe à cet éternel nonne du royaume de Dieu, "l'histoire" cesse complètement, comme pour l'homme des cultures archaïques qui l'abolit périodiquement. Conséquemment pour le chrétien aussi, l'histoire peut être régénérée par chaque croyant en particulier et à travers lui, avant même la seconde venue du Sauveur, quand elle cessera de façon absolue pour toute la création.

Une discussion adéquate de la révolution introduite par le christianisme dans la dialectique de l'abolition de l'histoire et de la fuite hors de la domination du temps nous conduirait trop au-delà des limites de cet essai. Notons seulement que, aussi dans le cadre des trois grandes religions iranienne, juive et chrétienne, qui ont limité la durée du cosmos à un certain nombre de millénaires, et affirment que l'histoire cessera définitivement dans illo tempore, cependant, il y a encore des traces de l'ancienne doctrine de la régénération périodique de l'histoire. En d'autres termes, l'histoire peut être abolie, et par conséquent renouvelée, un nombre considérable de fois avant la réalisation dueschaton le final. L'année liturgique chrétienne est en effet fondée sur une répétition périodique et réelle de la nativité, de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus, avec tout ce que cela drame mystique cela implique pour un chrétien, c'est-à-dire régénération personnelle et cosmique par l'actualisation de la naissance, de la mort et de la résurrection du Sauveur.

John Martin Tutt'Art @
John Martin, "Crucifixion du Christ", 1834

 

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