La représentation du "Sauvage", entre tabous et stéréotypes : le cas de "Cannibal Holocaust"

La politique récente de Disney visant à souligner le caractère problématique des représentations minoritaires et notamment des communautés indigènes au siècle dernier a soulevé pas mal de critiques en raison de la perspective utilisée, qui trahit finalement un eurocentrisme mal dissimulé et une hypocrisie évidente tout à fait occidentale. L'analyse d'un film controversé et historique comme "Cannibal Holocaust" de Ruggero Deodato, sorti en salles il y a 41 ans, peut nous aider à comprendre pourquoi.

di Marco Maculotti

La question sur le représentation des minorités et en particulier des communautés autochtones a récemment défrayé la chronique, en vertu de la décision controversée de Disney d'apposer un Avertissement à certains de ses anciens films d'animation - dont Peter Pan e Empoté - présent sur la plateforme Netflix, en raison de certaines scènes dans lesquelles certaines communautés telles que les Amérindiens et les Afro-Américains étaient représentées si problématiquec'est-à-dire stéréotypé. Si l'examen critique des œuvres du passé n'a certainement rien de nouveau pour les grandes maisons d'animation américaines (sur YouTube, vous pouvez facilement voir divers dessins animés, produits entre les années 20 et 60, qui ont été censurés et interdits de programmation télévisée. raisons), ce qui peut vous surprendre dans cette décision de Disney est la perspective à travers laquelle la question est interprétée.

Si par le passé les dessins animés étaient censurés parce qu'ils étaient considérés problématique ils montraient en fait des communautés non blanches entières selon des critères bien définis. clichés négatifs (parmi lesquels on peut citer la faible prédisposition au travail, une charge libidinale disproportionnée et quasi animale, ainsi que des caractéristiques physionomiques typiques des "défavorisés mentaux"), ceux auxquels Disney a aujourd'hui décidé d'apposer un Avertissement et à déconseiller aux mineurs de moins de sept ans ne se distinguent pas par des représentations particulièrement haineuses des communautés ethniques en cause, se bornant plutôt à traduire leur image (évidemment stéréotypée, comme tout personnage et toute situation de tout produit Disney) basée sur facteurs culturels, anthropologiques et sociologiques paradigmatiques des communautés respectives : les indiens dePays imaginaire in Peter Pan (1953) ils vivent dans les campements traditionnels de tipi, ils jouent du tambour et dansent autour du bûcher, ils fument le calumé et décorent leurs cheveux épais de plumes d'aigle, et dans tout ça, franchement, aussi stéréotypé soit-il, rien de problématique.

De même, il semble excessif de stigmatiser la représentation des corbeaux dans Empoté (1942), alter ego zoomorphe des Afro-Américains, uniquement parce que le chef de ces derniers s'appelle Jim Crow: évidemment un (sur sympa) jouer sur les mots (corbeau en anglais cela signifie « corbeau ») qui rappelle les lois du même nom, approuvées dans les années 30 pour réglementer les relations sociales et communautaires entre les citoyens américains d'origine européenne et ceux d'origine africaine. Même ceux qui prétendent à tout prix y lire une image négligée et impitoyable de la communauté afro-américaine se trompent : dans le dessin animé Disney les corbeaux sont les assistants de Dumbo, et à ce titre ils l'accompagnent jusqu'à la vengeance finale, qui n'aurait pas été possible sans leur aide.

Les Indiens dePays imaginaire in Peter Pan (1953)

Il faut donc réfléchir à quel type de représentations ils devraient vraiment être considérés comme problématiques et quels stéréotypes sont à considérer comme vraiment peu éducatifs pour le jeune public au point de préconiser leur interdiction. Que toute l'industrie cinématographique américaine jusque dans les années 60 au moins reposait entièrement sur stéréotype (et cela, bien sûr, pas seulement en ce qui concerne les communautés ethniques non blanches) n'est guère une surprise.

Quant à la question de la représentation des Amérindiens, il suffit de penser à tout le genre western, fondé sur l'opposition dichotomique entre cow-boys et les indiens. Une conception manichéenne qui voit le Bien absolu dans le premier et le Mal dans le second, alors ? Il est indéniable que dans une grande partie du genre cette lecture existait et prédominait, cependant elle n'était pas aussi granitique qu'on pourrait le penser : il suffit de citer des films comme Un homme appelé cheval ("Un homme appelé un cheval", 1970) e Jeremiah Johnson ("Corbeau rouge tu n'auras pas mon scalp", 1972), films dans lesquels le monde des indigènes, représenté selon des canons fidèles aux études ethnographiques (voir par exemple la fameuse scène, dans Un homme, de la "Danse du Soleil"), il est suggéré comment pôle positif en contraste avec la bassesse et la cruauté des colons britanniques.

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Pourtant, sur la base de la perspective adoptée par Disney, même des films tels que ceux mentionnés ci-dessus pourraient être considérés comme trompeurs, car eux aussi sont réalisés sur la base d'un rappresentazione stéréotypé des indigènes, peu importe quand ce stéréotype est réellement plausible et même, comme dans ce cas, positif. En conclusion, plus que la représentation elle-même des communautés ethniques dans Empoté e Peter Pan, la diabolisation par Disney (et d'autres géants du cinéma et de l'animation) de tout type de représentation basée sur des caractéristiques historico-anthropologiques nous paraît problématique : au point que, si d'une part il est maintenant presque obligatoire d'inclure des acteurs de toutes les ethnies dans n'importe quel film ou série télévisée au nom d'un soi-disant culturelle, de l'autre il est fortement déconseillé de représenter des caractères non blancs dans des contextes... non-blancs (!), liés à l'identité ancestrale et aux croyances traditionnelles, qui pourraient en quelque sorte les faire apparaître "différents" ou "non civilisés" aux yeux du téléspectateur moyen qui bénéficie de la visualisation des produits en question.

On ne peut pas faire semblant de ne pas en voir un dans tout ça grande contradiction: au nom d'une prétendue "diversité", tout personnage non blanc est aplati comme un point, et derrière le bouclier idéologique de la "guerre au stéréotype" le but est d'étendre à toute communauté ethnique du terraqueo les modes de pensée et d'agir uniquement par des occidentaux, afin d'éviter d'offenser quelqu'un précisément en vertu de sa "diversité" (qui, en règle générale, doit être considérée sous un jour positif), trahissant ainsi une conception incontestablement Eurocentrique, c'est-à-dire exactement ce qu'ils feindraient de nier avec des "batailles" similaires.


Ayant fait cette prémisse nécessaire et passant à la scène cinématographique italienne, en tant que représentation de l'indigène, on ne peut éviter de se souvenir de la soi-disant Volet "Mondo Movie", à mi-chemin entre le documentaire et le mockumentary, situé principalement en Afrique noire (Mondo Cane, Au revoir dernier homme, Au revoir l'Afrique), et puis ça Film cannibale, qui préfère plutôt la zone ibéro-américaine, en particulier la forêt amazonienne, et certaines îles situées entre l'Asie du Sud-Est et l'Océanie.

Le film dont nous parlerons ici s'inscrit dans cette deuxième tendance, c'est-à-dire Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato, sorti en 1980 et très critiqué à l'époque tant par les "champions de la diversité" que par les militants des droits des animaux. Sa faute? En avoir pris un pour de bon représentation bestiale du "sauvage", tout le contraire du dogme de Rousseau. Mais ceux qui ont critiqué le film ont ignoré et n'ont pas compris deux points fondamentaux : d'abord que la représentation des communautés indigènes (qui dans le film sont différentes et hétérogènes dans leur comportement) était absolument plausible (les acteurs, en revanche, étaient Indiens en chair et en os, et non des cascades blanches avec le visage rouge), et d'autre part que, dans l'économie générale du film, la manière d'être des soi-disant "sauvages" n'était pas trop subtilement mise en contraste, et dans une perspective positif, à celle des documentaristes et des grandes chaînes de télévision américaines, qui tout considéré s'est avéré être finalement, selon la glose laconique, les vrais cannibales. Le problème, selon Deodato lui-même, ne concernait pas la violence du film, mais l'incapacité des spectateurs à prêter attention à l'histoire à l'écran et à l'encadrer avec la bonne interprétation historique et sociologique.

Ce qui ennoblit Cannibal Holocaust et lui donne une dignité cinématographique et artistique est donc d'abord le message (pas trop) voilé du film, que Deodato lui-même a d'ailleurs évité de définir horreurplutôt, affirmant qu '«il se limite à traiter de choses réelles». C'est une critique acerbe adressée au prétendu "monde civilisé" et ultra-capitaliste, et on le devine dès la première scène, dans laquelle tandis qu'un journaliste parle de cannibales la caméra cadre la vie métropolitaine de New York. Deodato s'en prend à l'hypocrisie de l'homme occidental et "progressiste", capable d'atrocités bien pires que le cannibalisme et les rituels tribaux, au point de semer le doute dans l'esprit du spectateur et de le faire s'interroger sur comportements spéculairement cannibales Homme occidental, renversant complètement ses attentes en tant que spectateur (généralement les films "Cannibal" montraient les indigènes dans le rôle de matadors impitoyables d'explorateurs naïfs du Caucase).

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Le film s'ouvre sur une Avertissement curieusement de signe contraire au récent de Disney, dans lequel les distributeurs justifient leur décision de mettre un tel film à la presse et de le présenter en entier, ce qui risquerait d'en altérer le sens, et citent une phrase de George Santayana pour justifier ce choix :

Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont tenus de le répéter.


La première scène du film se déroule au cœur de la forêt amazonienne : d'un planeur en vol le spectateur survole la majesté de la jungle vierge, et la musique avec laquelle Riz Ortolani nous invite à le regarder rappelle les bandes sonores composées pour les films italiens des années 60 et 70 de la soi-disant Veine "exotique" (Bora-BoraAmour libreLe corps), des films empreints d'une petite philosophie écologique et basés sur mythe de bon sauvage qui avait pour but déclaré de rehausser la simplicité et le caractère onirique de la vie dans ces lieux. Mais souvent cette déclaration d'intention se réduisait à un simple prétexte pour pouvoir montrer au spectateur démangé des jeunes filles décomplexées décidées à danser nues dans l'océan ou à flirter au bord de l'eau avec le protagoniste (évidemment blanc) de garde.

Le résultat était la plupart du temps à mi-chemin entre un réinterprétation contemporaine et naïve du mythe de l'âge d'or et une sorte de film quasi documentaire sur des territoires fantômes encore vierges (mais en réalité acquis par le "progrès" depuis plusieurs années déjà). Bien que parfois les réalisateurs n'aient pas dédaigné l'approfondissement des rites magiques et des récits folkloriques (voir par ex. Le dieu serpent e Rencontre amoureuse. Bali, tous deux sortis en salles en 1970), la plupart de ces films se réduisaient à un exercice de style visant à démontrer la compatibilité ou non entre le monde moderne et conception du monde tribal, et surtout sur un certain composant softcore, conçu pour répondre aux goûts de cette tranche de population du monde occidental qui, en pleine révolution sexuelle, rêvait de tout quitter et d'embarquer dans le premier avion pour les atolls du Pacifique. Autrement dit, une autre perspective eurocentrique et un clin d'œil sournois à une diversité qui, tout compte fait, ne s'exprime que d'un point de vue sexuel, selon des stéréotypes bien établis issus du cinéma étoilé.

Cannibal Holocaust (1980)

Il est pléonastique de souligner comment Cannibal Holocaust s'inspire en partie de certains clichés de la tendance exotique pour inverser impitoyablement la perspective. Dès l'une des premières scènes où l'équipe de récupération rencontre les indigènes, souligne Deodato le gouffre irréconciliable entre les deux cultures, évitant de dépeindre indigènes et occidentaux comme des alliés naturels, des frères longtemps séparés et finalement retrouvés sous l'égide de l'amour universel, comme cela arrivait souvent dans les films à la veine exotique des années précédentes. La scène à laquelle nous faisons référence est celle du châtiment de la femme adultère : le spectateur se sent envahi par un sentiment de terreur atavique et de répulsion totale, et le fait qu'il soit remis en cause à la première personne n'est certainement pas accidentel ni gratuit : Deodato veut immédiatement faire prendre position au spectateur, lui rappeler sa façon de penser et de vivre occidentale, civilisée, moderne, en antithèse avec respect des pratiques traditionnelles aberrantes Indiens.

Cependant, la deuxième partie du film ("L'ENFER VERT") rebat complètement les cartes sur table, montrant sans filtres le harcèlement des membres de la troupe de documentaires américains contre les indigènes, dont l'incendie d'un village (d'où le titre du film, qui place donc les indigènes non en position de bourreaux mais dans celui des victimes de l'« holocauste » susmentionné). Plus les reporters de la BDC regardent les bandes, plus les images deviennent absurdes et répugnantes, jusqu'à atteindre le point culminant de l'injustifiable. Dans une vidéo, on voit les membres de l'équipage qui, après avoir immobilisé une jeune indigène qu'ils avaient croisée par hasard, la violent sauvagement à tour de rôle. Dans la scène qui suit immédiatement, le cadavre de la femme est horriblement empalé et ses bourreaux, mystifiant la réalité, inventent une fausse version des faits pour faire croire au spectateur qu'ils l'ont retrouvée dans ces conditions. "On ne peut pas supporter ces pratiques barbares, on s'en écarte clairement", dit la voix off pendant le tournage de l'abomination ; pendant ce temps, le visage d'un autre des journalistes se transforme en un sourire impitoyable.

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Cannibal Holocaust (1980)

Ortolani fait le choix musical le plus ingénieux de tous pour cette scène : à l'opposé des images glaçantes, il opte pour une mélodie de cordes rêveuse et cristalline qui augmente encore l'élément grotesque de la situation. Il est un fait que le choix de un type de musique donné peut facilement détourner la pensée du spectateur vers des pistes préétablies: Des techniques similaires ont été utilisées comme outils de propagande pratiquement depuis l'invention de la télévision. Et ce que font les bourreaux de la troupe est justement de la propagande, mystifiant les faits et portant le masque du politiquement correct devant les caméras, feignant l'horreur face au retard moral et culturel et à la barbarie présumée des indigènes.

A partir de cette scène, le point culminant de férocité monte à des niveaux presque insupportables. Des vidéos il ressort que l'équipage a été victime de l'embuscade d'une autre tribu d'indigènes et qu'ils ont été brutalement mis en pièces : l'un est décapité et écartelé, son collègue est violé à plusieurs reprises puis démembré. Même les membres qui auraient la chance de s'échapper et de se sauver restent sur place pour tout filmer et choisissent de faire passer la gloire et la richesse avant leur propre survie. D'autre part, pour l'Occident consommateur, quelle valeur peut avoir une vie qui ne mène pas à l'accumulation d'argent et à l'accession à la notoriété médiatique ?

Cannibal Holocaust (1980)

Il y a cependant, comme on l'a dit, une exaltation de la bon sauvage, vu par opposition à l'homme blanc : la réflexion que Deodato essaie de susciter dans l'esprit du spectateur est plutôt basée sur l'acceptation de l'ordre naturel des choses, Homo homini lupus, personne n'exclu, qu'il soit "sauvage" ou "civilisé", et en supposant que, aussi barbare et impitoyable que vous puissiez être, vous trouverez toujours quelqu'un de plus barbare et impitoyable de ta part, qui paiera avec intérêt tout le mal qui t'a été fait.

Rien de plus lointain que la conception para-paradisiaque du genre exotique des années 60 et 70, ainsi que le renversement total des dogmes hollywoodiens et Disney d'aujourd'hui : ici ce ne sont pas des non-blancs qui renoncent à leur identité ancestrale (avec tous ses côtés positifs et négatifs) au nom d'une prétendue "lutte contre les stéréotypes" et d'un eurocentrisme mal dissimulé qui considère la civilisation occidentale comme la seule véritablement civilisée et acceptable dans les représentations cinématographiques, mais au contraire ce sont les blancs qui cultivent dans leur intimité, loin des connaissances et des caméras, des pulsions ataviques de mort et souillé d'actions bestiales et presque tribalisé, que l'histoire du cinéma a habituellement réservé au "sauvage", ou tout au plus au psychopathe.

A la différence que, par rapport à Indiens, pour les membres occidentaux de la troupe ces comportements ne sont pas ritualisé, et échappent donc à un code coutumier « ordonné » qui seul, d'un point de vue social, pourrait donner un sens à la violence envers autrui : la férocité des "sauvages" peut être tout aussi abominable, mais elle répond à des critères sociaux et utilitaires spécifiques, quoique évidemment critiquables (le massacre est une conséquence de leurs atrocités contre les indigènes ; le meurtre de la femme adultère, bien qu'évidemment barbare pour le moins, répond à un code communautaire précis qui régit toute la vie de la communauté tribale depuis des millénaires, etc.) . De ce point de vue, la gratuité chaotique du comportement des Occidentaux dans le film de Deodato de facto Les seuls veri "Sauvages" et "cannibales", comme le soulignent d'ailleurs les conclusives laconiques :

Je me demande qui ils sont, je veri cannibales.

Et avec Deodato, plus de quarante ans plus tard, on se demande aussi.

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