En attendant John Frum. Le « culte du cargo » de Vanuatu

Les villageois du Pacifique Sud adorent un mystérieux Américain qu'ils appellent John Frum et croient qu'il inondera un jour leur ßle lointaine de richesses..

di Marco Maculotti

Traduction de l'article Dans John They Trust
par Paul Raffaele, initialement publié
dans le Smithsonian Mag en février 2006

Dans la chaleur du matin sur une Ăźle tropicale Ă  l'autre bout du monde des États-Unis, plusieurs hommes Ă  la peau sombre, vĂȘtus de ce qui semble ĂȘtre des uniformes de l'armĂ©e amĂ©ricaine, apparaissent sur un monticule surplombant un village de huttes en bambou. On porte la vieille femme avec rĂ©vĂ©rence Gloire ancienne, le drapeau Ă©toilĂ©, pliĂ© avec prĂ©cision pour ne montrer que les Ă©toiles. Sous le commandement d'un "sergent instructeur" barbu, le drapeau est hissĂ© sur un mĂąt taillĂ© dans un grand tronc d'arbre. Alors que l'immense banderole flotte au vent, des centaines de villageois s'encouragent et se regardent applaudir. Le chef Isaac Wan, un homme mince et barbu vĂȘtu d'un costume et d'une ceinture bleus, conduit les hommes en uniforme vers un espace ouvert au milieu du village. Une quarantaine d'hommes pieds nus sortent soudain de derriĂšre les huttes en acclamation gĂ©nĂ©rale, marchant Ă  l'unisson. Ils portent des "fusils" en bambou sur leurs Ă©paules, les pointes Ă©carlates aiguisĂ©es pour reprĂ©senter des baĂŻonnettes sanglantes, et arborent les lettres "USA" peintes en rouge sur la poitrine et le dos.

Nous sommes le 15 février, le Journée John Frum, sur l'ßle isolée de Tanna dans le pays du Vanuatu, dans le Pacifique Sud. En ce jour saint, des fidÚles sont venus au village de Lamakara de toute l'ßle pour honorer un messie américain fantomatique, John Frum. "John a promis qu'il nous apporterait des avions et des navires chargés d'Amérique s'il nous plaßt", me dit un ancien du village en saluant les Stars and Stripes. "Radio, TV, camions, bateaux, montres, réfrigérateurs, médicaments, Coca-Cola et bien d'autres choses merveilleuses." Le mouvement sectaire impliquant John Frum est un exemple classique de ce que les anthropologues ont appelé Cultes du fret, particuliÚrement fréquent dans les villages du Pacifique Sud pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque des centaines de milliers de soldats américains ont afflué dans les ßles depuis le ciel et les mers.

Comme l'explique l'anthropologue Kirk Huffman, qui a passĂ© 17 ans au Vanuatu : "Les cultes du cargo surgissent lorsque le monde extĂ©rieur, avec toute sa richesse matĂ©rielle, descend soudainement sur des tribus indigĂšnes Ă©loignĂ©es." Les habitants ne savent pas d'oĂč viennent les rĂ©serves infinies d'Ă©trangers et soupçonnent donc qu'ils ont Ă©tĂ© convoquĂ©s par magie, envoyĂ©s directement du monde des esprits. Pour inciter les AmĂ©ricains Ă  revenir aprĂšs la guerre, les insulaires de toute la rĂ©gion ont construit des jetĂ©es et creusĂ© des pistes d'atterrissage dans leurs champs. Ils priaient pour que les bateaux et les avions sortent de nulle part, transportant toutes sortes de trĂ©sors : jeeps et machines Ă  laver, radios et motos, conserves de viande et bonbons.

Mais les AmĂ©ricains vĂ©nĂ©rĂ©s ne sont jamais revenus, sauf en tant que poignĂ©e de touristes et de vĂ©tĂ©rans dĂ©sireux de visiter Ă  nouveau les Ăźles lointaines oĂč ils sont allĂ©s Ă  la guerre dans leur jeunesse. Et bien que presque tous les Cargo Cults aient disparu au fil des dĂ©cennies, le mouvement John Frum a rĂ©sistĂ©, basĂ© sur le culte d'un dieu amĂ©ricain qu'aucun homme ici n'a jamais vu. De nombreux AmĂ©ricains connaissent le Vanuatu depuis rĂ©alitĂ© tĂ©lĂ©vision survivant, bien que les Ă©pisodes qui y ont Ă©tĂ© tournĂ©s aient Ă  peine touchĂ© les merveilles naturelles spectaculaires et les fascinantes cultures sĂ©culaires de la nation insulaire de MĂ©lanĂ©sie. SituĂ© entre les Fidji et la Nouvelle-GuinĂ©e, Vanuatu est une dispersion en forme de Y de plus de 80 Ăźles, dont beaucoup comprennent des volcans actifs. Les Ăźles abritaient autrefois de fĂ©roces guerriers, dont certains cannibales. De nombreux villageois ont encore recours aux sorciers du village, qui utilisent des pierres animĂ©es par des esprits dans des rituels magiques pour attirer un amant potentiel, engraisser un cochon ou tuer un ennemi.


Les Américains avec des souvenirs plus lointains se souviennent de Vanuatu comme des Nouvelles Hébrides, son nom jusqu'à son indépendance de la domination coloniale britannique et française en 1980. Le livre de James Michener Contes du Pacifique Sud, qui a ensuite donné naissance à la comédie musicale Pacifique Sud, est né de ses expériences de marin américain dans les Nouvelles-Hébrides pendant la Seconde Guerre mondiale. Mon expérience dans le Pacifique Sud, à la recherche de John Frum et de ses fidÚles, commence lorsque je monte à bord d'un petit avion dans la capitale du Vanuatu, Port-Vila. Quarante minutes plus tard, récifs coralliens, plages de sable et collines verdoyantes annoncent l'ßle de Tanna, longue de 20 milles et longue de 16 milles à son point le plus large, peuplée d'environ 28.000 XNUMX habitants. Montant dans une vieille jeep pour me rendre à Lamakara, qui surplombe la baie de Sulphur, j'attends que Jessel Niavia, le chauffeur, mette le véhicule en marche en joignant deux fils dépassant d'un trou sous le tableau de bord.

Alors que la jeep grimpe une pente raide, le chemin Ă©troit qui coupe Ă  travers la texture verte dense des arbres et des buissons de la jungle, Jessel me dit qu'il est le beau-frĂšre de l'un des chefs les plus importants de la secte, le prophĂšte Fred, qui, ajoute-t-il fiĂšrement, "a ressuscitĂ© sa femme d'entre les morts il y a deux semaines". Lorsque nous atteignons la crĂȘte d'une colline, la terre devant nous disparaĂźt pour rĂ©vĂ©ler Yasur, le volcan sacrĂ© de Tanna, Ă  quelques kilomĂštres au sud, ses pentes couvertes de cendres qui poussent le rivage jusqu'Ă  Sulphur Bay. De la fumĂ©e noire s'Ă©chappe de son cĂŽne. "'Yasur' signifie Dieu dans notre langue," murmure Jessel. "C'est la maison de John Frum". « S'il est amĂ©ricain, pourquoi vit-il dans votre volcan ? » Je me demande Ă  haute voix. "Demandez au chef Isaac", dit-il. "Il sait tout." Parsemant le chemin de terre se trouvent de petits villages oĂč les femmes aux cheveux bouclĂ©s en forme de bulles s'accroupissent sur des faisceaux de racines couvertes de boue appelĂ©es kava, une sorte de poivrier et un narcotique mĂ©diocre qui est la drogue prĂ©fĂ©rĂ©e du Pacifique Sud. Les connaisseurs disent que le kava par Tanna est le plus fort de tous. Jessel achĂšte un paquet de racines pour 500 vatu, soit environ 5 dollars. « Nous le boirons ce soir », dit-il avec un sourire.

Depuis que les habitants de Tanna s'en souviennent, les hommes de l'Ăźle l'ont collectionnĂ© kava au coucher du soleil, dans un lieu interdit aux femmes, tous les jours. Les missionnaires chrĂ©tiens, pour la plupart des presbytĂ©riens d'Écosse, ont temporairement arrĂȘtĂ© la pratique au dĂ©but du XXe siĂšcle, interdisant Ă©galement d'autres pratiques traditionnelles, ou coutume, que les habitants suivaient fidĂšlement depuis des millĂ©naires : danse, enveloppement du pĂ©nis et polygamie. Les missionnaires ont Ă©galement interdit le travail et les divertissements le dimanche, les jurons et l'adultĂšre. En l'absence d'une forte prĂ©sence administrative coloniale, ils ont crĂ©Ă© leurs propres tribunaux pour punir les malfaiteurs, les condamnant aux travaux forcĂ©s. Les Tanniens ont mijotĂ© sous le rĂšgne des missionnaires pendant trois dĂ©cennies. Puis John Frum est apparu.

La route descend abruptement Ă  travers une jungle plus humide jusqu'au rivage, sur le chemin de Yasur, oĂč je logerai dans une cabane de plage. Alors que le soleil se couche sur les montagnes couvertes de forĂȘt tropicale qui forment l'Ă©pine dorsale de Tanna, le frĂšre de Jessel, Daniel Yamyam, arrive pour me chercher. Il a les yeux tendres et le sourire presque Ă©dentĂ© d'un consommateur assidu de kava. Daniel Ă©tait autrefois membre du parlement de Vanuatu Ă  Port-Vila, et parmi ses Ă©lecteurs se trouvaient des partisans de John Frum de ce qui Ă©tait alors le bastion du mouvement, Ipikil, Ă  Sulphur Bay. « Je suis chrĂ©tien maintenant, mais comme la plupart des gens de Tanna, j'ai toujours John Frum dans mon cƓur », dit-il. "Si nous continuons Ă  prier John, il reviendra avec une riche charge."


Daniel me conduit au nakamal, le terrain dĂ©couvert oĂč les hommes boivent kava, du village. Deux jeunes garçons se penchent sur les racines de kava que Jessel avait achetĂ©, mĂąchant des morceaux dans une pulpe fibreuse. "Seuls les garçons circoncis qui n'ont jamais touchĂ© le corps d'une fille peuvent faire le kava», me dit Daniel. "Cela garantit que leurs mains ne sont pas sales." D'autres gars mĂ©langent l'eau avec la pulpe et tourbillonnent le mĂ©lange Ă  travers un chiffon, produisant un liquide d'apparence trouble. Daniel me tend une demi-noix de coco remplie Ă  ras bord. « Buvez tout d'un coup », murmure-t-il. Il a un goĂ»t rĂ©pugnant, comme de l'eau boueuse. Quelques instants plus tard, ma bouche et ma langue s'engourdissent. Les hommes se divisent en petits groupes ou s'assoient seuls, accroupis dans le noir, chuchotant entre eux ou perdus dans leurs pensĂ©es. Je renverse une seconde coquille du mĂ©lange boueux et ma tĂȘte tire son amarre, essayant de s'Ă©clipser dans la nuit.

Yasur tonne comme un tonnerre lointain, Ă  quelques kilomĂštres au-dessus de la crĂȘte, et Ă  travers les arbres, j'aperçois une mystĂ©rieuse lueur rouge au sommet de son cĂŽne. En 1774, le capitaine J il fut attirĂ© Ă  terre par cette mĂȘme lueur. Il a Ă©tĂ© le premier EuropĂ©en Ă  voir le volcan, mais les dirigeants locaux lui ont interdit de monter au sommet car cela Ă©tait considĂ©rĂ© comme tabou. Daniel m'assure que le tabou n'est plus appliquĂ©. "Allez avec le chef Isaac", conseille-t-il. "Tu peux lui demander demain." AprĂšs avoir bu ma troisiĂšme coquille de kava, Daniel scrute mes yeux sans doute vitreux. "Tu ferais mieux de le reprendre," dit-il. Au bord de la mer, dans ma cabane, je danse instable au rythme des vagues en essayant d'arracher la lune scintillante du ciel et de l'embrasser. Le lendemain matin, je me dirige vers Lamakara pour parler avec le chef Isaac. EntourĂ© d'un paysage lunaire apocalyptique de cendres volcaniques, Yasur se profile derriĂšre le village. Mais Ă  seulement 1184 pieds de haut, le volcan sacrĂ© n'a rien de la majestĂ©, disons, du mont Fuji; sa forme trapue me rappelle plutĂŽt un bouledogue pugnace qui monte la garde devant la maison de son maĂźtre. Mon chauffeur pointe vers le cĂŽne. "Maison blong John FrumIl dit en anglais pidgin. C'est la maison de John Frum.

Dans le village, des dizaines de huttes de roseaux, certaines avec des toits en tĂŽle rouillĂ©e, entourent une salle de bal cĂ©rĂ©monielle parsemĂ©e de cendres et le monticule sur lequel le drapeau amĂ©ricain flotte tous les jours, flanquĂ© des drapeaux beaucoup plus petits du Vanuatu, celui de la France coloniale et celui des aborigĂšnes australiens, dont la volontĂ© d'Ă©galitĂ© raciale est trĂšs admirĂ©e par les villageois. De toute Ă©vidence, John Frum n'est pas encore revenu avec la cargaison promise, car Lamakara est pauvre en biens de consommation. Mais les hommes de l'Ăźle, enveloppĂ©s dans un tissu appelĂ© lavages-lavages, les femmes en robes longues Ă  fleurs et la plupart des enfants pieds nus et en t-shirt ont l'air en bonne santĂ© et heureux. Ce n'est pas une surprise : comme de nombreux villages cĂŽtiers du Pacifique Sud, Lamakara est un endroit oĂč les noix de coco tombent prĂšs de vous pendant que vous dormez sous les palmiers. Les ignames, le taro, l'ananas et d'autres fruits prospĂšrent dans le sol volcanique fertile, et les cochons dodus reniflent autour du village pour les restes. De savoureuses chauves-souris frugivores s'accrochent la tĂȘte en bas aux arbres voisins.

Le chef Isaac, en chemise Ă  col ouvert, pantalon vert et chaussures en tissu, me salue sur le monticule et me conduit Ă  une hutte derriĂšre les mĂąts : Le sanctuaire intĂ©rieur de John Frum, interdit Ă  tous sauf aux chefs de secte et, semble-t-il, aux visiteurs masculins d'outre-mer. "Bureau blong moi» dit-il avec un sourire alors que nous entrons. La hutte est dominĂ©e par une table ronde affichant un petit drapeau des États-Unis sur un piĂ©destal, un pygargue Ă  tĂȘte blanche sculptĂ© et des imitations d'uniformes militaires amĂ©ricains soigneusement pliĂ©s et disposĂ©s en cercle, prĂȘts Ă  ĂȘtre utilisĂ©s le jour de John Frum Ă  partir de lĂ  jusqu'Ă  un peu plus d'une semaine. . Au-dessus, suspendu par une vis Ă  une poutre, est suspendu un globe, une hache de pierre et une paire de pierres vertes taillĂ©es en cercles de la taille d'un dollar en argent. "Magie trĂšs puissante", dit le chef en dĂ©signant les pierres. "Les dieux les ont crĂ©Ă©s il y a longtemps."


Écrit sur quelques tableaux noirs est un plaidoyer pour que les disciples de John Frum mĂšnent une vie coutume et qu'ils s'abstiennent de se violenter les uns les autres. L'un des tableaux noirs porte une croix rouge faite Ă  la craie, probablement copiĂ©e des ambulances militaires amĂ©ricaines et maintenant un symbole important pour le culte. «John Frum est venu nous aider Ă  retrouver nos coutumes traditionnelles, notre consommation kava, nos danses, parce que les missionnaires et le gouvernement colonial dĂ©truisaient dĂ©libĂ©rĂ©ment notre culture "dit le chef Isaac dans son anglais pidgin traduit par Daniel. "Mais si John Frum, un AmĂ©ricain, vous apporte des biens modernes, car cela s'accorde avec son dĂ©sir de mener une vie coutume? ", Je demande. « John est un esprit. Il sait tout ", dit le chef, surmontant la contradiction avec l'Ă©quilibre d'un politicien expĂ©rimentĂ©. "Il est encore plus puissant que JĂ©sus".

"L'avez-vous dĂ©jĂ  vu?". "Oui, John vient trĂšs souvent Ă  Yasur pour me conseiller, ou j'y vais pour parler Ă  John". "À quoi cela ressemble-t-il?" « En tant qu'AmĂ©ricain ! « Alors pourquoi vis-tu Ă  Yasur ? "John se dĂ©place d'AmĂ©rique Ă  Yasur et revient, descendant Ă  travers le volcan et sous la mer". Quand je parle du prophĂšte Fred, la colĂšre Ă©clate dans les yeux du chef Isaac. "C'est un diable", grogne-t-il. "Je ne parle pas de lui." « Qu'en est-il de votre visite aux États-Unis en 1995 ? » je demande. « Que pensez-vous du paradis terrestre de votre religion ? Levez la main pour vous excuser. "J'ai beaucoup Ă  faire aujourd'hui. Je vous en parlerai une autre fois ». Sur le chemin du retour vers ma cabane, il m'est venu Ă  l'esprit que j'avais oubliĂ© de lui demander de m'emmener au volcan.

Le chef Isaac et d'autres dirigeants locaux affirment que John Frum est apparu pour la premiĂšre fois une nuit Ă  la fin des annĂ©es 30 aprĂšs qu'un groupe d'anciens ait brisĂ© de nombreuses coquilles de kava comme prĂ©lude Ă  la rĂ©ception de messages du monde des esprits. "C'Ă©tait un homme blanc qui parlait notre langue, mais il ne nous a pas dit qu'il Ă©tait amĂ©ricain", dit le chef Kahuwya, chef du village de Yakel. John Frum leur a dit qu'il Ă©tait venu les sauver des missionnaires et des fonctionnaires coloniaux. "John nous a dit que tous les habitants de Tanna devraient cesser de suivre les voies de l'homme blanc", a dĂ©clarĂ© le chef Kahuwya. "Il a dit que nous devrions jeter leur argent et leurs vĂȘtements, retirer nos enfants de leurs Ă©coles, arrĂȘter d'aller Ă  l'Ă©glise et recommencer Ă  vivre en tant que personnes. coutume. Nous devrions boire kava, vĂ©nĂ©rer les pierres magiques et exĂ©cuter nos danses rituelles».

Peut-ĂȘtre les meneurs de leurs rĂȘveries kava ils ont en fait vĂ©cu une vision spontanĂ©e de John Frum. Ou peut-ĂȘtre que l'apparition a des racines plus pratiques. Il est possible que les dirigeants locaux aient conçu John Frum comme un puissant alliĂ© Ă  la peau blanche dans la lutte contre les coloniaux, qui tentaient d'Ă©craser une grande partie de la culture des insulaires et de les pousser au christianisme. En effet, cette vision des origines du culte a gagnĂ© en crĂ©dibilitĂ© en 1949, lorsque l'administrateur de l'Ăźle, Alexandre Rentoul, notant que "frum" est la prononciation tannique de "balai", il Ă©crivit que la fonction du mouvement de John Frum "Ă©tait de balayer (ou de balayer) tous les blancs de l'Ăźle de Tanna".


Quelle que soit la vĂ©ritĂ©, le message de John Frum a laissĂ© sa marque. Les habitants de Tanna ont commencĂ© Ă  jeter leur argent par-dessus bord et Ă  tuer leurs cochons lors de grandes fĂȘtes pour accueillir leur nouveau messie. Les autoritĂ©s coloniales ont finalement rĂ©agi en arrĂȘtant les dirigeants du mouvement, dont le pĂšre du chef Isaac, le chef Nikiau. Ils ont Ă©tĂ© envoyĂ©s dans une prison de Port-Vila en 1941 et au fil des annĂ©es derriĂšre les barreaux ont acquis le statut de premiers martyrs du mouvement John Frum. Le culte a pris son essor l'annĂ©e suivante, lorsque des milliers de soldats amĂ©ricains ont Ă©tĂ© envoyĂ©s aux Nouvelles-HĂ©brides, oĂč ils ont construit de grandes bases militaires Ă  Port-Vila et sur l'Ăźle d'EspĂ­ritu Santo. Les bases comprenaient des hĂŽpitaux, des pistes d'atterrissage, des quais, des routes, des ponts et des huttes Quonset en tĂŽle ondulĂ©e, dont beaucoup ont Ă©tĂ© Ă©rigĂ©es avec l'aide de plus d'un millier d'hommes recrutĂ©s comme ouvriers de Tanna et d'autres parties des Nouvelles-HĂ©brides, dont le chef Kahuwya. .

LĂ  oĂč l'armĂ©e amĂ©ricaine va, les avions lĂ©gendaires vont aussi, avec leur approvisionnement apparemment sans fin en chocolat, cigarettes et Coca. Pour les hommes qui vivaient dans des huttes et Ă©levaient des patates douces, la richesse des AmĂ©ricains Ă©tait une rĂ©vĂ©lation. Les soldats les payaient 25 cents par jour pour leur travail et leur distribuaient de gĂ©nĂ©reuses friandises. La munificence des AmĂ©ricains a choquĂ© les hommes de Tanna, tout comme la vue de soldats Ă  la peau sombre mangeant la mĂȘme nourriture, portant les mĂȘmes vĂȘtements, vivant dans des huttes et des tentes similaires et utilisant le mĂȘme Ă©quipement de haute technologie que les soldats blancs. "Selon coutume, les gens s'assoient ensemble pour manger », explique Kirk Huffman, qui Ă©tait le conservateur du centre culturel de Vanuatu pendant ses annĂ©es dans la nation insulaire. "Les missionnaires avaient irritĂ© les Tanniens en mangeant toujours sĂ©parĂ©ment."

Il semble que ce soit le moment oĂč la lĂ©gende de John Frum a pris un caractĂšre rĂ©solument amĂ©ricain. « John Frum nous est apparu Ă  Port-Vila, raconte le chef Kahuwya, et est restĂ© avec nous pendant toute la guerre. John Ă©tait vĂȘtu de blanc, comme les hommes de la marine amĂ©ricaine, et c'est Ă  ce moment-lĂ  que nous avons su que John Ă©tait un AmĂ©ricain. John a dit que lorsque la guerre serait finie, il viendrait nous voir Ă  Tanna dans des bateaux et des avions transportant beaucoup de marchandises., comme les AmĂ©ricains l'avaient fait Ă  Vila ».

En 1943, le commandement amĂ©ricain, prĂ©occupĂ© par la croissance du mouvement, envoya l'USS Echo Ă  Tanna avec le major Samuel Patten Ă  bord. Sa mission Ă©tait de convaincre les partisans de John Frum que, comme le dit son rapport, "les forces amĂ©ricaines n'avaient aucun lien avec Jonfrum". Il va sans dire que c'Ă©tait une mission ratĂ©e. À la fin de la guerre, l'armĂ©e amĂ©ricaine a involontairement ajoutĂ© Ă  la lĂ©gende de son approvisionnement sans fin en marchandises lorsqu'elle a mis au rebut des tonnes d'Ă©quipements - camions, jeeps, moteurs d'avion, fournitures - au large de l'Ăźle d'EspĂ­ritu Santo. Pendant six dĂ©cennies dans les eaux peu profondes, le corail et le sable ont obscurci une grande partie de la "tombe aquatique" du surplus de guerre, mais les amateurs de plongĂ©e en apnĂ©e ils peuvent encore voir des pneus, des bulldozers et mĂȘme des bouteilles de Coca pleines. Les habitants ont ironiquement nommĂ© l'endroit Million de points de dollar.

AprĂšs la guerre, rentrant de Port-Vila dans leurs huttes, les hommes de Tanna sont convaincus que John Frum les rejoindra bientĂŽt et ils ont construit une piste d'atterrissage primitive hors de la jungle au nord de l'Ăźle, pour rappeler les avions amĂ©ricains qui attendaient de venir du ciel. De l'autre cĂŽtĂ© du Pacifique Sud, des milliers d'autres adeptes du Cargo Cult ont commencĂ© Ă  concevoir des plans similaires, construisant mĂȘme des tours de contrĂŽle en bambou pour guider les avions. En 1964, les adeptes d'un Cargo Cult sur l'Ăźle de New Hanover en Papouasie-Nouvelle-GuinĂ©e ont offert au gouvernement des États-Unis 1000 XNUMX dollars pour que Lyndon Johnson vienne leur servir de chef suprĂȘme. Mais Ă  mesure que les annĂ©es passaient et que les cieux et les mers semblaient dĂ©sespĂ©rĂ©ment vides, la plupart des cultes du fret ont disparu et les espoirs des fidĂšles ont Ă©tĂ© anĂ©antis.


À Sulphur Bay, les fidĂšles n'ont jamais faibli. Chaque vendredi aprĂšs-midi, des centaines de croyants se dĂ©versent dans la plaine de cendres au-dessous de Yasur, arrivant Ă  Lamaraka depuis les villages de Tanna. AprĂšs le coucher du soleil et les hommes ont bu kava, la congrĂ©gation se rassemble dans et autour d'une hutte construite sur le terrain d'apparat. Avec la lumiĂšre des lampes Ă  pĂ©trole clignotant sur leurs visages, les participants jouent de la guitare et du ukulĂ©lĂ© et chantent des hymnes sur les prophĂ©ties de John Frum et les batailles des martyrs de la secte. Beaucoup font la mĂȘme demande, Ă  l'unisson : « Nous t'attendons dans notre village, John. Quand venez-vous avec toute la cargaison que vous nous avez promise ? ». Je regarde autour de moi, en vain, Ă  la recherche du chef Isaac, jusqu'Ă  ce qu'un ancien de la secte murmure qu'aprĂšs avoir bu kava, Isaac a disparu dans l'ombre des arbres pour discuter avec John Frum. Il l'aura jusqu'au lever du soleil, c'est-Ă -dire jusqu'Ă  sept heures le lendemain matin.

Le mouvement John Frum suit le schĂ©ma classique des nouvelles religions, explique l'anthropologue Huffman. Les schismes sĂ©parent des groupes de fidĂšles du corps principal, tandis que les apostats proclament une nouvelle vision qui conduit Ă  des variations sacrilĂšges sur les croyances fondamentales de la croyance. Ceci explique le "phĂ©nomĂšne" du prophĂšte Fred, dont le village, Ipikil, est situĂ© Ă  Sulphur Bay. Daniel dit que Le prophĂšte Fred s'est sĂ©parĂ© du chef Isaac en 1999 et a conduit la moitiĂ© des croyants dans sa nouvelle version du culte de John Frum. "Il a eu une vision alors qu'il travaillait sur un bateau de pĂȘche corĂ©en dans l'ocĂ©an", raconte Daniel. "La lumiĂšre de Dieu est tombĂ©e sur lui, et Dieu lui a dit de rentrer chez lui et de prĂȘcher une nouvelle voie."

Les gens croyaient que Fred pouvait parler à Dieu aprÚs avoir prédit il y a six ans que le lac Siwi briserait son barrage naturel et se déverserait dans l'océan.. "Les gens qui vivaient autour du lac [sur la plage sous le volcan] se sont déplacés vers d'autres endroits", explique Daniel. "Six mois plus tard, ce que Fred avait prédit s'est réellement produit." Puis, il y a prÚs de deux ans, la rivalité du prophÚte Fred avec le chef Isaac a explosé. Plus de 400 jeunes des villages concurrents se sont affrontés à coups de haches, d'arcs, de flÚches et de frondes, incendiant une église au toit de chaume et plusieurs maisons. Vingt-cinq hommes ont été griÚvement blessés. "Ils voulaient nous tuer, et nous voulions les tuer", dit un fidÚle chef d'Isaac.

Quelques jours avant la cĂ©lĂ©bration annuelle de Lamakara de John Frum, je visite le village du prophĂšte Fred, pour constater que ce dernier est allĂ© Ă  la pointe nord de l'Ăźle pour prĂȘcher, ou plus probablement pour Ă©viter les cĂ©lĂ©brations publiques. Au lieu de cela, je rencontre son prĂȘtre principal, Maliwan Tarawai, un pasteur aux pieds nus portant une Bible bien reliĂ©e. "Le prophĂšte Fred a appelĂ© son mouvement UnitĂ©, et s'est entrelacĂ© coutume, le christianisme et John Frum ensemble ", me dit Tarawai. Le Messie amĂ©ricain n'est guĂšre plus qu'une figure de proue dans la version de Fred du culte, qui interdit l'affichage de drapeaux Ă©trangers, y compris le Gloire ancienne, et interdit toute discussion sur le fret.

Toute la matinĂ©e, je regarde des chanteurs avec un orchestre Ă  cordes chanter des hymnes sur le prophĂšte Fred, alors que plusieurs femmes aux yeux sauvages tombent dans ce qui semble ĂȘtre un transe. Ils guĂ©rissent les malades avec foi, serrant la partie du corps malade et priant silencieusement vers le ciel, chassant les dĂ©mons. De temps en temps, ils s'immobilisent et semblent essayer de s'accrocher au ciel avec leurs doigts osseux. "Ils le font tous les mercredis, notre jour saint", explique Tarawai. "Le Saint-Esprit les a possĂ©dĂ©s, ils tirent leurs pouvoirs de guĂ©rison de lui et du soleil."

De retour Ă  Lamakara, John Frum Day est chaud et collant. Une fois le drapeau levĂ©, le chef Isaac et les autres chefs de culte s'assoient sur des bancs ombragĂ©s par des feuilles de palmier, tandis que plusieurs centaines de fidĂšles se relaient pour exĂ©cuter des danses traditionnelles ou des improvisations modernes. Des hommes et des garçons vĂȘtus de jupes d'Ă©corce cousues arpentent la piste de danse, agrippant des rĂ©pliques de tronçonneuses taillĂ©es dans les branches de la jungle. Frappant du pied au rythme de la chanson, ils ont coupĂ© l'air avec de fausses tronçonneuses. "Nous sommes venus d'AmĂ©rique pour abattre tous les arbres", chantent-ils, "afin que nous puissions construire les usines".


La veille de notre dĂ©part de Tanna, le chef Isaac et moi avons finalement escaladĂ© les pentes de cendres glissantes de Yasur, oĂč le sol tremble toutes les dix minutes environ Ă  chaque explosion tonitruante Ă  l'intĂ©rieur du cratĂšre volcanique. Chaque explosion qui bourdonne dans les oreilles projette dans le ciel un Ă©norme panache de gaz potentiellement mortel, un mĂ©lange de dioxyde de soufre, de dioxyde de carbone et d'acide chlorhydrique. L'obscuritĂ© offre une vue spectaculaire alors que la lave en fusion jaillit des bouches du cratĂšre, projetĂ©e dans les airs sous la forme de gigantesques feux d'artifice. En 1994, deux personnes ont Ă©tĂ© tuĂ©es ici par des "bombes de lave", ou des morceaux de roche volcanique tombĂ©s du ciel, en provenance du cratĂšre. Le chef Isaac me conduit Ă  un endroit sur le bord en ruine, loin de la sortie du gaz dangereux mais toujours Ă  portĂ©e des bombes incandescentes.

Le chef me raconte son voyage aux États-Unis en 1995 et me montre des photos fanĂ©es de lui Ă  Los Angeles, devant la Maison Blanche et avec un sergent instructeur sur une base militaire. Il dit qu'il a Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© par la richesse des États-Unis, mais surpris et attristĂ© par la pauvretĂ© qu'il a vue parmi les AmĂ©ricains blancs et noirs, et l'Ă©norme propagation des armes Ă  feu et de la drogue, ainsi que la pollution. Il dit qu'il est heureux de retourner Ă  Sulphur Bay. "Les AmĂ©ricains n'ont jamais de visages souriants", ajoute-t-il, "ils semblent toujours penser que la mort n'est pas loin". Quand je lui demande ce qu'il attend le plus de l'AmĂ©rique, la simplicitĂ© de sa demande m'Ă©meut : « Un moteur hors-bord de 25 chevaux pour le bateau du village. Ainsi, nous pourrons pĂȘcher beaucoup de poisson dans la mer et le vendre au marchĂ©, afin que mon peuple puisse avoir une vie meilleure ».

Alors que nous regardons la demeure flamboyante de John Frum, je lui rappelle que non seulement il n'a pas de moteur hors-bord américain, mais que toutes les autres priÚres des dévots ont, jusqu'à présent, été vaines. "John vous a promis beaucoup de marchandises il y a plus de 60 ans, et personne n'est jamais venu", je souligne. « Alors pourquoi gardes-tu confiance en lui ? Pourquoi crois-tu encore en lui ?". Le chef Isaac me lance un regard amusé. "Vous les chrétiens, vous avez déjà attendu 2000 ans pour que Jésus revienne sur terre", répond-il. "Et tu n'as pas encore perdu espoir."

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