Les lointaines origines du carnaval sarde

Un voyage passionnant pour découvrir le lien entre les festivités du carnaval, fleuron du folklore sarde, et les cultes ancestraux qui ont marqué son passé


di Alberto Massaiu

Article initialement publiĂ© sur blog de l'auteur le 15 fĂ©vrier 2015. Étant donnĂ© que le rapport rapportĂ© ici intĂšgre des sujets dĂ©jĂ  traitĂ©s sur notre site, mention sera faite des articles prĂ©cĂ©dents publiĂ©s oĂč ils peuvent Ă©clairer certains points du discours qui autrement pourraient ĂȘtre obscurs.


Ce que je vais vous dire dans cet article est le rĂ©sultat des suggestions issues de la lecture d'un livre par DolorĂšs Turchi, spĂ©cialiste des traditions populaires mĂ©diterranĂ©ennes. La renommĂ©e des masques sardes archaĂŻques, fascinants et inquiĂ©tants atteint des rivages bien plus Ă©tendus que les nationaux. Les Ă©trangers du monde entier se rendent en Sardaigne pendant la pĂ©riode du carnaval, ou pendant les festivals d'Ă©tĂ© ou mĂȘme dans des dĂ©filĂ©s cĂ©lĂšbres comme le Cavalcade sarde de Sassari, en mai, une opportunitĂ© unique oĂč vous pouvez trouver, concentrĂ© en un seul endroit, les masques les plus cĂ©lĂšbres, comme les cĂ©lĂšbres mamuthonesle boes et merdules.

Eh bien, cet article plongera dans l'obscuritĂ© de tradition orale et consuetudine. Peu ou rien dont nous parlerons vient de la tradition historique, du moins au sens acadĂ©mique oĂč par histoire nous entendons ce que nous pouvons prouver sur des textes, des documents, des trouvailles. Ensemble, nous allons errer dans le monde du folklore le plus ancien et d'une religion paĂŻenne trĂšs ancienne. Notre parcours se fonde avant tout sur des souvenirs de personnes ĂągĂ©es, sur d'hypothĂ©tiques reconstitutions, sur des rapprochements et des juxtapositions avec des rites et des traditions longtemps perdus. Bouclez votre ceinture et prĂ©parez-vous Ă  vous immerger dans un monde qui nous est totalement Ă©tranger.

Commençons par quelques considérations historiographiques (oui, ce seront les seules, je vous le garantis) qui nous aideront à mieux cadrer ce que nous allons voir ensemble. Les origines du carnaval sarde remontent à au moins 3.000 XNUMX ans et au cours des siÚcles, ils ont subi toute une série d'infiltrations, de contaminations, de révolutions et de superpositions culturelles par les nombreux peuples venus d'outre-mer. Le plus grand coup, d'un point de vue anthropologique, a été porté à la suite de l'affirmation du christianisme, qui, selon sa coutume, a tenté de chevaucher et d'incorporer la tradition païenne, "domestiqué" les parties les plus contraires à ses principes et vidant les gestes et les rituels de la sens originel.

[cf. Maculotti, De Pan au Diable : la « diabolisation » et la suppression des anciens cultes européens]

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Une représentation du deuxiÚme concile de Nicée.

Ce fut une longue tĂąche, durant des gĂ©nĂ©rations et des gĂ©nĂ©rations, mais pas impossible. C'est que le christianisme a pu se servir d'hommes savants et sages qui Ă©crivaient et annotaient tout. Ils pouvaient facilement transfĂ©rer des informations, des rĂšglements et des rĂšgles, auxquels ils combinaient un systĂšme d'administration vaste, puissant, riche et centralisĂ©. DĂšs les premiers conciles de NicĂ©e (325 aprĂšs J.-C.), d'ÉphĂšse (431 aprĂšs J.-C.) et de ChalcĂ©doine (451 aprĂšs J.-C.), puis la pratique des bulles papales du Moyen Âge, tout a Ă©tĂ© codifiĂ©, archivĂ© et Ă©tudiĂ©. Un systĂšme beaucoup plus solide et organisĂ© que les traditions orales du paganisme classique et mystĂ©rieux.

La procĂ©dure Ă©tait simple et relativement indolore. L'Ă©vĂȘque, qui sĂ©journait dans une grande ville peuplĂ©e oĂč le prosĂ©lytisme Ă©tait plus facile, commença Ă  s'enquĂ©rir des cultes ruraux dĂ©diĂ©s Ă  Dionysos, DĂ©mĂ©ter, Diane et des milliers d'autres, souvent liĂ©s aux cycles de la nature et des saisons, ou des eaux. ou plus de fertilitĂ©. À ce stade, il Ă©tait seul une opĂ©ration de crĂ©ativitĂ© d'abord et de propagande ensuite. Il y avait un saint local - mieux encore un beau martyr -, on lui attribuait un miracle liĂ© au culte qui se pratiquait dans le sanctuaire paĂŻen et il Ă©tait associĂ© Ă  la fĂȘte locale. Des saints et saintes sont alors apparus qui avaient accompli des miracles liĂ©s aux pluies dans les Puits ou dans les Sources SacrĂ©es, ou d'autres qui traitaient des maladies spĂ©cifiques lĂ  oĂč les paĂŻens croyaient qu'il Ă©tait possible d'obtenir chance et santĂ© et encore certains capables de protĂ©ger les rĂ©coltes oĂč CĂ©rĂšs et les divinitĂ©s Ă©taient vĂ©nĂ©rĂ©es dans ses affini et ainsi de suite.

[cf. Maculotti, Imbolc, la triple déesse Brigit et l'incubation du printemps]

On retrouve aussi tout cela dans la mĂȘme langue. Savez-vous d'oĂč vient le terme pĂ©joratif paĂŻen ? Du terme latin tardif Pagus, ou celui qui vivait Ă  la campagne. Les paĂŻens Ă©taient ceux qui, vivant loin des villes, qui se christianisĂšrent plus rapidement, continuĂšrent Ă  pratiquer les anciens cultes locaux et ruraux de leurs ancĂȘtres. C'est pourquoi la Sardaigne a conservĂ© si longtemps les vestiges de ses anciennes traditions. Car, sauf sur les cĂŽtes, elle n'a jamais connu un grand dĂ©veloppement urbain. De plus, il Ă©tait trĂšs difficile de traiter avec les peuples de l'intĂ©rieur, perchĂ©s sur leurs montagnes escarpĂ©es et dans les bois impĂ©nĂ©trables, qui restĂšrent presque entiĂšrement paĂŻens jusqu'au IXe siĂšcle, sinon au-delĂ .

Certes, dans l'ßle, le travail de superposition avec le christianisme a eu lieu à une époque plus tardive que dans d'autres régions d'Europe et surtout de maniÚre beaucoup plus superficielle. C'est pour cette raison que nous pouvons trouver des références beaucoup plus claires et plus précises aux rites qui y ont été pratiqués il y a des milliers d'années. Les masques du carnaval sarde changent d'une région à l'autre, d'une ville à l'autre, mais ils conservent toute une série de traits communs, les référant presque tous (surtout ceux de l'intérieur) à une seule origine. Un culte ancien et probablement violent, lié à la fécondation de la terre et au sacrifice dionysiaque.

Nous avons aussi pris un gros risque. Au tournant de la PremiĂšre Guerre mondiale, avec de nombreux jeunes Sardes rappelĂ©s et tuĂ©s au front (plus de 13.500 XNUMX morts dans les tranchĂ©es de la Piave, de l'Isonzo et du Carso), avec le dĂ©racinement des nouvelles gĂ©nĂ©rations de leurs pays d'origine Il y avait un Ă©cart culturel, vĂ©ritable coup fatal Ă  une tradition orale ; beaucoup de jeunes n'ont pas appris leurs traditions des aĂźnĂ©s. Les diffĂ©rents carnavals ont Ă©tĂ© abandonnĂ©s, tombant en dĂ©suĂ©tude. L'industrialisation, l'urbanisation et un modernisme exaspĂ©rĂ© (qui au tournant des XIXe et XXe siĂšcles ont conduit au "rĂ©amĂ©nagement" des centres historiques, un euphĂ©misme par lequel la dĂ©molition d'Ă©difices mĂ©diĂ©vaux, de tours, de murailles et mĂȘme de chĂąteaux Ă©tait justifiĂ©e pour faire place Ă  de nouvelles constructions au goĂ»t plus contemporain) ont fait le reste. Heureusement, au cours des derniĂšres dĂ©cennies, derriĂšre la poussĂ©e d'une nouvelle gĂ©nĂ©ration d'Ă©rudits, avec un intĂ©rĂȘt touristique et culturel pour les traditions anciennes, on a tentĂ© de reconstituer au moins la forme extĂ©rieure de ces anciens cultes perdus.

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Mamuthones et issohadores, Carnaval de Mamoiada.

Mais regardons de plus prĂšs certains de ces masques. Nous avons, le plus cĂ©lĂšbre de tous, i mamuthones et issohadores de Mamoiada, le carnaval sarde le plus connu. Les premiers ont des masques de bois noir, teints au charbon de bois, aux traits humanoĂŻdes inquiĂ©tants. Ils portent de la peau de mouton et de lourdes cloches sur le dos, qui signalent son arrivĂ©e de loin, car autrefois Ă  la guerre les ennemis Ă©taient terrifiĂ©s par le son sourd des cors et des tambours de combat. LA mamuthones ils marchent solennellement, exĂ©cutant les pas d'une danse composĂ©e de sauts rythmĂ©s, visant Ă  faire le plus de bruit possible, essayant de se souvenir des bruits d'un grand troupeau qui approche. Les issohadores ce sont plutĂŽt des humains, Ă©galement transfigurĂ©s et dĂ©shumanisĂ©s par des masques blancs cryptiques, vĂȘtus de vestes et de pantalons rouges de la mĂȘme couleur que leurs masques. Les mamuthones essayer de leur Ă©chapper issohadores qui, armĂ©s de lacets, en capturent parfois un, qui se tord et se lamente. Maintenant, tout a pris une touche ludique et folklorique, oĂč le issohadores il s'agit plutĂŽt de "capturer" un jeune touriste qui regarde le spectacle, mais il Ă©tait une fois un vrai rituel qui avait ses racines dans le monde agro-pastoral et oĂč, probablement, i mamuthones capturĂ©s reprĂ©sentaient des victimes symboliques (et peut-ĂȘtre dans des temps vraiment anciens pas seulement) d'un sacrifice liĂ© Ă  la prospĂ©ritĂ© des troupeaux et des rĂ©coltes.

Ad Ottana nous avons Ă  la place des figures un peu moins connues, bien qu'elles soient trĂšs importantes dans la tradition carnavalesque sarde : il bouĂ©es, le merde et la Filonzana. Le carnaval d'Ottana est peut-ĂȘtre le plus cĂ©lĂšbre aprĂšs celui de Mamoiada et a conservĂ© certaines des rĂ©fĂ©rences les plus anciennes de la tradition paĂŻenne. LA boes ils sont, comme vous pouvez l'imaginer, la reprĂ©sentation de bƓufs. Ils ont de grandes toisons de moutons ou de chĂšvres, une bande de gigantesques sonnailles - qui pĂšsent 30-35 kg - et de beaux masques bovins avec des feuilles sculptĂ©es sur les joues et avec un Ă©trange symbole sur le front, en forme d'Ă©toile, dont la signification demeure obscur. Le masque est complĂ©tĂ© par les yeux, en amande et toujours vers le haut, le museau prononcĂ© et les cornes hautes, traditionnellement de 15-20 cm, droites ou recourbĂ©es vers l'intĂ©rieur.

I merde ils sont une version diffĂ©rente de la issohadores. Ils portent les mĂȘmes peaux que les boes, ils ont un pantalon de velours noir et un mouchoir de la mĂȘme couleur sur la tĂȘte. Ils apportent des masques humanoĂŻdes noirs comme la braise, dĂ©formĂ©s et souriants comme s'il s'agissait de vieux bergers courbĂ©s par la fatigue. Sur les Ă©paules ils portent "Sa taschedda", un sac en cuir brun tannĂ©, oĂč les fournitures Ă©taient autrefois stockĂ©es. Ils marchent pĂ©niblement en se tenant Ă  un dit bĂąton "Su mazzuccu" et poussant des lamentations Ă©tranges et lugubres.

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Boes et merdules, Carnaval d'Ottana.

I boes ils sont souvent attelĂ©s ensemble et stimulĂ©s par merdules, qui jouent leurs maĂźtres humains. LA boes ils peuvent donner des coups de pied, se dĂ©chaĂźner, tomber au sol. Ici l'ancienne pantomime a lieu, oĂč je merdules ils doivent s'agenouiller et calmer l'animal en le caressant sur le museau et en l'encourageant pour qu'il se remette sur pied et reprenne son dur travail de labourage du sol dans un rite archaĂŻque de fertilisation de la terre. ParticuliĂšrement troublants sont les deux personnages qui clĂŽturent gĂ©nĂ©ralement le cortĂšge, le merde qui apporte avec elle "S'orriu", un cylindre de liĂšge recouvert de cuir tannĂ© qui a une longue corde Ă  l'intĂ©rieur qui est frottĂ©e par les mains, spĂ©cialement graissĂ©es avec de la graisse, du merde. Ce geste produit un son sourd et bas qui sert Ă  intimider le boes, les rendant plus doux et dociles envers leurs maĂźtres.

Si alors je boes continuer Ă  rebeller le dernier et le plus terrible personnage du Carnaval ottanais, le Filonzana. Ce masque reprĂ©sente une vieille femme, tout de noir vĂȘtue comme les veuves sardes avec jupe et chĂąle, petite et bossue, presque ratatinĂ©e en elle-mĂȘme. Il porte un mouchoir noir sur la tĂȘte et un masque en bois de poirier sauvage, l'arbre sacrĂ© de toute une sĂ©rie de divinitĂ©s lunaires et souterraines telles que PersĂ©phone, Zeus Katactonios et Kronos-Pluvius, rĂ©pandues dans toute la MĂ©diterranĂ©e bien qu'avec d'autres noms Ă©galement. teint en noir. L'homme (traditionnellement aucun masque de carnaval ne peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© par une femme) se dĂ©place de maniĂšre maladroite et pendante. Dans un silence total, qui contraste encore plus avec les gĂ©missements et beuglements des autres personnages, il porte avec lui un fuseau et de gros ciseaux. La Filonzana c'est elle qui tisse le fil de la vie, une figure cryptique, craintive et sombre, qui envoie un frisson dans le dos alors qu'il s'approche de quelqu'un pour menacer de couper le mince fil de son existence.

Dans le monde archaïque ce masque avait une valeur sacrée trÚs puissante. Elle était la Parca de la tradition hellénique, la maßtresse des destinées et du destin. Un personnage qui, s'il n'est pas respecté et craint correctement, pourrait apporter le malheur, la malédiction, la famine et la mort aux profanateurs du Rite. Dans un ancien monde agro-pastoral qu'il était, et qu'il est encore dans une faible mesure, le monde sarde, lié au caprice des saisons et à des forces naturelles incompréhensibles, la superstition et la bienveillance des divinités jouaient un rÎle fondamental et Filonzana il était leur héraut dans le monde.

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La Filonzana, Carnaval d'Ottana.

Cela nous permet également de comprendre le niveau de syncrétisme religieux, de contamination et de traduction des rituels d'une culture à l'autre en Méditerranée. En Sardaigne, comme dans la Grande GrÚce italienne, les mystÚres éleusiniens et dionysiaques étaient pratiqués, fortement ancrés à la nature, aux cycles et saisons lunaires, à la terre et à l'eau. Beaucoup de ces rites typiquement ruraux étaient liés dans l'Antiquité à des sacrifices d'animaux mais aussi, trÚs probablement, à des sacrifices humains. Certes ces sacrifices étaient violents et avaient leur principe salvateur dans le sang. Le sang, qui apporte la vie, est la seule chose capable de féconder la terre et de demander aux dieux une bienveillance et des faveurs particuliÚres.

Avant d'ĂȘtre scandalisĂ© par un acte d'une telle barbarie pour notre civilisation moderne et avancĂ©e, replaçons-le dans le contexte de ce monde perdu dans les tĂ©nĂšbres de l'histoire. La vie Ă©tait beaucoup plus prĂ©caire, la mort une constante constante. Pour une grippe lĂ©gĂšre ou un accouchement, ou pour une coupure anodine, vous pourriez y laisser vos plumes. L'agriculture et l'Ă©levage permettaient une trĂšs maigre subsistance et seuls les nobles, les castes sacerdotales, les guerriers et peut-ĂȘtre les premiers marchands atteignaient l'Ăąge de 40 ans. Les paysans mouraient Ă  20-25 ans si cela leur convenait et la mortalitĂ© infantile et fĂ©minine Ă©tait trĂšs Ă©levĂ©e. Nous Ă©tions habituĂ©s Ă  la mort de façon beaucoup plus marquĂ©e que nous ne le sommes et, surtout, cela Ă©tait vĂ©cu comme un phĂ©nomĂšne collectif. Dans les petits villages, les funĂ©railles de n'importe qui Ă©taient partagĂ©es par toute la communautĂ© et donc mĂȘme enfant, si l'on avait eu la chance de surmonter la zone rouge de l'enfance, il y avait de nombreuses transitions. À tout cela, nous ajoutons la guerre, les querelles et l'esclavage, dans un monde oĂč le concept de droit de l'homme n'existait pas et oĂč les valeurs maximales Ă©taient incluses dans le "Lois de l'hospitalitĂ©" - cher aux Grecs, comme nous le dit HomĂšre, mais aussi aux Sardes, oĂč ils vivent encore aujourd'hui - et dans les Pietas religieux.

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Regardons les mythes mĂ©sopotamiens, Ă©gyptiens, hĂ©breux, grecs, Ă©trusques, latins, celtiques, germaniques. Nous avons des divinitĂ©s, des demi-dieux, des hĂ©ros et des princes qui tuent traĂźtreusement, taillent en piĂšces, violent, torturent, font mĂȘme festoyer les pĂšres de leurs fils et filles (vous souvenez-vous de la malĂ©diction des Atrides, la lignĂ©e d'Agamemnon ?), pratiquent l'inceste, la pĂ©dophilie, le meurtre de proches, voire la zoophilie et la nĂ©crophilie. Si vous prenez le temps de lire certains mythes grecs ou Ă©gyptiens, vous vous retrouverez Ă  explorer un film d'horreur quelque peu pervers selon nos normes. Mais mĂȘme la Bible ne plaisante pas, Ă  partir du Bon Ancien Testament, avec des villes balayĂ©es, des inondations universelles, des meurtres et ainsi de suite jusqu'au sacrifice final, qui devait mettre fin Ă  tous les autres sacrifices, du mĂȘme fils de Dieu , JĂ©sus-Christ (saviez-vous qu'une accusation que les Romains faisaient aux chrĂ©tiens, ne comprenant naturellement pas la profondeur et le sens de ce geste, Ă©tait prĂ©cisĂ©ment celle de "dĂ©icide" ?).

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Défilé avec la marionnette de Don Conte, Carnaval d'Ovodda.

De nombreux Ă©rudits des religions anciennes pourront vous expliquer que trĂšs souvent ces mythes avaient une signification qui, Ă  leur maniĂšre, servait Ă  Ă©duquer les gens sur ce qu'il ne fallait pas faire. Il l'a fait dur et brut, avec des exemples terribles, pourquoi le monde dans lequel nous vivions Ă  l'Ă©poque Ă©tait encore plus dur et terrible que les mythes eux-mĂȘmes. Nous avons raison d'ĂȘtre scandalisĂ©s, bien que nous aussi, entre les guerres mondiales, les armes atomiques, l'exploitation du tiers-monde, la drogue, etc., ne soyons pas Ă  notre tour vierges. Tout ce raisonnement que j'ai fait pour introduire, l'esprit libre de toute une sĂ©rie de "bonnes" idĂ©es reçues morales que l'on Ă©lĂšve pour protĂ©ger notre psychisme, la derniĂšre partie de cet article, relative Ă  figures les plus controversĂ©es et dĂ©rangeantes du Carnaval et ce que je crois Ă©tait sa signification la plus sombre et la plus cachĂ©e.

Pour l'introduire, nous voyons rapidement toute une sĂ©rie de masques qui, avec les particularitĂ©s naturelles et Ă©videntes dues aux diffĂ©rences de cĂ©lĂ©bration d'un pays Ă  l'autre, ont cependant une rĂ©fĂ©rence assez claire au schĂ©ma que nous avons esquissĂ© pour Mamoiada et Ottana. Nous avons "Sos corrioles" par Neoneli, dans la province d'Oristano. RĂ©cemment dĂ©couvert grĂące Ă  des documents du XVIIIe siĂšcle, il porte une coiffe en liĂšge, sur laquelle sont appliquĂ©es des cornes de cerf ou de daim, est vĂȘtu de peaux de hĂ©risson et porte sur le dos des os d'animaux Ă  la place des sonnailles, qui sont agitĂ©es de mouvements rythmiques semblables Ă  ceux de la mamuthones ou de boes. Probablement, mais ceci est mon opinion personnelle, ce masque reprĂ©sentait la clĂŽture du cycle des travaux agricoles, c'est-Ă -dire la chasse, qui complĂ©tait la triade composĂ©e de l'agriculture et de l'Ă©levage. Ses animaux de rĂ©fĂ©rence Ă©taient clairement sauvages et non domestiques ou semi-domestiques comme les bƓufs, les moutons ou les chĂšvres ou les cochons et rappelaient donc l'Ă©poque oĂč un gibier Ă©pais et nombreux vivait dans les forĂȘts de la Sardaigne. Il doit avoir la mĂȘme origine "Est cerbus" par SinnaĂŻ, dans la province de Cagliari, Ă©galement en mĂ©moire des anciennes expĂ©ditions de chasse.

Pour clore cette section, l'avant-derniĂšre de l'article, je voudrais mentionner que je Turpos par Orotelli, totalement vĂȘtus de capes et de capuchons sombres, sans masque mais avec un visage teint en noir avec du charbon de bois et portant de petites clochettes sur l'Ă©paule. Eux aussi s'inscrivent dans la tradition de Mamoiada et d'Ottana, comme elles reprĂ©sentent toute une sĂ©rie de pantomimes du monde pastoral et paysan, avec des jougs pour les bĂȘtes, de petites charrues et des collets pour capturer les bĂȘtes et les touristes.

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Les turpos du Carnaval Orotelli.

TrĂšs bien. Nous voici arrivĂ©s Ă  la partie finale et conclusive de notre voyage « initiatique » dans l'exploration d'un culte plus ancien de la civilisation classique. Pour ce faire, nous utiliserons certains des masques les plus sombres et les plus tragiques du carnaval sarde. Maintenant, vous saurez le "Mascaras Bruttas" plus sombre. Avec le terme mascaras moches ils ont indiquĂ© les masques qui avaient des rĂ©fĂ©rences trop Ă©videntes Ă  la tradition paĂŻenne et ont donc Ă©tĂ© fortement combattus par l'Église au cours de son travail d'Ă©vangĂ©lisation (d'ailleurs dans ce cas c'Ă©tait une tentative avortĂ©e, car heureusement, au moins dans les formes, ces cĂ©rĂ©monies se sont conservĂ©es jusqu'Ă  l'aube du XXe siĂšcle), ce qui les sĂ©parait de "Mascara nettas", ou parmi celles considĂ©rĂ©es comme plus anodines et donc admises.

[cf. Maculotti, Le substrat archaĂŻque des fĂȘtes de fin d'annĂ©e : la signification traditionnelle des 12 jours entre NoĂ«l et l'Epiphanie]

Voici les "victimes" du Carnaval : les S'Urzu par Samugheo, S'Orku foresu de Sestu, Don ContĂ© d'Ovodda et le plus cĂ©lĂšbre "Su Battileddu" par Lula. S'Urzu est victime de mamutzones (lĂ©gĂšrement diffĂ©rent de mamuthones de Mamoiada) de Samugheo. Ceux-ci, avec de lourdes cloches et une danse rythmique ancienne, chassent leUrzu, vĂȘtu d'une peau de chĂšvre noire, porte une seule cloche de vache suspendue Ă  son cou et est tenu en lasso par S'Omadore, son berger. Le masque portĂ© parUrzu il est zoomorphe, souvent une vĂ©ritable tĂȘte de bouc empaillĂ© avec de grandes cornes et l'assistant a un visage complĂštement noirci par le charbon et la suie. S'Omadore et mamutzones ils poussent et piquent la pauvre victime pendant toute la procession qui, dans un passĂ© lointain, se terminait probablement devant un autel sacrificiel.

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MĂȘme triste histoire aussi pour S'Orku foresu, Ă©galement ligotĂ©, poussĂ©, battu et poussĂ© par mustayonis tiges de roseaux et d'olivier (peut-ĂȘtre dans l'antiquitĂ© Ă©taient-elles en fer et pointues), ses Mamuthones ante litam. Il est Ă©galement chargĂ© de sonnailles, a un masque avec des cornes, des robes noires et tout. Quand il est tombĂ©, mourant dans la fiction scĂ©nique-dramatique de la pantomime, je mustayonis ils crient fort "S'Orku foresu pedditzoi !". Mais, dans un geste qui signifiait la nature cyclique de la vie dans un processus de mort et de renaissance, il suffisait de jeter prĂšs de laOrku un peu de paille et d'eau pour le voir renaĂźtre comme par magie, comme la terre devait le faire aprĂšs l'hiver.

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S'Urzu.

TrĂšs similaire dans sa signification mais encore plus tragique dans sa reprĂ©sentation, nous avons le Don ContĂ©. Il est le protagoniste absolu de la reprĂ©sentation de la ville d'Ovodda, mais il n'est jouĂ© par personne. C'est une marionnette composĂ©e de chiffons noirs, avec un masque dĂ©formĂ© en liĂšge ou en papier mĂąchĂ©. Il est portĂ© en procession sur une charrette tirĂ©e par un Ăąne et cĂ©lĂ©brĂ© dans les rues de la ville comme une sorte de "Roi du Carnaval". Au crĂ©puscule, cependant, il est symboliquement exĂ©cutĂ©, brĂ»lĂ© et les restes jetĂ©s d'un escarpement Ă  la pĂ©riphĂ©rie de la ville.. À ce stade, les passants vont cĂ©lĂ©brer tous ensemble avec un grand banquet commun jusque tard dans la nuit. Si nous lisons au-delĂ  des lignes du festival folklorique, cela nous fait frissonner de penser qu'il Ă©tait une fois, peut-ĂȘtre, au lieu de cette marionnette, il aurait pu y avoir un ĂȘtre humain. Il Ă©tait probablement un prisonnier de guerre, un Ă©tranger, un fou, un esclave ou un criminel, qui servait de vĂ©ritable bouc Ă©missaire aux pĂ©chĂ©s de la communautĂ©, dans un ancien rite violent de purification.

[cf. Maculotti, Cycles cosmiques et régénération du temps : rites d'immolation du "Roi de l'année ancienne"]

Enfin, mais non des moindres, nous avons il Battileddu. Figure tragique et masque impressionnant, c'est la vĂ©ritable reprĂ©sentation Ă  la fois de la notion de bouc Ă©missaire et du sacrifice orgiaque de l'empreinte « dionysiaque ». Soyons clairs, avec "Dionysiaque", je ne veux pas dire qu'en Sardaigne exactement le Dionysos grec-classique Ă©tait vĂ©nĂ©rĂ©. Dionysos Ă©tait en fait une figure trĂšs ancienne, probablement une divinitĂ© de la nature commune Ă  tous les peuples indo-europĂ©ens, Ă  tel point que son expansion cultuelle (avec des noms diffĂ©rents, bien sĂ»r) s'Ă©tend de l'Iran Ă  la France et l'Espagne. Dionysos Ă©tait une divinitĂ© liĂ©e Ă  la fertilitĂ©, Ă  la nature, au cycle de la vie et aux saisons. Dans son mythe, mĂȘme dans le monde grec, il mourut violemment et renaĂźt continuellement, comme la nature faisait en hiver et au printemps.

[cf. Maculotti, Cernunno, Odin, Dionysos et autres divinités du "Soleil d'hiver"]

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Le Battileddu.

Comme le savent nombre de ceux qui ont fait des Ă©tudes classiques, les cultes dionysiaques se sont caractĂ©risĂ©s par des explosions de violence et de brutalitĂ© hors du commun. Les hommes et les femmes qui y ont participĂ© sont entrĂ©s dans un Ă©tat de transe mystique si fort qu'il les faisait ressembler davantage Ă  des bĂȘtes qu'Ă  des hommes. Si vous vous souvenez du mythe d'OrphĂ©e, il est tuĂ© et mis en piĂšces par un groupe de Bacchantes, prĂȘtresses de Dionysos. Ici, le masque du Battileddu son visage est tachĂ© de sang, noirci de suie, et il porte deux grandes cornes de bouc. Son corps est recouvert de peaux de mouton et de mouton, sous lesquelles est placĂ© un estomac de bƓuf rempli de sang et portant des sonnailles.

"Su Battileddu" il est la victime sacrificielle du Carnaval et des masques à face noire se déplacent autour de lui et l'attaquent plusieurs fois au point de le tuer. A l'aide d'épingles et de petits couteaux, ils transpercent l'estomac de la victime, faisant s'échapper le sang de l'animal qui, avec une dramatique signification ancestrale, va fertiliser la terre. Ici aussi, comme pour Don Conté, le Battileddu mourant, on le fait parader sur un char au milieu de l'agitation de la foule, mais à la fin il ressuscitera, comme dans le mythe dionysiaque. D'autre part en langue sarde on dit le Carnaval "Karraségare" qui dans le sens le plus ancien signifie littéralement « couper » ou « scier » la chair, en souvenir éternel de la violence de certains rituels trÚs lointains.

Nous venons de fermer. J'espĂšre ne pas vous avoir trop traumatisĂ© avec mon histoire sur les masques sardes. Mon opinion est le rĂ©sultat d'une sĂ©rie de lectures, d'arguments et de rapprochements, mais elle n'a pas de textes Ă©crits pour l'Ă©tayer (sauf un sermon de saint Augustin, Ă©vĂȘque d'Hippone en Afrique, qui au Ve siĂšcle de notre Ăšre, il se plaint de mouvements honteux, de chants et de robes bestiaux, de cornes de cerf ou de chĂšvre et de sacrifices paĂŻens dans la province de Sardaigne) ou des preuves archĂ©ologiques, sinon des reconstitutions faites par des spĂ©cialistes du folklore et des traditions orales. Nous savons avec certitude que Dionysos avait de nombreux de ses autels dans les bois, dans les fontaines et dans des endroits inaccessibles ; on sait qu'elle se manifestait souvent sous forme de bouc ou de cerf et qu'en Sardaigne une divinitĂ© de ce type s'appelait MaĂŻmone, au moins depuis l'Ăšre nuragique (Mamuthone, mamutzone, il faut absolument) et Ă©tait liĂ©e Ă  la force virile et Ă  la fĂ©conditĂ©. J'ai tirĂ© des conclusions qui me fascinent, mais je ne prends pas le droit de dire que ce sont la vĂ©ritĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e.

En tout cas, je vous souhaite Ă  tous de venir en Sardaigne et d'ĂȘtre tĂ©moins de ces Ă©chos d'Ă©poques lointaines dans les fĂȘtes et foires organisĂ©es Ă  cette Ă©poque Ă  Bosa, Mamoiada, Samugheo, Ottana et de nombreux autres villages de l'intĂ©rieur. Si, par contre, vous voulez un peu de temps en une journĂ©e, profitez de la Balade de Sassari, en mai, oĂč vous pourrez admirer non seulement les masques folkloriques, mais aussi les anciens costumes traditionnels de ma terre. C'est un spectacle Ă  ne manquer sous aucun prĂ©texte au monde, aussi parce que leur destin, comme toutes les traditions orales et coutumiĂšres, est fortement menacĂ© par l'insouciance et la superficialitĂ© de notre sociĂ©tĂ© moderne et consumĂ©riste.

 

6 commentaires sur "Les lointaines origines du carnaval sarde »

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