Francesco Petrarca et la recherche du dernier Thulé

Le voyage aventureux du poÚte sur les traces des géographes grecs et latins, à la recherche de Thulé, la patrie hyperboréenne perdue et mythique


di AnnaMB
article initialement publié sur
La mesure des choses, Blog de l'auteur


Premier poĂšte moderne, pĂšre de l'Humanisme, PĂ©trarque (1304-1374) se souvient rarement de sa passion pour les voyages, grĂące Ă  laquelle il acquit une connaissance peu commune de la cartographie et de la gĂ©ographie Ă  l'Ă©poque, au point d'ĂȘtre apostrophĂ© par certains de ses plus grands Ă©rudits peregrinus ubique (pĂšlerin partout) e "Le touriste agitĂ©"; par ailleurs, cet aspect Ă©tait bien connu de ses contemporains, pour qui il Ă©tait, Ă  ce titre Ă©galement, une autoritĂ© intellectuelle incontestĂ©e. Observateur attentif, il propose dans le La vie solitaire un tĂ©moignage « de premiĂšre main » sur la (re)dĂ©couverte et la colonisation de l'Ăźle Fortunata au milieu du XIVe siĂšcle, comme le fera Boccace dans La Canarie  .

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Portrait de Francesco Petrarca.
Le poÚte voyageant entre métaphore et réalité

PĂ©trarque Ă©tait tout sauf un voyageur passif, un simple observateur qui se bornait Ă  enregistrer les Ă©vĂ©nements attribuables Ă  la naissance gĂ©ographique du Nouveau Monde ; il possĂ©dait une grande conscience de lui-mĂȘme de sa propre position dans le temps et dans l'espace et une pleine conscience des distances qui le sĂ©paraient des lieux, vus ou rĂȘvĂ©s, et il savait maĂźtriser aussi bien le cĂŽtĂ© rhĂ©torique qu'idĂ©ologique.

Son apport poétique à la perception et à la réorganisation du concept d'espace au seuil du XVe siÚcle, en particulier dans l'espace méditerranéen franco-italien avec ses spécificités et ses discontinuités culturelles, c'est un véritable travail de médiation : philologiquement s'appropriant la conception augustéenne de l'espace, il contribue à la transition entre le classique La géographie politique romaine à une nouvelle représentation moderne de l'espace.

L'une de ces « appropriations littĂ©raires » est l'intĂ©rĂȘt et l'approfondissement, devenus peu Ă  peu une recherche effrĂ©nĂ©e, envers tous les tĂ©moignages classiques et contemporains concernant cette Ăźle mystĂ©rieuse et trĂšs lointaine appelĂ©e par Virgile "dernier Thulé».

« 
 Et vous tous, dieux et dĂ©esses dont le devoir est de protĂ©ger les champs [
] ; et toi d'abord, ĂŽ CĂ©sar [octavien Auguste divinisĂ©], [...] que tu viennes comme dieu de l'immense mer, afin que les marins t'honorent comme leur seul dieu et que l'extrĂȘme ThulĂ© [tibi sĂ©rviat Ășltima ThĂșle] t'asservir et Teti t'accueille de toutes les vagues..." 

Sans crainte d'impudeur, dans certaines lettres contenues dans le Famille PĂ©trarque prenait plaisir Ă  se comparer et Ă  comparer sa haute rĂ©putation Ă  celle des grands voyageurs du passĂ© tels que Ulysse, expliquant le dĂ©sir de voyager avec la noblesse d'Ăąme qui Ă©tait la sienne. Cependant, ce noble intĂ©rĂȘt est Ă©galement utilisĂ© par PĂ©trarque comme une couverture rhĂ©torique, un expĂ©dient pour traiter d'autres questions au cƓur de nature politico-stratĂ©gique.

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Portrait d'un poĂšte, peut-ĂȘtre PĂ©trarque, 1500-25, via The Walter Museum.
La fuite du temps, la vanité des choses

Un savoir faire exemplaire"laquelle est la plus diffĂ©rente et la plus nouvelle» Des peuples et des pays, de la cartographie humaine et politique et de la gĂ©ographie il l'a acquise par une Ă©tude et une redĂ©couverte philologique, vraiment au sens moderne, des gĂ©ographes latins, mĂȘme dits mineurs, de Pomponio Mela Ă  Vibio Sequestre. Des Grecs, il a appris la perspective d'un "autre" point de vue par rapport au paysage familier, il a Ă©tĂ© fascinĂ© par la maniĂšre dont, par exemple, aux yeux d'HomĂšre, les terres d'Italie Ă©taient situĂ©es, exotiques et lointaines, aux « marges » de la rĂ©alitĂ© : les Ăźles Éoliennes, le lac Averno, le mont CircĂ©...

l'ensemble corpus quelques lettres Famille, recueilli au sommet de sa carriÚre entre 1349 et 1351, se concentre sur la thÚme de voyage, de connaissance et description des pays et des peuples, des découvertes, des curiosités, c'est en effet le principal projet épistolaire. Et aussi l'amitié et l'amour, la religion, la politique, l'antiquité et la littérature, l'histoire, la culture, liberté intellectuelle, solitude
 La matiÚre de ces lettres est vraiment trÚs variée .

Dans ce recueil, les voyages des jeunes passent par un processus de crĂ©ation de mythes, des Ă©lĂ©ments de fiction sont ajoutĂ©s pour rendre le souvenir plus suggestif ; l'auteur Ă©tait d'ailleurs dans une phase de remise en cause profonde de ses expĂ©riences, au lendemain de son retour dĂ©finitif en Italie entre 1347 et 1353 (incertain d'accepter la couronne de laurier, la plus haute reconnaissance littĂ©raire, qui lui Ă©tait offerte en mĂȘme temps que celle des SĂ©nat de Rome, l'autre de l'UniversitĂ© de Paris, a dĂ©cidĂ© de le recevoir en Italie et non en France).

Mirabilia et longues distances

Vers 1350, PĂ©trarque acquiert une copie du Histoire naturelle par Pline l'Ancien, et le dĂ©sir de se donner une image et de gagner la rĂ©putation d'un grand et hĂ©roĂŻque connaisseur des lieux mĂȘme trĂšs lointains semble s'intensifier, mĂȘme au bout du monde. Nous arrivons Ă  ThulĂ©: PĂ©trarque en parle dans une lettre, VIII du onziĂšme livre (Lettres, choses familiĂšres, Le Monnier 1863) adressĂ©e Ă  Andrea Dandolo de la RĂ©publique de Venise ; l'invitant Ă  renoncer Ă  la guerre avec GĂȘnes et Ă  abandonner l'intention des armes, lui promet une renommĂ©e qui atteindra jusqu'Ă 

« Vers le célÚbre et méconnu Thile, au bout du monde hyperboréen. "

Le poĂšte devait naviguer vers ThulĂ© dans les annĂ©es trente du XIVe siĂšcle, mĂȘme s'il est difficile de dresser une carte exacte de tous ses voyages : « il mentionne, mais obscurĂ©ment, qu'il a longĂ© les cĂŽtes de l'Espagne, qu'il a naviguĂ© sur l'ocĂ©an et encore, semble-t-il, ĂȘtre arrivĂ© en Angleterre mais il n'en a pas laissĂ© une connaissance plus exacte "(G. Tiraboschi, Histoire de la littĂ©rature italienne, 1826).

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Carte du Vinland, aujourd'hui Terranova, d'aprÚs une Mappa Mundi du XVe siÚcle, transcription d'un original du XIIIe. Si elle était vraiment authentique, cette carte serait la premiÚre connue sur laquelle la cÎte des Amériques du Nord est dessinée avant le voyage de Christophe Colomb en 1492. Cependant, il existe un doute, confirmé par des tests au carbone, qu'il s'agisse d'un faux parchemin vieilli. du vingtiÚme siÚcle. Via le Laboratoire national de Brookhaven bnl.gov.
ThulĂ© extrĂȘme

La lettre 1 du livre III des Famille il est adressé à Tommaso di Messina et est bien postérieur à la date fictive avec laquelle l'auteur l'a signé, 1333. Le poÚte se présente en train d'écrire de la "plage de la mer britannique, trÚs proche (selon ce qu'ils disent ) à l'ßle que nous cherchons". C'est à propos de Thulé, l'ßle du nord lointaine et fascinante dont l'identification est incertaine, entre la Scandinavie, l'Islande et le Groenland.

Pétrarque s'imagine là-bas, sur ces rivages, cherchant à tester du regard le bord de la mer. Lui aussi cherche Thulé (selon sa transcription, Tile ou Thile) : il recueille des informations « sur le terrain », combinées aux études des classiques qui rapportent des nouvelles de SénÚque à Virgile, à l'ouverture de la Géorgiques, et aprÚs eux "BoÚce et tous les rangs des écrivains" ; curieusement, seuls les érudits parlent d'elle alors que le peuple semble ignorer jusqu'à son existence, pourtant on s'accorde à la placer à l'ouest.

Lorsque PĂ©trarque rencontra Ă  Avignon Richard de Bury, qui s'y trouvait pour le compte du roi Edouard III d'Angleterre, il en profita pour lui demander lui aussi, homme de culture renommĂ© et bibliophile passionnĂ© ; l'Ă©vĂȘque d'Auckland a promis qu'il vĂ©rifierait ses papiers en rentrant chez lui, mais, Ă  notre grande dĂ©ception, il ne s'est plus jamais prĂ©sentĂ©.

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Et donc aucune nouvelle de ThulĂ© ne l'aide Ă  savoir que l'anglais. Puis il entre en possession d'une brochure d'un courtisan Giraldo d'Henri II, qui dĂ©clare que il y a des Ăźles Ă©parses dans l'ocĂ©an borĂ©al autour de la Bretagne et de l'extrĂȘme frontiĂšre occidentale, dont ThulĂ© serait la plus Ă©loignĂ©e, la "Maudit ThulĂ©, sous l'Ă©toile hyperborĂ©enne» - selon l'avis d'Orosio confirmant celui de Claudiano -, entre nord et ouest, au-delĂ  de l'Irlande et des Orcades.

Il n'y a pas de paix, on ne s'explique pas pourquoi un lieu si connu des plus savants depuis les anciens Grecs qui l'identifiaient au pays de HyperborĂ©ens (en effet il tĂ©moigne en avoir entendu parler mĂȘme parmi les habitants de l'Inde) peut ĂȘtre tout aussi vague, pourtant cette Ăźle ne la trouve pas, ni parmi les cartes, ni Ă  l'horizon.

Pline semble certain : il est à six jours de navigation au nord de la Bretagne, tout comme Pomponius Mela, dans sa description des hivers sans aube et des étés sans coucher de soleil ; pourtant, si quelqu'un avait vraiment été là, il y aurait des informations plus détaillées et plus précises sur l'itinéraire. La recherche était si vaine que maintenant Thulé lui apparaßt "difficile à trouver comme la vérité». Avec résignation, il conclut :

« La tuile reste cachĂ©e au Nord, et la source du Nil au Sud, Ă  condition que la vertu qui se trouve au milieu entre les extrĂȘmes ne reste pas cachĂ©e, et le court voyage de cette vie sur laquelle la plupart des hommes palpitent et doutent Ă  un moment donnĂ©. fin incertaine pour chemin ambigu en marchant pressĂ©, et on ne se donne pas trop de mal dans la recherche d'un lieu que peut-ĂȘtre, une fois trouvĂ©, on aurait hĂąte de quitter. »

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Philippe-Jacques van Bree, "Laura et Pétrarque à la Fontaine de Vaucluse", 1816. Musée des Beaux-Arts, Rennes, France.

Remarque:

  1. Voir TJ Cachey jr., Pétrarque Cartographie Ecriture, dans S. Gersh, B. Roest, Humanisme médiéval et Renaissance : rhétorique, représentation et réforme, Brill, 2003, p. 73 s.
  2. Virgile, GĂ©orgiques, v. 21-30, allez BibliothĂšque des classiques italiens.
  3. Les épßtres de Francesco Petrarca, édité par M. Smetryns, via la BibliothÚque de l'Université de Gand.

 

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