L'humour apocalyptique de Josef K., l'anti-Parsifal

La parodie ne dĂ©truit pas le conte chevaleresque, elle le confirme en le bouleversant : Kafka Ă©tait le chevalier de l'absolu destructeur et en mĂȘme temps de l'ironie qui damne et sauve.


di DaniĂšle Capuano

 

Je ne suis pas le premier à voir dans le ProcÚs par Franz Kafka un anti-Parsifal  - ou plutÎt une Parodia (noir et brillant comme les plumes d'un corbeau, Kavka) de la légende de Parsifal. Les pages suivantes tenteront d'examiner certaines des ramifications qui émergent de la semence de cette intuition.

En parlant jungien, Josef K. vit un conflit au niveau égoïque et non une antinomie qui fait s'épanouir la fonction transcendante de la vision symbolique.. Il manque le tertium offert à Parsifal par l'ermite Trevrizent et des images puissantes comme celle de la femme avec le mari mort sur ses genoux  . Ou il le rate regarder capable de le saisir - le regard astral et hermétique des héros antiques, les héros de l'épopée, du mythe, des contes de fées.

Le peintre Titorelli est Ă©videmment Titurel, le gardien du Graal, qui avec une ambiguĂŻtĂ© oraculo-talmudique lui expose le fonctionnement de la Court, la sombre forĂȘt occulte de karma. Huld l'avocat ("Grace") fait de son client un chien (Chien), et comme un chien Josef K. mourra : la mort canine, la plus indĂ©cente, est aussi ce que le tantra tibĂ©tain considĂšre comme le plus convenable pour le sage  .

Dans le monde de Josef K., qui est le nĂŽtre, le Graal c'est la mort, comme le Messie c'est la mort pour les personnages d'Isaac Singer . Comme le paysan - lo Ê»Am ha-aretz ou rabbinique "peuple de la terre" - dans l'apologue du prĂȘtre, mourant Josef K. voit la lumiĂšre de la Loi, la lumiĂšre du Graal, dans le disque lunaire (R. Steiner sur la coupe et l'hostie du Graal comme symbole lunaire)  . L'homme qui se penche Ă  la fenĂȘtre est la question posĂ©e trop tard, Ă  limine mortis.

Le prĂȘtre tente d'enseigner Ă  Josef K. que le Tribunal n'est pas l'adversaire d'un conflit Ă  entretenir avec les forces de l'ego - qui alors Ă©videmment finiront par trop compter sur l'aide des « femmes », sur les irruptions des Ăąme qui ont des caractĂšres d'ombre, sĂ©ducteurs-rĂ©pugnants, prostituĂ©es-messagĂšres - mais les champ lui-mĂȘme de son combat symbolique, de son existence. Le Tribunal est le monde comme arĂšne d'un combat spirituel"ça te prend quand tu viens, ça te laisse partir quand tu pars"- ainsi, selon Zhuang-zi, c'est un sage avec des phĂ©nomĂšnes, les" dix mille choses " . Le Tribunal "ne veut rien de vous", il n'est pas sĂ©parĂ© de vous, il ne vous capture pas de l'extĂ©rieur .

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Franz Kafka.

Le procĂšs de Josef K. est la nĂ©vrose comme souffrance inauthentique. L'ego qui a repoussĂ© de lui ce qu'il ne voulait pas le voit revenir comme ombre et destin. Il n'est pas aussi fou que Parsifal, mĂȘme s'il apparaĂźt de plus en plus improvisĂ© et autodestructeur, et comme lui il est orphelin de pĂšre et de mĂšre. Ne pas se poser la question du sens du Graal, de la Loi, rend maudit : il n'y a pas lieu de condamner autre chose.

Le Vendredi saint de Josef K. n'est pas le miroir du Golgotha ​​dressĂ© et offert par l'ermite Trevrizent, c'est le mĂȘme abattage rituel qu'il subit la nuit aux mains de deux "guitti" . Notre Ăšre post-chrĂ©tienne est plus Christ de ce qui prĂ©cĂšde : le Christ enlevĂ© ou rejetĂ© revient sous la forme d'une identification scandaleuse, canine, infĂąme. C'est un carnaval apocalyptique: la parodie de Processus ça a fait rire Kafka en le lisant, ainsi que ses auditeurs .

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Le Tribunal est le ciel comme l'Ă©crit du sortdu karma. Le nom de Josef K. est gravĂ© en lettres de feu  comme celle de Parsifal sur la coupe du Graal : mais la coupe de Josef K. est sa tombe rĂȘvĂ©e. La honte qui semble lui survivre  ce n'est pas un levain de rĂ©demption solaire, comme celui du Graal, mais une graine lunaire insĂ©rĂ©e dans le courant karmique, destinĂ©e Ă  fructifier au-delĂ  des limites comiques et nĂ©vrotiques de la conscience Ă©goĂŻque condamnĂ©e  .

Il koan de l'apologue de la Porte de la Loi Rimane, comme la honte qui monte la nuit sur le tourment de Josef K., comme le rocher auquel Prométhée est enchaßné . « Qu'est-ce que le fermier aurait dû faire ? » C'est la question du moi naïf. Le gardien de la loi est trompeur comme Gurnemanz : « ne posez pas trop de questions ». Pourtant, interroger Parsifal aurait été sûr et salvateur.

Mais l'ironie de la culpabilitĂ© il est toujours dans son ĂȘtre Beatrix: Parsifal est maudit, mais son nom apparaĂźt sur la coupe du Graal car il est est revenu, a fait le tour du monde pour combler son manque. Le fermier fait ce que lui dit le gardien : mais Ă  l'article de la mort, une question se dresse dans sa gorge, ce qui semble faire briller la lumiĂšre Ă  travers la Porte. La mort du chevalier sur le seuil (viens il Chevalier sauvage Chesterton)   c'est hĂ©roĂŻque, celui du fermier ne l'est pas, mais c'est quand mĂȘme une mort consommĂ©e dans la limite, et voir la LumiĂšre.

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Josef K. est offensĂ© de l'histoire, il l'interprĂšte de maniĂšre conflictuelle, en opposant tour Ă  tour les points de vue, sans saisir la tertium que le prĂȘtre-talmudiste essaie de lui faire voir avec ses sinueuses ironies. Kafka Ă©crit Ă  Milena qu'on se moque volontiers du tĂ©nor du mĂ©lodrame lorsqu'elle chante un air interminable au seuil de la mort ; pourtant, dit-il, nous faisons exactement cela - nous nous allongeons sur le sol et chantons pendant des annĂ©es .

Se consumer dans l'attente de maniÚre non héroïque, se consommer dans l'attente de maniÚre héroïque : lune et soleil, poussiÚre et flamme. La parodie ne détruit pas le conte chevaleresque, elle le confirme en le bouleversant. Kafka était le chevalier du destructeur absolu e insieme de l'ironie qui damne et sauve.

Il y a un discernement essentiel entre "sentiment de culpabilitĂ©" et juste perception de la culpabilitĂ©: le premier est un reproche nĂ©vrotique que l'ego s'adresse Ă  lui-mĂȘme pour "se sentir Ă  l'aise" avec la censure interne, le second est un savoir confus mais ferme, dans lequel le coupable se saisit enlacĂ© avec le destin commun de l'humanitĂ©. Le premier est le mur de la prison, le second en est la clĂ©. En effet Markel, le frĂšre rebelle et prĂ©destinĂ© du starec Zosime, dans frĂšres Karamazov, se libĂšre du sentiment de culpabilitĂ© qui l'aigrit grĂące Ă  l'intuition purgatoire et cĂ©leste de la solidaritĂ© du mal-souffrance : « Tout le monde est coupable de tout devant tout le monde »  .

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Borgesparlant de Chesterton, il oppose le conte kafkaïen sur la Porte de la Loi à celui de Bunyan sur le chevalier qui demande au gardien du chùteau d'écrire son nom sur le registre, car il sera il entrer  - dégager midrash du verset "L'enlÚvement violent [le Royaume des Cieux]"  . En fait, le Chevalier sauvage di Chesterton meurt en essayant d'entrer, comme Moïse - et le fermier de Kafka . Mais à la violence un type de violence trÚs différent prend le dessus, sous espÚces contraires, sous le manteau d'un passivité honteuse.

Les similitudes entre l'histoire de Parsifal et celle de កasīb Karīm al-dīn, dans le Mille et une nuits  . Dans les deux cas la mÚre éloigne l'enfant des occupations du pÚre mort : Parsifal et កasīb sont deux simples garçons, des imbéciles. Ils devront gagner la sagesse par leurs efforts (Hasib, celui-qui-accomplit : le décret divin va réalisé par la volonté humaine) et tous deux connaßtront le phallus qui pousse le retour, le Béatrix culpa. La reine des serpents est un Graal féminin, une sagesse serpentine trouvée errante dans une grotte: Est ce que le kundalini.

Parsifal devient chevalier comme son pÚre, en effet, il surpasse son pÚre : c'est le roi du Graal, un initié. កasīb devient un sage comme son pÚre, en effet, il surpasse son pÚre : c'est un sage qui a mangé la chair du serpent, pas un mangeur de livres. Au final il pourra approcher la quintessence du savoir de son pÚre, les cinq pages rescapées du naufrage - et conservées par sa mÚre en attendant que son fils les fasse siennes à travers les rues de son le destin, puisqu'il n'en a plus besoin (ainsi Abdelfattah Kilito) .

XIXe siĂšcle, Hermann Hendrich (19-1854), Richard-Wagner-Museum
Hermann Hendrich, " Parsifal ".

Remarque:

 Tout d'abord, comme clé, la juxtaposition Titorelli-Titurel s'impose, cf. par exemple. La poétique du mythe, par EM Meletinsky, 2014.

 L'icÎne de la Pietà, de la Lune soutenant le Soleil caché, avec toutes ses résonances sotériologiques et gnostiques.

 En Dzogchen, on dit que les pratiquants les plus avancés meurent "comme un vieux chien", tandis que les pires "comme un roi". Le chien mort est aussi l'image manichéenne (et christiano-manichéenne) du monde tombé dans la sombre putréfaction, dont les "dents" spirituelles continuent pourtant à manifester la beauté du Plérome de LumiÚre.

 « La mort est le Messie. C'est la vérité "(final de Famille Moskat).

 R. Steiner, Christ et le monde des esprits. La recherche du Saint Graal, Ed. Antroposofica, Milan, 20133.

 Kafka Ă©tait un lecteur passionnĂ© de Zhuangzi, comme il le confia notamment Ă  G. Janouch. W. Benjamin voit dans l'Ɠuvre de Kafka "un champ de force entre la Torah et le Tao" (GS, II, 3, p. 1212).

 Les derniers mots du prĂȘtre : « La cour ne veut rien de vous. Il vous accueille quand vous venez et vous laisse partir quand vous partez » (tr. G. Zampa).

 Dans le chapitre X du ProcÚs, les deux bourreaux sont explicitement comparés par Josef K. à des « acteurs subalternes », à des « ténors », et la mise à mort évoque, comme il arrive souvent dans l'opéra kafkaïen, le rituel de Sheងitah, abattage kascher.

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 Ladislao Mittner rappelle (dans une note de son Histoire de la littérature allemande): «Lisant le premier chapitre de la Processus, Kafka a ri aux larmes ».

 Chapitre inachevĂ© Un rĂȘve, puis insĂ©rĂ©, comme une histoire Ă  part entiĂšre, dans le recueil Un mĂ©decin de campagne.

 La fameuse « fin » du roman inachevé : « 'Comme un chien', disait-il, c'était comme si la honte devait lui survivre » (tr. cit.).

 La lune est la "porte du ciel" et le vĂ©hicule des morts qui restent liĂ©s au destin terrestre, je Moi, les pĂšres". Le rĂąle du mourant Josef K. restera dans le flux samsarique, son existence tragi-comique et sa mort sont une vision pour ceux qui savent voir et une semence de renaissance pour ceux qui sont empĂȘtrĂ©s. Voir Ă  cet Ă©gard R. Giorgetti, Les Ă©manations du "Dark Satellite", sur AXIS mundi.

 Fin de l'histoire Prométhée: « La montagne rocheuse inexplicable est restée. - La légende essaie d'expliquer l'inexplicable. Puisqu'elle vient d'un fondement de vérité, elle doit encore aboutir à l'inexplicable ».

 Le poÚme donne son titre au premier recueil de vers de l'écrivain anglais, publié en 1900. Le texte est proprement double : il se compose d'un court monologue lyrique du Chevalier et d'un poÚme dramatique qui met en scÚne sa mort en mystique fou : " Je chevauche, / brûlant à jamais dans un feu dévorant".

 Lettre de septembre 1920.

 Les frÚres Karamazov, p. II, livre 6, chap. 1.

 Chesterton sobre (Autres enquĂȘtes). Selon Borges, Chesterton a cherchĂ© toute sa vie Ă  Ă©crire la parabole hĂ©roĂŻque du ProgrĂšs du pĂšlerin, mais quelque chose en lui est toujours restĂ© enclin Ă  Ă©crire la parabole kafkaĂŻenne du paysan devant la Porte de la Loi.

 Revenant Ă  la rĂ©flexion borgĂ©sienne : l'opposition entre se consumer violemment dans la flamme et dĂ©cliner indĂ©finiment dans la poussiĂšre de l'attente est ancienne - on la retrouve chez Caton (se rouiller ou se consumer), chez J. Conrad ("Dans la vie, comprenez, il y a n'est pas un grand choix. Pourrir ou brĂ»ler "), Ă  Michelstaedter, dans la roche ... À la lumiĂšre de ce qui a Ă©tĂ© dit, demandons-nous cependant si le saut vertical rouge de la flamme et la lĂšpre rouge de la rouille , si l'unification instantanĂ©e et la lente dĂ©sintĂ©gration de la poussiĂšre et de la cendre, ne sont pas des formes diffĂ©rentes du Temps, de son retarder (ou son impatience) essentiel par rapport Ă  l'Éternel : le swing de Chesterton (de Chesterton de Borges) n'est autre que la sagesse de coniunctio oppositorum. Le hĂ©ros qui s'embrase, le martyr, sans le retarder indĂ©cent du paysan - et sans humour troisiĂšme de ceux qui observent les deux scĂšnes - risque de ne pas ĂȘtre, Ă©vangĂ©liquement, "salĂ© de feu" (Mc 9,49) : ne pas avoir SOLDE.

 Mt 11,12:XNUMX: "Le royaume des cieux subit violence et les violents s'en emparent". MĂȘme dans le Talmud, les saints sages sont ceux qui "entrent sans demander la permission".

 Nuits 483-536.

 A.Kilito, L'oeil et l'aiguille. Essai sur les "Mille et une nuits", Le Nouveau Melangolo, GĂȘnes, 1994.


 

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