25 ans de "Arcano Enchanter": conversation avec Pupi Avati

Il y a exactement 25 ans, le 19 avril 1996, "L'Arcano Incantatore" sortait dans les salles italiennes : une variation de Pupi Avati sur le thĂšme d'un genre qu'il a lui-mĂȘme conçu et codifiĂ© - le "Gothique de la vallĂ©e du PĂŽ". Pour l'occasion nous sommes allĂ©s interviewer le rĂ©alisateur et nous avons retracĂ© le "making of" du film et le rĂ©sultat final.

di Thomas de Brabant

Il y a exactement 25 ans, le 19 avril 1996, il sortait dans les salles italiennes L'Arcane Enchanteur: variation de Pupi Avati sur le thĂšme d'un genre qu'il a lui-mĂȘme conçu et codifiĂ© - le "Gothique de la vallĂ©e du PĂŽ" (ou, comme l'Ă©pigraphe de son roman rapporte Monsieur diable: "Gothique majeur"). Mais c'est au-delĂ  des frontiĂšres nationales que le film connaĂźtra le succĂšs et les distinctions qu'il mĂ©rite : rĂ©compensĂ© en 1998 par le Silver Crow au Brussels Fantastic Film Festival et par le prix du jury au Festival international de Puchon (CorĂ©e du Sud), L'Arcane Enchanteur c'est toujours un point de rĂ©fĂ©rence pour les cinĂ©astes et les amateurs d'horreur du monde entier.

État pontifical, XVIIIe siĂšcle : l'ancien sĂ©minariste Giacomo Vigetti raconte, en se confessant Ă  un frĂšre, les Ă©vĂ©nements qui l'ont conduit Ă  la damnation et Ă  la folie. AprĂšs avoir incitĂ© une fille Ă  avorter l'enfant qui naĂźtrait de leur union, Giacomo se tourne vers une mystĂ©rieuse dame, adoratrice du Malin, pour Ă©chapper Ă  l'Inquisition qui le traque. Elle, aprĂšs avoir fait un pacte de sang avec Giacomo, l'envoie seconder Monseigneur : un trĂšs Ă©rudit dĂ©pensĂ© en odeur d'hĂ©rĂ©sie, donc confinĂ© dans un rocher, entre bois et collines.

Pendant des annĂ©es, personne n'a vu le visage Monseigneur, laissĂ© avec la seule compagnie de Nerio, l'assistant qui selon certaines rumeurs l'aurait Ă©garĂ©, l'entraĂźnant dans des Ă©tudes et des pratiques occultes (surtout, l'Ă©vocation des morts) ; mais la nouvelle est arrivĂ©e que Nerio est mort, ce sera donc Giacomo qui aidera le Monseigneur, agissant comme son secrĂ©taire et s'occupant de sa correspondance avec le converse d'un couvent Ă  proximitĂ© de la forteresse. IndĂ©cis entre croire en Monseigneur, qui professe la lĂ©galitĂ© de ses Ă©tudes, ou en un envoyĂ© de l'Inquisition qui l'avertit, Jacques va dĂ©couvrir que "le Malin ne devient serviteur que pour ĂȘtre enseignant".

"Conte Ă©sotĂ©rique de nos campagnes": le signe qui apparaĂźt au gĂ©nĂ©rique d'ouverture rĂ©sume les deux Ă©lĂ©ments fondateurs de l'avatiano « Gotico Padano » : le monde rural et ses histoires de peur (qui inspirĂšrent, vingt ans plus tĂŽt, La maison aux fenĂȘtres riantes). Or, l'un des deux termes est ici contredit : bien qu'idĂ©alement situĂ© dans la campagne bolognaise (l'accent de certains personnages est Ă©loquent), le film a Ă©tĂ© tournĂ© entre l'Ombrie et le Latium, principalement dans la campagne entre Todi et le lac de Corbara : et le fait que ce lac, Ă  l'Ă©poque oĂč se dĂ©roule le film, n'existait pas contribue Ă  l'Ă©loignement du spectateur - celui-lĂ  mĂȘme dans lequel Giacomo s'enfonce au fil du film - en transposant l'histoire dans un monde qui n'existe pas.

Le charmeur des arcanes il se distingue parmi les films d'horreur d'Avatian aussi parce qu'il marque un point de rencontre avec le topos le plus courant dans le "cinĂ©ma de la peur": allez romans gothiques qui ont inspirĂ© les scripts, les stĂ©rĂ©otypes des productions Hammer . Tout en restant une histoire trĂšs originale, une crĂ©ation trĂšs reconnaissable de Pupi Avati, Le charmeur des arcanes regorge de "marques de fabrique" des films d'horreur : des plans de pleine lune, un chĂąteau en ruine digne du comte Dracula (ce n'est pas pour rien qu'une chauve-souris apparaĂźt, qui d'ailleurs boit du sang), un ermite qui a quelques traits de "scientifique fou", corbeaux qui croassent en continu (rappelant le trĂšs faux miaulement que l'on entend dans La maison aux fenĂȘtres riantes).

Surtout, est l'horreur avatienne la plus sombre, du moins jusqu'Ă  Monsieur diable: parmi les traits distinctifs de La maison depuis les fenĂȘtres rire et CĂšdre au lieu de cela, il y avait une abondance de lumiĂšre (ce qui n'enlevait rien Ă  leur charge d'agitation). Mais si dans la forme il accepte quelques traits conventionnels, Le charmeur des arcanes cela reste un film trĂšs original et intelligent : un « conte Ă©sotĂ©rique » unique et fascinant, un conte occulte intrigant et effrayant.


Avec la gentillesse qui est l'un de ses traits distinctifs, M° Avati lui-mĂȘme - toujours heureux de parler d'une de ses crĂ©ations prĂ©fĂ©rĂ©es - nous a accordĂ© une interview, le 19 mars dernier - un mois avant l'anniversaire. Le point de dĂ©part de la conversation Ă©tait Le matin des sorciers. Introduction au rĂ©alisme fantastique, cĂ©lĂšbre essai publiĂ© en 1960 par le journaliste et occultiste parisien Louis Pauwels et le scientifique franco-russe Jacques Bergier et rĂ©fĂ©rence fondamentale de la culture avatienne.

Pupi Avati - Ça me frappe que tu aies trouvĂ© Le matin des sorciers juste aprĂšs avoir participĂ© Ă  un de mes films, car pour moi et pour ma formation, pour mon panorama et pour mon imaginaire, c'est un texte fondamental.

Thomas de Brabant- Jung parlerait de synchronisme, de "coĂŻncidence significative".

PA- C'est vrai. Tenez compte de ce volume, il est introuvable. Le matin des sorciers cela fait partie de cette culture Ă©sotĂ©rique Ă  laquelle j'ai consacrĂ© tant d'intĂ©rĂȘt, avant mĂȘme que Dan Brown n'arrive avec son "Da Vinci Code" pour le jeter dans la caciara. Mais ce sont des Ă©tudes qui m'intĂ©ressent toujours, et qui m'ont amenĂ© Ă  rĂ©aliser Le charmeur des arcanes. L'idĂ©e de ce film m'est venue de longues Ă©tudes, d'une documentation que j'ai montĂ©e avec mon frĂšre pendant des annĂ©es
 mais c'Ă©tait aussi une pure inspiration. Surtout par inspiration.

Bien qu'Avati se dĂ©fie en affirmant avoir suivi l'inspiration la plus immĂ©diate, ses films - et ceux d'horreur en particulier - tĂ©moignent d'une culture vaste et profonde . juste Le charmeur des arcanes, un conte de fĂ©es gothique suspendu entre de belles vues d'un XVIIIe siĂšcle, rĂ©aliste et rĂȘveur Ă  la fois , est peut-ĂȘtre son film le plus cultivĂ©. Une culture qui transpire de la beautĂ© du film et de la reconstitution qu'il propose de l'Ă©poque dans laquelle il se dĂ©roule, mais pas seulement. Les rĂ©fĂ©rences littĂ©raires (et plus) sont lĂ  : prĂ©cises, documentĂ©es, exactes. Toute une culture se cache derriĂšre la cryptographie pour laquelle Monseigneur se sert de son nouveau secrĂ©taire, Giacomo. Et c'est l'un des textes capitaux de cette culture d'agir comme un "manuel" pour communiquĂ© que l'ancien sĂ©minariste soupçonneux (mais surtout inconscient) confie Ă  Severina, la converse (contrairement Ă  lui, trĂšs consciente) qui le fait traverser le lac : un roman de Charon tant pour le rĂŽle de rameur que pour le monde infernal auquel il appartient.

T - Une référence à Borges a été vue dans la bibliothÚque de Monseigneur.

PA - Borges est génial, mais je ne pensais pas à lui.

T - Ecrivain aussi cultivĂ© que Borges, qui l'admirait, Lovecraft considĂ©rait le XVIIIe siĂšcle comme l'Ă©poque Ă  laquelle il aurait aimĂ© vivre. Y a-t-il quelque chose de Lovecraft chez Monseigneur, peut-ĂȘtre Curwen, l'alchimiste bibliomane de The Case of Charles Dexter Ward ?

PA - Non, je n'ai mĂȘme pas pensĂ© Ă  Lovecraft, mĂȘme si plus tard ça m'a intriguĂ© mockumentary [9] filmĂ© dans des rĂ©gions qui me sont familiĂšres. Je me rends compte que cette bibliothĂšque peut vous faire penser Ă  Borges, et peut-ĂȘtre inconsciemment j'ai Ă©tĂ© inspirĂ© par ses bibliothĂšques labyrinthiques
 mais je n'ai vraiment pas pensĂ© Ă  Lovecraft. Cette bibliothĂšque est magnifique, la chose la plus grande et la plus complexe qui soit jamais apparue dans un de mes films
 avec ce splendide lustre qui monte et descend. Cela semblait ĂȘtre une astuce simple, mais ce n'Ă©tait pas le cas. C'Ă©tait un dur labeur... mais comme tous mes films, il a Ă©tĂ© tournĂ© avec des moyens minimaux, presque artisanaux, dans cette belle ambiance familiale que vous avez ressentie vous-mĂȘme sur le plateau de Elle me parle toujours.

T - J'ai remarqué deux figures de passeurs : la petite fille transporte des informations d'un monde à l'autre, l'inverse transporte Giacomo d'une rive à l'autre du lac. Cette affinité entre eux est-elle intentionnelle ?

PA - Je suis sincÚre, j'avoue ne pas les avoir imaginés ainsi.

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T - Donc la conversation en ligue avec Nerio n'est pas Charon ? Je pense Ă  votre grand intĂ©rĂȘt pour Dante.

PA - Vous pouvez l'imaginer comme ça.

T - Mais la petite fille vient d'un Ă©pisode qui s'est produit dans votre famille.

PA - Oui, le ressuscitĂ©. Une fille souffrant de fortes fiĂšvres a reçu l'extrĂȘme-onction, aprĂšs quoi elle est apparue morte. Quelques heures plus tard, il a sautĂ© du lit et a demandĂ© des nouilles. Avant tout, j'ai Ă©tĂ© guidĂ© par la pensĂ©e de la plus belle scĂšne que j'ai jamais vue dans un film : la fille qui ouvre les yeux dans Dies Irae de Carl Theodor Dreyer. Une scĂšne, une image avec une beautĂ©, une grĂące
 [10] comme je vous l'ai dit, l'inspiration. Le reste vient plus tard, sans doute ce que je lis Ă©merge, plus ou moins inconsciemment... mais je suis guidĂ© avant tout par les images.

T - Je retrouve les premiÚres scÚnes de Le charmeur des arcanes, des aperçus de Todi au pacte avec la dame jusqu'à la rencontre avec l'enfant ressuscité, les plus beaux moments du film, et je considÚre l'une des plus belles scÚnes d'horreur que j'ai vues le dialogue au cours duquel Giacomo fait un sang pacte avec la dame qui lui parle derriÚre une fresque, déguisée en chouette : un symbole nocturne et « démoniaque » trÚs éloquent. Giacomo et le spectateur savent clairement quelle déclaration se cache derriÚre cette image, sans avoir à l'expliquer avec des mots : son message est aussi clair qu'il a été écrit, voire plus. Cette éloquence m'a fait penser à la prédilection d'une certaine culture - celle du tarot, par exemple - pour le langage symbolique plutÎt que le langage verbal. La scÚne de la chouette me semble résumer cette idée, cette culture du symbole.

PA - Je n'avais pas l'ambition de faire un discours aussi important : je suis sincÚre, et je vous dis que derriÚre ce que je mets en scÚne il y a surtout de l'inspiration : je mets en scÚne ce que j'imagine, le raisonnement vient aprÚs. Mais je reconnais ce que vous dites : c'est un discours proche de celui de Fulcanelli, cet alchimiste qui a démontré que les cathédrales se construisent selon un langage symbolique précis. Mais ce qui m'intéressait surtout, c'était de raconter une histoire, de représenter des scÚnes fascinantes. Si vous dites que la scÚne de la chouette vous a fasciné, je suis content car c'était mon propos. Ensuite, vous pouvez discuter de ce qu'il y a derriÚre ...

T - Il me semble que l'Ă©lĂ©ment, l'image centrale du film, ce sont les mains. Giacomo et la dame font un pacte avec une incision sur la main, puis la petite fille apporte Ă  Giacomo un message de sa mĂšre en traçant un dessin sur le dos de sa main ; par consĂ©quent, Monseigneur manque d'une main, et cette main trĂšs manquante sera la clĂ© pour rĂ©soudre le mystĂšre, ainsi que la main gantĂ©e de la dame. D'oĂč vient cette idĂ©e ?

PA - Pour choisir le thÚme de la main coupée, j'ai suivi l'inspiration qui m'a donné une image dans un tarot...

T - Le treiziĂšme?

PA - Vous pensez, nous parlions de coĂŻncidences importantes. En cinquante ans de cinĂ©ma, une seule fois un garçon sans main s'est prĂ©sentĂ© aux auditions pour les seconds rĂŽles. Quand est-ce arrivĂ©? Lors des prĂ©paratifs de Le charmeur des arcanes! J'ai fait des dizaines de films, et le seul pour lequel un garçon avec une main cassĂ©e s'est prĂ©sentĂ© est celui oĂč il manque une main au protagoniste ! Sur le plateau, nous Ă©tions tous stupĂ©faits.

T - Avez-vous ensuite embauché le garçon?

PA - Non. Cacher la main de Cecchi était compliqué. Maintenant c'est si simple, avec le numérique on peut le faire disparaßtre ou apparaßtre
 mais on a tout tourné avec des moyens artisanaux. Quel est le plus gros truc du film ? Ce chandelier qui monte et descend...

TA- Il y a aussi le calice volant, la chauve-souris, le fantĂŽme de feu...

P - Toutes les choses faites à la main ! TrÚs complexe à réaliser. Magique.


La mĂȘme annĂ©e que Le charmeur des arcanes, Avati prĂ©sentera Festival, un film dramatique avec Massimo Boldi (le cinĂ©aste bolognais laisse souvent les comĂ©diens expĂ©rimenter des rĂŽles qui ne leur sont pas habituels : pensez aussi Ă  Christian De Sica dans Le plus jeune fils, Ezio Greggio dans Le pĂšre de Giovanna et la formidable prestation de Renato Pozzetto, dans son splendide premier rĂŽle tragique Ă  80 ans : Elle me parle toujours; le premier de ces "convertis", Diego Abatantuono, grĂące Ă  cadeau de NoĂ«l va entamer une belle carriĂšre "sĂ©rieuse") dans le rĂŽle d'un comĂ©dien en crise. Une longue pĂ©riode sans horreur dans la filmographie d'Avati commencera avec Festival, une dĂ©cennie foisonnante (Ă  l'exception d'un ScĂšne d'initiation sataniste in Les chevaliers qui ont fait l'exploit, 2001) : depuis 1996 (Le charmeur des arcanes) Ă  2007 (La cachette).

Jusqu'en 1994 (deux ans avant Le charmeur des arcanes) remonte au voyage américain (trois ans plus tard Bix - Une hypothÚse légendaire) Pour L'ami d'enfance (le premier de deux thrillers tournés par Avati aux USA: à suivre, en 2007, La cachette avec Laura Morante). Entre L'ami d'enfance (histoire d'un bourreau animateur télé persécuté par un copain de fac, avec en prélude Parsifal de Richard Wagner au générique d'ouverture) e Le charmeur des arcanes est une série télévisée courte (cinq épisodes) conçue et écrite (mais non réalisée : la réalisation a été confiée au Roman Fabrizio Laurenti, alias Martin Newlin) par Avati pour la RAI, Voix de la nuit (1995). Actuellement hors d'activité , Voix de la nuit est un "culte" pour les experts italiens de l'horreur.

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Les protagonistes Lorenzo Flaherty et le vĂ©tĂ©ran du cinĂ©ma avatian Massimo Bonetti, avec un rĂŽle attribuĂ© Ă  l'AmĂ©ricain Jason Robards III (ancien protagoniste de L'ami d'enfance), relate les enquĂȘtes concernant le meurtre sacrificiel d'un Ă©tudiant en architecture. SituĂ© dans une Rome contemporaine au moins aussi inquiĂ©tante que celle de La ligne de commande (drame RAI d'Ă©poque de 1971), Voix de la nuit il a Ă©tĂ© victime d'une Ă©mission tĂ©lĂ©visĂ©e bĂąclĂ©e et des dieux revendications des cercles (puissants) qui se sont reconnus dans la sanglante "SociĂ©tĂ© ThĂ©osophique pour le retour Ă  l'Esprit Originel" du spectacle ; mais cela reste une continuation trĂšs valable de Le charmeur des arcanes: sa mise Ă  jour Ă  nos jours, et un beau voyage au Capitole dans le "Gotico Padano".

Parmi les films qui viennent d'ĂȘtre mentionnĂ©s, celui qui se rapproche le plus de Le charmeur des arcanes et peut-ĂȘtre La cachette: comme le Giacomo Vigetti de Stefano Dionisi, la femme sans nom incarnĂ©e par Laura Morante est irrĂ©sistiblement attirĂ©e par un mystĂšre dont elle ne peut renoncer Ă  chercher la solution (de mĂȘme Stefano, le personnage de Lino Capolicchio dans La maison aux fenĂȘtres riantes); en tant que sĂ©minariste renĂ©gat de Le charmeur des arcanes, elle porte sur sa conscience une culpabilitĂ© qui l'a forcĂ©e Ă  abandonner sa vie antĂ©rieure (elle a rĂ©pandu des calomnies mortelles pour son mari) ; comme lui, elle est au bord de la folie (Giacomo est prĂ©sentĂ©, lorsqu'il raconte son histoire au dĂ©but du film, dĂ©lirant dans une cellule ; « Elle » revient d'un trĂšs long sĂ©jour dans une clinique psychiatrique).

L'histoire des deux implique (ainsi que La maison aux fenĂȘtres riantes, CĂšdre et plus loin Monsieur diable) des prĂȘtres expulsĂ©s, voire damnĂ©s, ou du moins ambigus et malhonnĂȘtes: ni Le charmeur des arcanes, Giacomo est un ancien sĂ©minariste traquĂ© par l'Inquisition, et envoyĂ© au service d'un prĂȘtre soupçonnĂ© d'hĂ©rĂ©sie ; dans La cachette, "Elle" tombe par hasard sur les crimes survenus des dĂ©cennies plus tĂŽt dans une rĂ©sidence de nonnes et converse, et a l'ingĂ©niositĂ© de se confier au PĂšre Emil (jouĂ© par Treat Williams), un prĂȘtre "pieux" et gĂątĂ© qui, afin de prĂ©server ses privilĂšges (oui voyez dans quel restaurant il peut se permettre de dĂźner) contribuent au silence rĂ©gnant dans la ville (Davenport, Iowa : les frĂšres Avati ont achetĂ© la maison - rebaptisĂ©e, en La cachette, "La salle des serpents" - du musicien de jazz Bix Beiderbecke, dĂ©dicataire du film biographique Bix - Une hypothĂšse lĂ©gendaire, prĂ©sentĂ© en 1991 Ă  Cannes) thĂ©Ăątre de crimes.

Nous avons dit, "Snakes' Hall": ne La cachette, la belle femme anonyme jouĂ©e par Laura Morante envisage d'ouvrir un restaurant italien dans le manoir inquiĂ©tant entourĂ© de la rĂ©putation (Ă©parpillĂ©e pour couvrir les faits sanglants qui s'y sont rĂ©ellement dĂ©roulĂ©s) d'ĂȘtre construit sur un cimetiĂšre indien. La rĂ©fĂ©rence Ă  Le brillant, un roman de Stephen King et un film de Stanley Kubrick. Une rĂ©fĂ©rence qui fĂ©dĂšre encore plus La cachette Alcharmeur des arcanes, qui cite le livre de King et le jalon de Kubrick dans le cinĂ©ma d'horreur en ont deux : les petites sƓurs (Giacomo et le petit Danny voient Ă  la fois "toutes" et des cadavres) et, encore plus clairement, Carlo Cecchi enfonce une porte Ă  coups de hache, comme Jack Nicholson a jouĂ© (avec une hachette Ă  la place) le rĂŽle de Jack Torrance dans une scĂšne trĂšs cĂ©lĂšbre de Brillant.

Esquisse de la scénographie de la chambre du Monseigneur, G. Pirrotta

Pupi Avati a reconnu que "sans Carlo Cecchi, le film n'aurait pas pu ĂȘtre fait". Parmi les nombreux Ă©lĂ©ments qui font de Le charmeur des arcanes un grand film, il y a aussi l'interprĂ©tation de l'acteur thĂ©Ăątral florentin ; pourtant, le film aurait dĂ» avoir comme protagoniste Marcello Mastroianni, qui avait invitĂ© Pupi Avati ("le seul grand rĂ©alisateur italien en affaires pour lequel je n'ai pas encore jouĂ©") Ă  dĂ©jeuner, lui confiant l'intention de faire un film ensemble. Cependant, l'Ă©toile toujours trĂšs active de Fontana Liri Ă©tait en train de mourir, alors le rĂŽle de l'Arcanum Enchanter, bien qu'Ă©crit en pensant Ă  Mastroianni, a Ă©tĂ© confiĂ© Ă  Cecchi. .

Avati a défini le duo de Cecchi et Dionisi, l'acteur de théùtre expert et taciturne et le beau jeune acteur, un "combat de boxe". Autour d'eux, divers personnages chers au public avatian : Arnaldo Ninchi, Renzo Rinaldi (alors populaire pour une publicité de cookies), Eliana Miglio (également dans un moment de gloire télévisée), Consuelo Ferrara, Saverio Laganà ; en plus de Vittorio Duse, Mario Erpichini, le comédien Michelangelo Pulci (du groupe génois de Cavalli Marci).

L'accord avec les dames et la finale ont été abattus Todi (ville chÚre au réalisateur) : sur les marches de la cathédrale, à Sources de Scarnabecco et Palais Pongelli. L'église (désacralisée) à l'extérieur de laquelle Giacomo reçoit un message de sa mÚre du Purgatoire de l'enfant ressuscité est celle de S. Girolamo au chùteau de Rota, dans la municipalité de Tolfa (dans la province de Rome); la forteresse dans laquelle Monseigneur est exilé est la Chùteau de Petaccioli (à Todi).

Le directeur de la photographie est le trĂšs fiable Cesare Bastelli ; la musique, rĂ©compensĂ©e par le ruban d'argent, est de Pino Donaggio (le musicien vĂ©nitien Ă  la double vie : premier chanteur du super tube de Sanremo moi qui ne vis pas (sans toi), alors compositeur bien connu de bandes sonores, notamment pour Brian De Palma, mais dĂ©bute avec À Venise
 un dĂ©cembre rouge choquant de Nicholas Roeg, tirĂ© de la nouvelle de DaphnĂ© Du Maurier), qui fera Ă©galement la musique d'Avati Festival. Les yeux cĂ©rulĂ©ens qui Ă©mergent derriĂšre le masque de chouette sont de Marina Francini, dĂ©coratrice du film (crĂ©atrice du gĂ©nĂ©rique d'ouverture et du tableau derriĂšre lequel la dame parle) ; mais la voix n'est pas la sienne.

La comptine chantée par la dame avant et aprÚs la rencontre avec Giacomo en est une priÚre à Notre-Dame du roi poÚte Alfonso X "el Sabio" de Castille:

Rose des roses, fleur des fleurs,
Femme de femmes, Dame de messieurs ;
Rose de beauté et de charme,
Fleur de bonheur et de joie,
Femme à faire pitié,
Dame en enlevant les douleurs et les douleurs ...

Ce que dit Pupi Avati, par pudeur, n'est pas contradictoire. Inspiration et érudition ne s'excluent pas : tout comme sa recherche d'images à mettre en scÚne et la documentation avec laquelle il écrit le scénario. Ce double registre s'applique-t-il aussi à l'interprétation que l'on peut donner du film ?

Giacomo est un chemin initiatique - faillite, comme celle de J. Robards / Alan Gardner dans L'ami d'enfance, (malgrĂ© les notes wagnĂ©riennes de bon augure et merveilleuses du Parsifal) ? Encore une autre fable de curiositĂ© punie, comme cela arrive aux deux protagonistes Stefano de La maison aux fenĂȘtres riantes (Lino Capolicchio) et CĂšdre (Gabrielle Lavia)? Éloge sans passion de la quĂȘte spirituelle, quoi qu'il en coĂ»te (mais contrairement aux deux mentions d'Étienne, et de « Toi » dans La cachette, Giacomo a des raisons concrĂštes pour rĂ©soudre l'Ă©nigme : les autres, en revanche, sont irrĂ©sistiblement attirĂ©s par vous, ce sont des crĂ©atures d'Ailleurs) ? La rĂ©currence des thĂšmes suggĂšre un discours cohĂ©rent.

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Par exemple, Avati considĂšre les prĂȘtres comme des figures liminales, entre deux mondes (un visible, un occulte): et dans ses films d'horreur, des prĂȘtres anormaux reviennent : certains ne sont pas ce qu'ils disent (La maison aux fenĂȘtres riantes), d'autres ont Ă©tĂ© escroquĂ©s (CĂšdre , Monseigneur en Le charmeur des arcanes) ou plusieurs sĂ©minaristes ont Ă©tĂ© expulsĂ©s (Giacomo); ou sont-ils simplement paresseux et gourmands (La cachette). La revue de Monsieur diable: un curĂ© complice des satanistes, un sacristain fanatique, un exorciste hallucinĂ©. Discours qui revient avec force et Ă©vidence dans Le charmeur des arcanes: Giacomo et Monseigneur consomment leur existence (l'un s'abĂźmant, l'autre Ă©teignant une santĂ© dĂ©jĂ  minĂ©e par la syphilis avec saignĂ©e) dans la recherche de rĂ©ponses qu'ils ne trouvent pas "ici", du cĂŽtĂ© visible du seuil.

Ou vous pouvez vous laisser guider par une simple inspiration, et lire le film avec votre seule imagination, regarder son aspect le plus immĂ©diatement visible : il en reste un beau. histoire d'horreur. L'Ă©rudition d'Avati n'est donc pas perdue : elle reste dans la beautĂ© du film, dans ce bel aperçu du XVIIIe siĂšcle, dans l'intelligence de la mise en scĂšne, dans ce histoire envoĂ»tante et terrifiante. Lire en profondeur ou simplement observer, Le charmeur des arcanes est un grand film d'horreur : et fait de Pupi Avati une rĂ©fĂ©rence pour l'horreur internationale, comme cela s'est dĂ©jĂ  produit avec La maison aux fenĂȘtres riantes (1976) et CĂšdre (1983), et comment il sera reconfirmĂ© par Monsieur diable (2019).


Remarque:

Sur le site Davinotti.com vous trouverez un reportage trÚs détaillé sur les lieux du film : "Les emplacements exacts de l'Arcane Enchanteur".

C'est un bassin hydroélectrique, formé en 1962 avec la construction d'un barrage le long du Tibre.

Chanson de Kate Bush, hommage ludique Ă  Hammer Film Productions.

"Le film que j'aime le plus parmi mes goths, L'arcano incantatore, est décidément métaphysique, celui qui est le plus confronté à une autre dimension et aux intrigues insondables" (Entretien accordé à R. Adamovit & C. Bartolini, Le gothique de la vallée du PÎ. Dialogue avec Pupi Avati; Bietti, Milan 2019; page 192.).

La contradiction que rencontre Avati par pudeur se retrouve également dans les entretiens recueillis par R. Adamovit et C. Bartolini dans Il gothic padano. Dialogue avec Pupi Avati : là aussi, la prétention avatienne d'avoir été guidé par une inspiration simple, est contrebalancée par l'évidence d'une préparation cultivée et documentée.

Stefano Dionisi revient tout juste du succĂšs international (nomination aux Oscars et Golden Globe du meilleur film Ă©tranger) du film belge Farinelli - Voce regina (G. Corbiau, 1994) ; avec toutes ses inexactitudes (surtout la diffamation de Haendel) une reconstitution du XVIIIe siĂšcle bien plus digne que celle, datant de dix ans plus tĂŽt, de ce qui est peut-ĂȘtre le film le plus connu du XVIIIe siĂšcle, l'exĂ©crable Amadeus (M. Forman, d'aprĂšs une comĂ©die musicale de P. Shaffer). La mĂȘme annĂ©e du blockbuster hollywoodien, Pupi Avati lui-mĂȘme consacre un film au sĂ©jour de Mozart Ă  Bologne Ă  l'adolescence : Noi tre, avec Lino Capolicchio dans le rĂŽle de Leopold Mozart, pĂšre de Wolfgang Amadeus.

Pour l'histoire de la cryptographie voir I. P Culianu, Eros and Magic in the Renaissance (Bollati Boringhieri, Turin 2006) : celui qu'il Ă©crit notamment sur la Steganographia de l'abbĂ© Tritemio de WĂŒrzburg, professeur de Cornelio Agrippa (chapitre 5, « Magie pneumatique ", page 189).

La bibliographie du film a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©e par Andrea Scarabelli : « Diabolus in pellicula. Fouilles dans l'occultisme de L'enchanteur arcanique », essai disponible sur http://www.bietti.it, site de la maison d'Ă©dition Bietti. Scarabelli Ă©crit: "le livre autour duquel tourne la narration, le Pseudomonarchia daemonum du mĂ©decin et dĂ©monologue nĂ©erlandais Johann Weyer (1515-1588), Ă©lĂšve de Cornelio Agrippa de De Occulta Philosophia ... Weyer est entrĂ© dans l'histoire pour son De praestigiis daemonum et incantationibus ac veneficiis, conclu en 1562 et publiĂ© Ă  BĂąle l'annĂ©e suivante
 en opposition au Malleus Maleficarum de Sprenger & Kramer (1487), critiquait les procĂšs de sorcellerie
 rejetant l'idĂ©e mĂȘme d'une « sorciĂšre » ». Scarabelli cite ensuite le roman GomĂČria (1921) de Carlo H. de 'Medici, qui italianise le nom de Weyer en : John Wierus de Brabant. Enfin, citant Scarabelli : « GrĂące Ă  l'engagement de Mondadori, un extrait du De praestigiis a envahi les librairies italiennes en 1994, traduit et Ă©ditĂ© par Pietro Pizzarri, spĂ©cialiste de l'angĂ©lologie et de la dĂ©monologie, ainsi que crĂ©ateur d'une curieuse Ă©dition du Necronomicon, le " pseudobiblium " de
Lovecraft. Deux ans aprĂšs cette premiĂšre et unique Ă©dition italienne, on la retrouve dans L'arcano incantatore, utilisĂ© par Monseigneur pour chiffrer ses lettres et par Nerio pour effectuer des Ă©vocations et des matĂ©rialisations. Ceci est rĂ©vĂ©lĂ© par les notes trouvĂ©es par Giacomo dans le grenier crasseux oĂč vivait le scripturaire, des citations prĂ©cises du livre de Weyer ».

F. Greco & R. Leggio, Le MystĂšre Lovecraft - Road to L. (2005).

Ici, notre entretien s'est arrĂȘtĂ© : Maestro Avati a Ă©tĂ© Ă©mu en pensant au Dies Irae de Dreyer.

Dans l'arcane majeur treiziÚme (couramment, et pas tout à fait convenablement, appelé "La Mort") du tarot, des mains coupées apparaissent sur le champ couvert par la figure centrale (ainsi dans le Tarot Marseillais de Conver et dans ceux de Wirth ; les mains sur le sol sont par contre absents de la carte en question dans le tarot Rider-Waite).

Voices of the night est cependant visible sur internet : en streaming, ou sur YouTube, oĂč il est disponible Ă  la fois en Ă©pisodes et en un seul film de sept heures et six minutes ("Voices at night (sĂ©rie complĂšte)") : https://www.youtube.com/watch?v=gZAzsluEwQE ).

Les Ă©loges d'Avati pour Cecchi, et l'histoire de la rencontre et le manque de collaboration avec Mastroianni se trouvent dans A. Maioli, Pupi Avati. RĂȘves, cauchemars, visions (Ă©d. Cineteca di Bologna, 2019).

Précisément à propos de "Elle" -Morante et Giacomo-Dionisi, Pupi Avati dit : "Ce sont des personnages qui portent des tensions par rapport à ce mystÚre séduisant de l'au-delà, de l'ailleurs, dont ils se sentent proches et dont ils ne savent pas comment pour se libérer. Ce sont des gens qui ont des problÚmes » (entretien avec Adamovit & Bartolini, op. Cit., Page 157).

Il le dĂ©clare dans les entretiens avec Adamovit & Bartolini : « En tant que catholique et croyant, je considĂšre aussi le prĂȘtre « diffĂ©rent ». Dans mes films gothiques... il y a toujours un homme d'Ă©glise avec quelque chose d'Ă©trange [...] C'est parce que j'ai Ă©tĂ© Ă©levĂ© Ă  voir le religieux comme quelque chose de diffĂ©rent, qui ne bouge pas dans la mĂȘme dimension que nous mais un peu plus haut, et il vit dans un interrĂšgne entre la terre et le ciel ou entre la terre et l'enfer... il a une certaine habitude avec l'ailleurs » (op. cit., p. 156).

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