Conservateur acerbe hostile à toute forme d'extrémisme, catholique sincÚre profondément influencé par de nombreux autres appareils mythico-religieux, défenseur tenace des arbres contre la société des machines : Tolkien était cela, et bien plus encore. On retrace la vie d'un des maßtres de la fantasy contemporaine à l'occasion de son anniversaire.
« Alors les grands contes n'ont pas de fin ? - Non, les contes ne finissent jamais, dit Frodon. « Ce sont les personnages qui vont et viennent quand leur rÎle est fait. La nÎtre finira plus tard... ou bientÎt ».
Nous avons dĂ©jĂ Ă©crit sur Tolkien ci-dessus ces pages. Aujourd'hui, jour de son anniversaire, nous voulons retracer longuement sa vie. Outre les tĂ©moignages directs du professeur, nous ferons largement usage du volume J. R. R. Tolkien. La biographie di Humphrey charpentier publiĂ© en 1977. Le savant, qui avait rencontrĂ© Tolkien au printemps 1967, discutant avec lui d'une contradiction apparente d'un passage de Le Seigneur des Anneaux, il avait dĂ©jĂ pu se faire une idĂ©e prĂ©cise du personnage : « Il semble se voir non pas comme un auteur qui a fait une petite erreur qu'il faut maintenant corriger ou expliquer, mais plutĂŽt comme un historien qui doit apporter un Ă©clairage nouveau sur des documents obscurs ». AprĂšs tout, pour JRR le fantasme est rĂ©el.Â
John Ronald Reuel est nĂ© Ă Bloemfontein le 3 janvier 1892. Son pĂšre, Arthur Tolkien, avait obtenu un siĂšge au Banque d'Afrique et avait Ă©tĂ© nommĂ© chef de l'importante succursale d'Afrique du Sud. Atteint par sa bien-aimĂ©e, Mabel Suffield, les deux se sont mariĂ©s le 16 avril '91. Le 17 fĂ©vrier 94, Mabel donne naissance Ă son deuxiĂšme enfant, Hilary Arthur Reuel, mais les conditions (principalement climatiques) Ă Bloemfontein la poussent Ă retourner en Angleterre avec les deux enfants. Arthur aurait dĂ» les rejoindre plus tard, mais cela n'arrive pas : des suites de rhumatisme articulaire aigu et de l'hĂ©morragie qui en rĂ©sulte, il meurt le 15 fĂ©vrier 1896. Quelques mois plus tard, Mabel quitte la maison de ses parents et dĂ©mĂ©nage avec John et Hilary dans un maison louĂ©e.marchĂ© dans le petit village de SarĂ©hole, Ă environ un kilomĂštre de Birmingham. JRR portera toujours ces annĂ©es dans son cĆur. Dans une lettre datĂ©e du 12 dĂ©cembre 1955, rĂ©pondant Ă ceux qui avaient comparĂ© la ComtĂ© (de ses chers Hobbits) Ă North Oxford, il Ă©crit :Â
C'est en fait beaucoup plus comme un village du Warwickshire autour du JubilĂ© de diamant; qui est aussi Ă©loignĂ© que la troisiĂšme Ăšre du groupe de maisons sombres et parfaitement banales au nord du vieil Oxford, mĂȘme sans adresse postale.Â
Dans Sarehole, le jeune Tolkien commence Ă utiliser des mots dialectaux, comme gibier ("Coton"), terme qui dĂ©rive d'un certain docteur Gamgee, inventeur d'un type particulier de tissu en coton. De plus, il dĂ©veloppe deux grandes passions qui prendront tout autant d'importance peu de temps aprĂšs : l'une pour les arbres (avec lesquels il adorait ĂȘtre) et l'autre pour les dragons (Ă travers les contes de fĂ©es d'Andrew Lang). Quelques annĂ©es plus tard, Mabel dĂ©cide de se convertir au catholicisme, encourant l'excommunication par la famille, notamment par son pĂšre Jean, unitaire convaincu, incapable de porter une fille papiste. Cette dĂ©cision la place, elle et ses enfants, dans une situation de grandes difficultĂ©s Ă©conomiques. Les trois ont dĂ©mĂ©nagĂ© plusieurs fois ces derniĂšres annĂ©es, dĂ©mĂ©nageant dans diffĂ©rents quartiers de Birmingham (Moseley, King's Heath, Oliver Road), mais la tĂ©nacitĂ© de la mĂšre est admirable, comme John Ronald le rĂ©pĂ©tera continuellement dans sa vie (le dĂ©finissant Ă©galement martyr) Ă partir d'une lettre de mars '41 Ă son fils aĂźnĂ© Michael :Â
Bien que de nom je sois un Tolkien, de goĂ»t, de talent et d'Ă©ducation je suis un Suffield, et chaque recoin de ce comtĂ© [Worcestershire] (peu importe qu'il soit beau ou miteux) est pour moi un "foyer" indĂ©finissable, comme aucun autre. du monde. Ta grand-mĂšre, Ă qui tu dois tant, car c'Ă©tait une dame dotĂ©e d'une grande beautĂ© et d'un grand esprit, trĂšs Ă©prouvĂ©e par Dieu dans la douleur et la souffrance, qui mourut jeune (Ă 34 ans) d'une maladie aggravĂ©e par la persĂ©cution de sa foi , elle meurt dans la maison du facteur de Rednal, et est enterrĂ©e Ă Bromsgrove.Â
La mort prĂ©maturĂ©e de Mabel (souffrant de diabĂšte) en 1904 amĂšne les deux enfants Ă vivre chez tante Beatrice, qui leur offre un foyer, des repas chauds et un peu plus dans le centre de Birmingham. Au lieu de cela, leur tuteur joue un rĂŽle dĂ©cisif pĂšre Francis Morgan. Au cours de ces annĂ©es, JRR commence Ă dĂ©couvrir sa passion pour philologie. Il entre en contact avec une initiation Ă©lĂ©mentaire Ă la langue gothique "il ne se contente pas d'apprendre la langue, mais, pour combler les lacunes du maigre vocabulaire qui lui reste, il essaie d'inventer d'autres mots, et poursuit son intention de construire un langue germanique plausible". Au cours de sa vie, Tolkien Ă©tudiera et inventera de nombreux langages, s'interrogeant profondĂ©ment sur ses crĂ©ations. Dans une lettre de rĂ©ponse auObservateur de 1938 Ă©crira :Â
Et puis, parce que j'Ă©cris nains pour les nains ? La grammaire aimerait nains; la philologie suggĂšre que la forme historique serait nains. La vraie rĂ©ponse est que je n'ai pas pu faire mieux. Mais nains est Ă l'aise avec elfes; et de toute façon elfe, gnome, ogre, nain ne sont que des traductions approximatives des noms en ancien elfique pour des ĂȘtres qui n'ont pas exactement les mĂȘmes caractĂ©ristiques et fonctions.Â
En fĂ©vrier 58, fĂ©licitant son fils Christopher d'une relation Ă Oxford, il affirme qu'il « s'est soudain rendu compte qu'il Ă©tait un philologue pur», vraiment Ă©mu par l'impact esthĂ©tique des mots. Une prise de conscience atteinte en pleine maturitĂ©, mais toujours prĂ©sente. AprĂšs tout, dans une certaine mesure, les histoires de Tolkien ne sont rien de plus que le meilleur moyen de rĂ©aliser les crĂ©ations qui lui sont les plus chĂšres.Â
C'est toujours dans cette pĂ©riode que John Ronald connaĂźt Ădith Bratt, orphelin de trois ans son aĂźnĂ©. Les deux tombent bientĂŽt amoureux, mais le pĂšre Morgan s'oppose Ă cette relation clandestine et interdit au jeune homme de voir la jeune fille jusqu'Ă ses vingt et un ans. Nous sommes en 1910 et Tolkien a dix-neuf ans. Il y a deux choix pour le garçon : obĂ©ir Ă ce qui Ă©tait un pĂšre pour lui ou se rebeller et rejoindre sa bien-aimĂ©e. Il choisit le premier. Elle le fait dĂ©chirĂ©e dans l'Ăąme, avec l'espoir de pouvoir retrouver Edith trois ans plus tard. ImmĂ©diatement, il se consacre aux Ă©tudes (qu'il avait jusqu'alors plutĂŽt dĂ©laissĂ©es) et dĂ©croche une bourse Ă l'UniversitĂ©Exeter College d'Oxford. C'est ici qu'en 1911, avec ses compagnons, il fonde la Club de thĂ©, sociĂ©tĂ© barrovienne, pour prendre le thĂ© en compagnie de mythes, de poĂšmes et de musique. DĂ©couvre le Kalevala, le recueil de poĂšmes de la mythologie finlandaise publiĂ© seulement au XIXe siĂšcle, qui a grandement influencĂ© sa production (directement dans L'histoire de Kullervo). Dans une cĂ©lĂšbre lettre de 1951 Ă l'Ă©diteur Milton Waldman, Tolkien reviendra sur le lien avec les diffĂ©rentes mythologies :
Aussi, et ici j'espĂšre ne pas paraĂźtre absurde, dĂšs mon plus jeune Ăąge, j'ai Ă©tĂ© attristĂ© par la pauvretĂ© de mon pays bien-aimĂ©, qui n'avait pas d'histoires propres (liĂ©es Ă sa langue et Ă sa terre), pas de la qualitĂ© que je recherchais pour, et j'ai trouvĂ© (comme ingrĂ©dient) dans les lĂ©gendes d'autres terres. Il y avait du grec, du celtique, du roman, du germanique, du scandinave et du finnois (ce qui m'a beaucoup marquĂ©) ; mais rien en anglais, sauf un matĂ©riel appauvri pour les livrets populaires. Bien sĂ»r il y avait et il y a tout le monde Arthurien, mais malgrĂ© sa force il est imparfaitement naturalisĂ©, associĂ© Ă la terre de Bretagne mais pas Ă l'Angleterre ; et ne remplace pas ce qui me manquait.Â
Pendant les vacances d'Ă©tĂ© de 1911, il se rend en Suisse et achĂšte des cartes postales. Bien plus tard, Ă cĂŽtĂ© de l'un d'eux, une reproduction du tableau de l'artiste allemand Joseph Madlener intitulĂ© Le Berggeist, Ă©crirai: "origine de Gandalf».Â
En tant qu'Ă©tudiant Ă Oxford, John Ronald est un type particuliĂšrement sociable, Ă tel point qu'il participe Ă des soirĂ©es de festivitĂ©s organisĂ©es autour de la ville : "Nous avons mis la ville, la police et les prĂ©fets Ă 'feu et Ă©pĂ©e', tous ensemble pendant environ une heure", avec des bravades qui pourtant n'aboutissent Ă aucune sorte de consĂ©quences disciplinaires. Lentement, nous arrivons Ă 1913. JRR a vingt et un ans et peut retrouver sa bien-aimĂ©e. Les deux sont officiellement fiancĂ©s l'annĂ©e suivante, aprĂšs qu'Edith ait Ă©tĂ© acceptĂ©e dans l'Ăglise catholique. Pour le jeune Tolkien, c'est une pĂ©riode rĂ©solument mouvementĂ©e, comme il le rappelle dans une lettre Ă son fils Michael Ă propos du Saint-Sacrement :Â
Sans diplĂŽme, sans argent, copain. J'ai endurĂ© la honte et les allusions de plus en plus explicites de mes proches, je suis allĂ© droit et en 1915 j'ai obtenu les meilleures notes aux examens finaux. J'ai commencĂ© Ă m'enrĂŽler : juillet 1915. La situation Ă©tait intolĂ©rable et je me suis mariĂ©e le 22 mars 1916. En mai j'ai traversĂ© la Manche (j'ai encore les vers Ă©crits pour l'occasion !) vers la boucherie de la Somme.Â
L'amour, la guerre et la foi. Ce n'est pas un hasard si, en 1917, il commence Ă incarner son univers mythique avec Le livre des contes perdus, il futuro Silmarillion. Selon Carpenter, cette voie crĂ©ative est due Ă trois phĂ©nomĂšnes interdĂ©pendants, prĂ©cĂ©demment Ă©voquĂ©s : la passion des langues,sentiment poĂ©tique innĂ© et la volontĂ© d'en concevoir un mythologie pour l'Angleterre. Tous ces Ă©lĂ©ments sont liĂ©s les uns aux autres sur un substrat profondĂ©ment catholique:Â
Certains ont rĂ©flĂ©chi Ă la relation entre les histoires de Tolkien et sa foi chrĂ©tienne, et ont eu du mal Ă comprendre comment un catholique pratiquant peut Ă©crire sur un monde oĂč Dieu n'est pas adorĂ©. Mais un tel mystĂšre n'existe pas : Le Silmarillion c'est l'Ćuvre d'un homme profondĂ©ment religieux qui ne contredit pas son propre sentiment chrĂ©tien, mais le complĂšte. Il n'y a pas de culte de Dieu dans les lĂ©gendes, pourtant Dieu est bel et bien lĂ , plus explicitement dans le Silmarillion que dans ses autres travaux, Le Seigneur des Anneaux, dont les racines remontent Ă la premiĂšre.Â
Entre 1918 et 1929, les Ă©poux Tolkien ont quatre enfants (John, Michael, Christopher et Priscilla) et John Ronald fait un ascension fulgurante dans le monde acadĂ©mique devenant chargĂ© de cours d'anglais Ă l'universitĂ© de Leeds, puis professeur d'anglais dans cette universitĂ© et enfin, en 25, titulaire de la chaire Rawlinson et Bosworth d'Ă©tudes anglo-saxonnes en Oxford, oĂč toute la famille dĂ©mĂ©nage bientĂŽt. Les Ă©tudiants admirent ses confĂ©rences et son dĂ©vouement Ă l'enseignement est louable, avec un nombre d'heures par semaine et des cours annuels bien supĂ©rieur Ă la moyenne. Ses confĂ©rences sur La lĂ©gende de Beowulf, en particulier ceux qui ouvrent le cours:Â
Il entra dans la salle de classe en silence, dévisagea le public et soudain, d'une voix forte, il se mit à déclamer les premiers vers du poÚme, dans la version originale anglo-saxonne, en commençant par un cri : Hwaet, qui est le premier mot de ce poÚme et d'autres en vieil anglais, mais que certains étudiants ont pris comme une invitation à se taire, le confondant avec l'exclamation anglaise moderne Calme!
Dans la mĂȘme pĂ©riode, il a fondĂ© je Charbonniers, une association de lecture informelle des mythes nordiques composĂ©e de tous les professeurs d'universitĂ©, et devient un grand ami de Clive Agrafes Lewis, le faisant cependant se convertir au christianisme (mais pas au catholicisme, puisqu'il rejoindra l'Ăglise anglicane). Au dĂ©but des annĂ©es XNUMX, avec Lewis et d'autres collĂšgues, il a formĂ© le IdĂ©es, "Un groupe d'amis, tous hommes, tous chrĂ©tiens, et tous d'une maniĂšre ou d'une autre intĂ©ressĂ©s par la littĂ©rature", comme les dĂ©finit Carpenter.Â
PrĂ©cisĂ©ment lors de ces rencontres, Tolkien lit Ă ses amis des extraits d'un manuscrit encore inĂ©dit, commencĂ© un jour d'Ă©tĂ© oĂč, en corrigeant le devoir d'un candidat, il avait Ă©crit sur une page blanche : "Un hobbit vivait dans un trou dans le sol". Des annĂ©es plus tard, Tolkien rendra explicite son lien avec ces crĂ©atures :Â
en fait j'en suis un hobbit, en tout sauf en stature. J'aime les jardins, les arbres et les fermes non mĂ©canisĂ©es ; Je fume la pipe et apprĂ©cie les bons plats simples (non surgelĂ©s), et je dĂ©teste la cuisine française ; J'aime, et j'ose mĂȘme les porter mĂȘme en ces jours maussades, les gilets ornĂ©s. Je suis fou de champignons (rĂ©coltĂ©s dans les champs) ; J'ai un sens de l'humour trĂšs simple (que mĂȘme mes critiques les plus enthousiastes trouvent ennuyeux); Je me couche tard et me lĂšve tard (si possible). Je ne voyage pas beaucoup.Â
Le Hobbit a Ă©tĂ© publiĂ© le 21 septembre 1937. C'est un succĂšs critique, avec la premiĂšre Ă©dition arrachĂ©e et vendue aux alentours de NoĂ«l. En octobre dernier, l'Ă©diteur Stanley Unwin, prĂ©sident de la Allen & Unwin, sonde le terrain pour un Ă©ventuel suivi. Tolkien rĂ©pond ainsi : « Je ne vois rien d'autre Ă dire Ă propos de hobbit. M. Baggins semble avoir pleinement montrĂ© Ă la fois le cĂŽtĂ© Took et Baggins de sa nature. Mais j'ai encore beaucoup Ă dire, et j'ai dĂ©jĂ beaucoup Ă©crit, sur le monde dans lequel les hobbits se sont glissĂ©s. En effet, ce qui a commencĂ© comme une histoire pour pur plaisir personnel, s'est au fil du temps de plus en plus liĂ© Ă l'imagerie mythique tolkienne (complĂštement inĂ©dite Ă l'Ă©poque), tout en restant une histoire pour enfants. En fait, l'histoire de Bilbon est plutĂŽt lĂ©gĂšre, mais dans un contexte rĂ©solument complexe et encore Ă rĂ©vĂ©ler.Â
En mars 1939, Tolkien donna une conférence à l'université de St. Andrews intitulée Sur les contes de fées, qui fait partie de la collection Le Moyen Age et le Fantastique, édité par son fils Christopher et publié en 1983. C'est l'occasion de mieux définir sa vision du fantastique, conçu non seulement comme un moyen de redécouverte, évasion e consolation, mais aussi et surtout en référence à fantaisie intrinsÚquement lié à réalité, traçable dans la connexion entre monde primaire e monde secondaire fait par l'authenticité art sous-créatif:
Que les images se rĂ©fĂšrent Ă des choses qui n'appartiennent pas au Monde Primaire (si tant est que cela soit possible) est une vertu, pas un vice. La Fantaisie en ce sens est, je crois, non pas une forme infĂ©rieure mais une forme supĂ©rieure de l'Art, voire la forme la plus proche de la puretĂ© et donc (lorsqu'elle est atteinte) la plus puissante. Bien sĂ»r, la Fantasy a un avantage de son cĂŽtĂ© : cette Ă©trangetĂ© qui attire. Mais cet avantage Ă©tait dirigĂ© contre elle et contribua Ă sa mauvaise rĂ©putation. [...] CrĂ©er un Monde Secondaire au sein duquel le soleil vert puisse ĂȘtre crĂ©dible, en imposant la Croyance Secondaire, demandera probablement des efforts et de la rĂ©flexion, et nĂ©cessitera certainement une compĂ©tence particuliĂšre, une sorte de maĂźtrise elfique. Rares sont ceux qui tentent des exploits aussi difficiles. Mais lorsque ces exploits sont tentĂ©s et qu'ils rĂ©ussissent dans une certaine mesure, alors nous avons une rĂ©alisation artistique rare : de la vraie fiction, l'Ă©laboration d'une histoire dans sa modalitĂ© premiĂšre et la plus puissante.Â
Peu de temps aprĂšs, la guerre Ă©clate. Si la PremiĂšre Guerre mondiale, John Ronald avait vĂ©cu sur le terrain en tant que jeune mari, le second le subit de chez lui sous les traits d'un pĂšre. Les lettres Ă ses enfants nouvellement enrĂŽlĂ©s sont pleines de pathos et d'aperçus de sa pensĂ©e politique. Ă Michael, devenu cadet officiel au CollĂšge militaire royal de Sandhurst, le 9 juin 41, il Ă©crivit :Â
Les gens de ce pays semblent ne pas se rendre compte que chez les Allemands nous avons des ennemis dont les vertus (et ce sont des vertus) d'obĂ©issance et de patriotisme surpassent les nĂŽtres dans la foule. Dont les braves sont au moins aussi braves que les nĂŽtres. Dont l'industrie est 10 fois plus grande que la nĂŽtre. Et qu'ils sont maintenant, sous la malĂ©diction de Dieu, dirigĂ©s par un homme inspirĂ© par un dĂ©mon fou tourbillonnant ; un typhon, une passion, qui font ressembler le vieux Kaiser Ă une vieille femme faisant une chaussette. [âŠ] Dans l'idĂ©al « germanique », il y a bien plus de force (et de vĂ©ritĂ©) que les ignorants ne l'imaginent. [âŠ] J'ai une rancune personnelle brĂ»lante dans cette guerre, qui ferait probablement de moi un meilleur soldat Ă 49 ans que je ne l'Ă©tais Ă 22, contre ce maudit petit ignorant Adolf Hitler [âŠ]. Elle a ruinĂ©, perverti, abusĂ© et maudit Ă jamais ce noble esprit nordique, apport suprĂȘme Ă l'Europe, que j'ai toujours aimĂ©, et essayĂ© de prĂ©senter sous son vrai jour.Â
Dans l'une de ses nombreuses correspondances avec Christopher, qui s'est enrĂŽlĂ© dans la RAF, en dĂ©cembre 43, il aborde la question sous un angle complĂštement diffĂ©rent. AprĂšs avoir qualifiĂ© Josef Staline de « ce vieux tueur sanguinaire », il se demande « s'il restera une niche, mĂȘme de tolĂ©rance, pour les rĂ©actionnaires arriĂ©rĂ©s comme moi (et vous). Plus les choses grandissent, plus le monde devient petit et monotone ou plat ", concluant par"SĂ©rieusement : je trouve ce cosmopolitisme amĂ©ricain vraiment terrifiant". Ce n'est que le dĂ©but d'une sĂ©rie d'invectives anti-modernes explicites. La condamnation de la radio, du jazz, des grosses voitures et des « gros amalgames standardisĂ©s avec leurs notions et leurs Ă©motions produites en sĂ©rie » conduit, le 6 octobre 44, Ă l'invocation d'une intervention mythique : « Si un ragnarök brĂ»lait tous les bidonvilles et les stations-service, et des garages miteux et des banlieues Ă©clairĂ©es par des lampes Ă arc, autant me brĂ»ler tout l'art, et je retournerais dans les arbres". La condamnation de la guerre, de la presse et de la bombe atomique n'est plus modĂ©rĂ©e. Dans tous les domaines : « Nous essayons de vaincre Sauron en utilisant l'Anneau. Et (il semble) nous rĂ©ussirons. Mais le prix Ă payer sera, comme vous le savez, la gĂ©nĂ©ration de nouveaux Saurons, et la lente transformation des Hommes et des Elfes en Orcs". Pour conclure en mai 45 :
Mes sentiments sont plus ou moins ce que Frodon aurait s'il dĂ©couvrait que certains Hobbits apprennent Ă monter les bĂȘtes volantes des NazgĂ»l "pour libĂ©rer la ComtĂ©". Bien que dans ce cas, puisque tout ce que je sais sur l'impĂ©rialisme britannique ou amĂ©ricain en ExtrĂȘme-Orient me remplit de regret et de dĂ©goĂ»t, je crains de ne pas ĂȘtre soutenu par ne serait-ce qu'une Ă©tincelle de patriotisme dans cette guerre qui reste.Â
L'utilisation de ce type de langage doit ĂȘtre comprise Ă la lumiĂšre du fait que JRR travaille sur le grand suivi de Le Hobbit et, mĂȘme de loin, Christopher occupe le poste de public et de critique. DĂšs la fin de la guerre, Tolkien fut nommĂ© titulaire de la Merton Chair of English Language and Literature Ă Oxford et en 1949 la nouvelle fut publiĂ©e. Le chasseur de dragons. Mais surtout, ça se termine Le Seigneur des Anneaux, accĂ©lĂ©rant les contacts avec Stanley Unwin pour publication immĂ©diate. L'idĂ©e de JRR est simple : Le Seigneur des Anneaux doit ĂȘtre publiĂ© avec Le Silmarillion, qui reprĂ©sente l'appareil mythico-historique dans lequel il s'inscrit. La rĂ©ponse des Unwins (pĂšre et fils) le prend au dĂ©pourvu. Les deux ont en effet l'intention de ne publier pour l'instant que le LotR ("Un grand livre") et non Le Silmarillion, n'ayant pas eu besoin de l'utiliser lors de la lecture. Le 14 avril 50, Tolkien demande clairement et dĂ©finitivement "une dĂ©cision oui ou non : Ă la proposition que j'ai faite, et non Ă une possibilitĂ© imaginĂ©e". De la sĂ©rie : soit les deux livres sortent ensemble, soit rien n'est fait Ă ce sujet. La rĂ©ponse des Ă©diteurs est aucune. Suite au refus d'Allen & Unwin, fin '51, Ronald Ă©crit une trĂšs longue lettre Ă Milton Waldman de Collins, qui lui avait dĂ©jĂ promis la publication des deux textes au printemps '50. Cependant, au printemps 52, Collins, effrayĂ© par la longueur des volumes, dĂ©cide de les rejeter dĂ©finitivement. Il semble ĂȘtre lĂ fin du rĂȘve de Tolkien. Pourtant, quelques jours plus tard, Rayner Unwin Ă©crit Ă John Ronald pour s'enquĂ©rir de son poĂšme Errance et sur le progrĂšs de la publication des deux grands ouvrages. La rĂ©ponse se lit comme suit :Â
Cependant, j'ai définitivement changé mon point de vue. Quelque chose c'est mieux que rien! Bien que pour moi ils ne fassent qu'un, et le Le Seigneur des Anneaux ce serait beaucoup mieux (et plus facile) dans le cadre de l'ensemble, j'envisagerais volontiers de publier une partie du matériel.
Les parties ont enfin un accord, mais le travail est loin d'ĂȘtre terminĂ©. AprĂšs tout, publier un livre de cette ampleur prĂ©sente de grandes difficultĂ©s. Finalement, il fut dĂ©cidĂ©, pour des raisons purement Ă©ditoriales, de diviser l'ouvrage en trois volumes et de les faire paraĂźtre sĂ©parĂ©ment. Tolkien prĂ©cise que ce n'est pas une trilogie, car «l'histoire est conçue comme un tout et la seule division naturelle sont les 'livres' I-VI». Le 29 juillet 1954 il sort La communautĂ© de l'anneau, en novembre Les deux tours et, en octobre '55, Le retour du roi, avec le trĂšs convoitĂ© annexes. Dans une lettre datĂ©e de dĂ©cembre 53 Ă son ami le pĂšre Robert Murray, qui avait lu une partie du livre en Ă©preuves et en Ă©tait enthousiaste, Tolkien avait rĂ©vĂ©lĂ© :Â
Ă©videmment Le Seigneur des Anneaux c'est une Ćuvre fondamentalement religieuse et catholique ; au dĂ©but c'Ă©tait inconsciemment, mais c'est devenu consciemment en rĂ©vision. [âŠ] En rĂ©alitĂ©, j'ai consciemment planifiĂ© trĂšs peu ; et surtout je devrais ĂȘtre reconnaissant d'avoir Ă©tĂ© Ă©duquĂ© (depuis l'Ăąge de huit ans) dans une Foi qui m'a fortifiĂ© et m'a appris tout le peu que je sais ; et cela, je le dois Ă ma mĂšre, qui est restĂ©e fidĂšle Ă sa conversion et est morte jeune, en grande partie Ă cause des privations causĂ©es par la pauvretĂ© qui en a rĂ©sultĂ©.Â
Il LotR il reprĂ©sente donc l'accomplissement du chemin d'une vie Ă travers le crĂ©ation d'une mythologie moderne pour l'Angleterre (amputĂ© de la fondamentale Silmarillion) oĂč « le conflit essentiel ne porte pas sur la 'libertĂ©', mĂȘme si on l'entend naturellement. Il s'agit de Dieu, et de son droit exclusif aux honneurs divins." Toujours au PĂšre Murray en rĂ©fĂ©rence au livre, JRR avait avouĂ© avoir «exposĂ© mon coeur, pour le frapper". A sa publication, Ă quelques exceptions prĂšs, les critiques "sont bien meilleures que je ne le craignais". Parmi tous, celui de CS Lewis se dĂ©marque (avec qui les relations s'Ă©taient refroidies depuis un certain temps) au premier tome pour Heure et marĂ©e :Â
Ce livre est un coup de tonnerre. Dire que dans une pĂ©riode presque pathologique de son anti-romantisme comme le nĂŽtre, la poĂ©sie hĂ©roĂŻque, bucolique, Ă©loquente et audacieuse est de retour est insuffisant. Pour nous qui vivons cette Ă©trange pĂ©riode, ce retour - et le vĂ©ritable confort qui l'accompagne - est sans aucun doute un Ă©lĂ©ment important. Mais dans l'histoire du roman qui revient sur leOdyssey et plus loin, ce n'est pas un simple retour, mais plutĂŽt un pas en avant, une rĂ©volution : la conquĂȘte de nouveaux territoires.Â
En quelques annĂ©es, l'ouvrage est traduit en plusieurs langues (la premiĂšre est le nĂ©erlandais), remporte des prix et fait de JRR un auteur de renommĂ©e internationale. En 1965, le premier est nĂ© aux Ătats-Unis Club Tolkien, qui deviendra alors le SociĂ©tĂ© Tolkien d'AmĂ©rique et en 68 c'Ă©tait au tour des SociĂ©tĂ© britannique de Tolkien. Ă la fin de 66, "la trilogie se vend plus vite Ă Yale qu'elle ne l'a fait Seigneur des mouches par William Golding Ă son meilleur. Ă Harvard, il dĂ©passe de loin Le jeune Holden par JD Salinger". Un vrai culte auquel John Ronald se rapporte discrĂštement, rĂ©pondant aux lettres de ses lecteurs, en quĂȘte d'Ă©claircissements et d'Ă©claircissements. Ă la critique positive de WH Auden sur le Critique de livre Ă New York, il rĂ©pond par des notes extrĂȘmement intĂ©ressantes (non envoyĂ©es), revenant sur des sujets prĂ©cĂ©demment abordĂ©s : "J'ai une mentalitĂ© historique. La Terre du Milieu n'est pas un monde imaginaire ; le nom est la forme moderne (qui est apparue au XNUMXĂšme siĂšcle et est toujours en usage) de dĂ©potoir > milieu de gamme, ancien nom deoikoumene, la demeure des hommes, le monde objectivement rĂ©el, opposĂ© en usage spĂ©cifiquement aux mondes imaginaires (comme le pays des contes de fĂ©es) ou invisibles (comme le Ciel et l'Enfer) ». Au lieu de cela, la rĂ©ponse du 17 novembre 1957 Ă Herbert Schiro sur un sujet qui continue de passionner les fans de Tolkien est publique :Â
Il n'y a pas de "symbolisme" conscient ou d'allĂ©gorie dans mon histoire. Des allĂ©gories comme "cinq sorciers = cinq sens" sont complĂštement Ă©trangĂšres Ă ma façon de penser. Il y avait cinq sorciers, et ce n'est qu'un aspect de l'histoire. Demander si les Orcs "sont" des communistes a du sens pour moi comme demander si les communistes sont des Orcs. Le fait qu'il n'y ait pas d'allĂ©gorie ne signifie pas, bien sĂ»r, qu'il n'y a pas d'applicabilitĂ©. C'est toujours lĂ . Et d'ailleurs je n'ai pas rendu l'affrontement tout Ă fait sans Ă©quivoque : paresse et bĂȘtise chez les Hobbits, orgueil chez les Elfes, rancune et cupiditĂ© dans le cĆur des Nains, folie et mĂ©chancetĂ© chez les « Rois des hommes », trahison et soif de pouvoir mĂȘme parmi les "Sorciers" ; Je suppose que mon histoire est applicable Ă notre Ă©poque. Cependant, si on me le demandait, je dirais que l'histoire ne concerne pas le pouvoir et le dominion, qui ne font que dĂ©clencher les Ă©vĂ©nements ; il s'agit plutĂŽt de la mort et du dĂ©sir d'immortalitĂ©. Mais cela signifie simplement qu'il a Ă©tĂ© Ă©crit par un homme !
Pourtant, en cas de besoin, John Ronald sait abandonnez les vĂȘtements du gentleman hobbit et enfilez les vĂȘtements du guerrier nain. Au critique Edwin Muir, qui le 27 novembre 55 avait comparĂ© les personnages de Retour du roi aux « enfants dĂ©guisĂ©s en hĂ©ros adultes » qui ne connaissent rien aux femmes, elle rĂ©pond sĂšchement : « Au diable Edwin Muir et son adolescence attardĂ©e. Il est assez vieux pour ne pas ĂȘtre aussi naĂŻf. Ăa lui ferait du bien d'entendre ce que les femmes pensent de "savoir sur les femmes", surtout comme preuve de maturitĂ© mentale." Alors que dans, Il Le Seigneur des Anneaux mis Ă part, sa vie subit des changements. De fin juillet Ă mi-aoĂ»t 1955 visiter l'Italie avec sa fille Priscilla. Il s'enthousiasma pour les fresques d'Assise et les Rigoletto Ă Venise, il Ă©crivit Ă Christopher et Ă sa premiĂšre femme Faith : « Je tiens un journal dactylographiĂ©. Je reste amoureux de l'italien et je me sens perdu sans avoir la chance d'essayer de le parler ! Il faut le pratiquer ».Â
En 59, il abandonne dĂ©finitivement l'enseignement. Comme le rapporte Carpenter, dans discours d'adieu prononcĂ© au Merton College Hall Ă la fin de sa derniĂšre session d'Ă©tĂ©, il s'en prend Ă certaines involutions de plus en plus prĂ©sentes Ă Oxford (dĂ©sormais frĂ©quentĂ©es par une gĂ©nĂ©ration majoritairement moins sociable et chrĂ©tienne que la prĂ©cĂ©dente) comme le recherche de troisiĂšme cycle, dĂ©fini comme "la dĂ©gĂ©nĂ©rescence de la vraie curiositĂ© et de l'enthousiasme vers une Ă©conomie planifiĂ©e, dans laquelle une Ă©norme quantitĂ© de temps consacrĂ© Ă la recherche est fourrĂ©e dans un boyau plus ou moins standardisĂ©, puis transformĂ©e en saucisses de la taille et de la forme prescrites de notre petit livre de cuisine codĂ© ", puis adieu au grand public avec sa chanson d'adieu elfique, le NamariĂ«. Entre '62 et '67 plusieurs de ses oeuvres sont publiĂ©es (Les Aventures de Tom Bombadil, Arbre et feuille e Forgeron majeur de Wootton) et les plus cĂ©lĂšbres sont rĂ©imprimĂ©s dans diffĂ©rentes Ă©ditions. Le 12 septembre 65, il se retrouve Ă devoir rĂ©pondre avec colĂšre Ă la Ballantine Books, premier Ă©diteur Ă©conomique amĂ©ricain autorisĂ© de Le Hobbit, concernant la couverture reprĂ©sentant un lion, deux Ă©meus et un arbre aux fruits bulbeux :Â
 Je pense que la couverture est mauvaise; mais je reconnais que le but principal d'une couverture de poche est d'attirer les acheteurs, et je suppose que vous ĂȘtes de meilleurs juges que moi de ce qui attire aux Ătats-Unis. Alors je ne vais pas ouvrir une discussion sur le goĂ»t (je veux dire, mĂȘme si je ne l'ai pas dit : couleurs horribles et Ă©criture dĂ©goĂ»tante) mais sur le dessin je dois vous demander : qu'est-ce que ça a Ă voir avec l'histoire ? C'est quel endroit ? Pourquoi un lion et des Ă©meus ? Et quel est le fond avec les ampoules roses ? Je ne comprends pas comment quelqu'un qui a lu l'histoire (j'espĂšre pour vous que vous en faites partie) a pu penser qu'un dessin similaire aurait plu Ă l'auteur.
En 1963, la vie de Tolkien est bouleversĂ©e par un douloureux deuil : le 22 novembre, Ă l'Ăąge de soixante-quatre ans, CS Lewis sort. Comme mentionnĂ©, la relation entre les deux s'Ă©tait refroidie au fil des ans (en raison d'opinions contradictoires et de divers malentendus), mais le lien profond d'affection (presque fraternel) est restĂ©. Elle Ă©crit Ă sa fille quelques jours plus tard : « Jusqu'ici j'ai Ă©prouvĂ© les sensations normales d'un homme de mon Ăąge, comme un vieil arbre perdant une Ă une toutes ses feuilles ; c'Ă©tait plus comme un coup de hache prĂšs des racines». Â
Quelques annĂ©es plus tard de ce dĂ©part, un autre arrive, encore plus dramatique. Les Tolkiens avaient dĂ©mĂ©nagĂ© Ă Pool (prĂšs de Bournemouth) en 1968. Edith Ă©tait malade depuis un certain temps, comme l'attestent les lettres, et vers le milieu de novembre 71, il contracta une inflammation de la vĂ©sicule biliaire. AprĂšs des jours de maladie tourmentĂ©e, il est dĂ©cĂ©dĂ© le lundi 29 au matin, Ă l'Ăąge de quatre-vingt-deux ans. AprĂšs des mois de grand dĂ©sespoir, en juillet 72, il Ă©crivit Ă Christopher qu'il avait enfin travaillĂ© dur pour inscrire sa tombe. Sous le nom complet et les dates respectives, Ronald Ă©crit Luthien"parce qu'elle Ă©tait (et savait qu'elle Ă©tait) ma LĂșthien», Suite :Â
  Je n'ai jamais appelĂ© Edith LĂșthien, mais elle a Ă©tĂ© Ă l'origine de l'histoire qui, avec le temps, est devenue l'essentiel de Le Silmarillion. Elle a d'abord Ă©tĂ© conçue dans une petite clairiĂšre dans un bois de pruche Ă Roos dans le Yorkshire [...] Ă cette Ă©poque, ses cheveux Ă©taient corbeau, sa peau pĂąle, ses yeux plus brillants que vous ne les avez jamais vus, et il savait chanter et danse. Mais l'histoire s'est mal terminĂ©e, et je suis restĂ©, et je ne peux pas supplier l'inexorable Mandos.Â
Dans ce portrait, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© de ne pas se concentrer directement sur l'Ćuvre et, par consĂ©quent, aucune explication technique n'a Ă©tĂ© proposĂ©e sur les crĂ©ations de Tolkien. Nous n'allons pas commencer Ă le faire maintenant, mais nous voulons quand mĂȘme prĂ©senter un des extraits les plus touchants de toute la production du professeur d'anglais, tirĂ© du chapitre XIX de Le Silmarillion:
La chanson de LĂșthien avant Mandos Ă©tait la plus belle qui ait jamais Ă©tĂ© mise en contexte dans les mots, la chanson la plus triste que le monde n'entendra jamais. InchangĂ©, impĂ©rissable, il est toujours chantĂ© en Valinor, inaudible au monde, et Ă l'Ă©couter les Valar sont attristĂ©s. Car LĂșthien entremĂȘlait deux thĂšmes de mots, celui de la douleur des Eldar et celui de la douleur des Hommes, les Deux LignĂ©es qui ont Ă©tĂ© faites par IlĂșvatar pour habiter Arda, le Royaume de la Terre parmi les innombrables Ă©toiles. Et tandis qu'elle s'agenouillait devant lui, les larmes tombaient sur les pieds de Mandos comme la pluie sur les pierres ; et Mandos fut Ă©mu de pitiĂ©, comme il ne l'avait jamais Ă©tĂ© auparavant et ne l'a jamais Ă©tĂ© depuis.Â
C'est pourquoi il convoqua Beren et, comme LĂșthien l'avait dit au moment de sa mort, ils revinrent se rencontrer de l'autre cĂŽtĂ© de la mer de l'Ouest. Mandos, cependant, n'avait pas le pouvoir de retenir les esprits des Hommes qui moururent dans les confins du monde, aprĂšs le temps de leur attente ; il ne pouvait pas non plus changer les destinĂ©es des Fils d'IlĂșvatar. Il se rendit donc chez ManwĂ«, Seigneur des Valar, qui gouvernait le monde par ordre d'IlĂșvatar ; et ManwĂ« a demandĂ© conseil Ă sa pensĂ©e la plus intime, oĂč la volontĂ© d'IlĂșvatar a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e.Â
Et ce sont les choix qu'il a proposĂ©s Ă LĂșthien. Ă cause de sa fatigue et de sa douleur, elle serait libĂ©rĂ©e de Mandos, pour aller Ă Valimar et y demeurer jusqu'Ă la fin du monde parmi les Valar, oubliant toutes les douleurs qu'elle avait endurĂ©es dans la vie. LĂ , cependant, Beren ne pouvait pas y aller, puisque les Valar n'Ă©taient pas autorisĂ©s Ă l'exempter de la Mort, qui est le cadeau donnĂ© par IlĂșvatar aux Hommes. L'autre choix, en revanche, Ă©tait celui-ci : qu'elle puisse retourner en Terre du Milieu en emmenant Beren avec elle, pour y vivre Ă nouveau, mais sans aucune certitude de vie ou de joie. Et elle deviendrait mortelle, et sujette Ă une seconde mort, tout comme lui ; et alors il aurait quittĂ© le monde pour toujours, et seul le souvenir de sa beautĂ© resterait dans les chansons.Â
Ce fut le destin que LĂșthien choisit, tournant le dos au Royaume BĂ©ni et renonçant Ă toute prĂ©tention de parentĂ© avec ceux qui y vivaient ; car ainsi, quelle que soit la douleur qui les attendrait, les destins de Beren et de LĂșthien seraient unis et leurs chemins les conduiraient ensemble au-delĂ des extrĂ©mitĂ©s du monde. Et c'est ainsi que, unique parmi tous les EldaliĂ«, LĂșthien mourut vraiment, et il y a longtemps qu'elle quitta le monde. Mais, grĂące Ă son choix, les Two Bloodlines se sont retrouvĂ©s rĂ©unis; et elle est le prĂ©curseur de beaucoup en qui les Eldar entrevoient encore, bien que le monde ait complĂštement changĂ©, la ressemblance de LĂșthien le bien-aimĂ©, celui qu'ils ont perdu.Â
Inutile d'en dire plus sur ce que cela signifiait, pour Ronald-Beren Tolkien, d'identifier sa bien-aimĂ©e en LĂșthien.Â
En 72, Tolkien retourna Ă Oxford, oĂč il reçut le doctorat honorifique en littĂ©rature. S'installant dans un appartement sur Merton Street, il entretient une correspondance frĂ©quente avec ses Ă©valuateurs, Ă©diteurs et membres de sa famille. Le mardi 28 aoĂ»t 73 va rendre visite Ă des amis Ă Bournemouth. Quelques jours plus tard, en raison d'une maladie, il a Ă©tĂ© admis dans une clinique privĂ©e oĂč on lui a diagnostiquĂ© un ulcĂšre gastrique perforant aigu. Charpentier dit :Â
Tout s'est passĂ© si vite, alors que Michael Ă©tait en vacances en Suisse et Christopher en France, qu'aucun d'eux n'est arrivĂ© Ă son chevet ; seuls John et Priscilla sont arrivĂ©s Ă Bournemouth Ă temps pour le voir et ĂȘtre avec lui. Le pronostic de sa santĂ© Ă©tait initialement optimiste, mais le samedi, il a dĂ©veloppĂ© une infection pulmonaire et le dimanche matin 2 septembre 1973, il est dĂ©cĂ©dĂ© Ă l'Ăąge de quatre-vingt-un ans.
Trois ans aprĂšs sa mort, Christopher Tolkien Ă©dite le premier ouvrage posthume de son pĂšre, le Lettres du PĂšre NoĂ«l. L'annĂ©e suivante est Ă la hauteur du trĂšs convoitĂ© Silmarillion, dont JRR n'a pas Ă©tĂ© en mesure de donner une version dĂ©finitive. MalgrĂ© la publication du centre nĂ©vralgique de sa mythologie, le travail est loin d'ĂȘtre terminĂ©. La triade est nĂ©e entre 1980 et 1983 Contes inachevĂ©s, Des histoires redĂ©couvertese Contes perdus, ce qui permet de relire, d'approfondir et de problĂ©matiser certains des Ă©vĂ©nements traitĂ©s dans les grandes Ćuvres de Tolkien. Dans la premiĂšre introduction Ă ai Contes retrouvĂ©s, publiĂ© en Italie par Rusconi en 1983, Christopher aborde cet aspect Ă travers les mots du professeur Randel Helms :Â
Quelqu'un comme moi s'intĂ©resse Ă la croissance de Le Silmarillion voudra Ă©tudier je Contes inachevĂ©s, non seulement pour leur valeur intrinsĂšque, mais aussi en ce que leur rapport au premier livre offre un exemple, destinĂ© Ă devenir classique, d'un problĂšme de longue date de la critique littĂ©raire : qu'est-ce, vraiment, qu'une Ćuvre littĂ©raire ? Est-ce ce que l'auteur a voulu (ou aurait voulu), ou est-ce le rĂ©sultat du travail d'un auteur ultĂ©rieur ? Le problĂšme devient particuliĂšrement Ă©pineux pour le critique lorsque, comme ce fut le cas avec Le Silmarillion, un Ă©crivain meurt avant d'avoir terminĂ© une Ćuvre et laisse plusieurs versions de certaines de ses parties, qui sont ensuite publiĂ©es ailleurs. Quelle version le critique abordera-t-il comme la "vĂ©ritable" histoire ?
Cette condition est encore soulignĂ©e par la continuer la publication fragments sous de nouvelles formes (comme l'histoire de Beren et Luthien), de textes inĂ©dits (comme La chute d'Arthur) et le nombre incalculable de contributions critiques sur le sujet. Strattford Caldecott ne Le feu secret. La quĂȘte spirituelle de JRR Tolkien dĂ©cortique complĂštement l'appareil mythico-religieux du professeur d'anglais. Dans les travaux rĂ©cents des professeurs amĂ©ricains Matthew Dickerson et Jonathan Evans, Ents, Elfes et Eriador. La vision environnementale de JRR Tolkien, la plupart des connotations Ă©cologiques liĂ©es Ă son travail sont analysĂ©es. La SociĂ©tĂ© italienne de Tolkien a mĂȘme crĂ©Ă© un dictionnaire pour accompagner les lectures. L'univers crĂ©Ă© par Tolkien est entrĂ© dans l'imaginaire collectif Ă travers les jeux (vidĂ©o), les films et les sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es. AprĂšs la trilogie acclamĂ©e de Peter Jackson de Le Seigneur des Anneaux et le beaucoup moins rĂ©ussi de Le Hobbit, Outre le film biographique rĂ©alisĂ© par Dome Karukoski, Amazon travaille sur un projet colossal qui verra le jour dans un futur proche. DĂ©jĂ dans la vie, Tolkien avait Ă©tĂ© tĂ©moin d'un dramatisation radio de le Seigneur des Anneaux, diffusĂ© au troisiĂšme programme de la BBC, entre 1955 et 1956, s'exprimant ainsi dans une lettre : « Je pense que le livre n'est pas trĂšs apte Ă ĂȘtre 'dramatisĂ©', et je n'ai pas aimĂ© la transmission mĂȘme si elle s'est amĂ©liorĂ©e ». Peu de temps aprĂšs, il s'oppose, par une lettre de juin 58, Ă l'adaptation cinĂ©matographique de l'Ćuvre, prĂ©sentant une interminable liste de commentaires sur le sujet, afin de dĂ©courager sa production. La premiĂšre rĂ©alisation n'est venue qu'en '78. Le film d'animation rĂ©alisĂ© par ralph lauren, malgrĂ© ses erreurs collantes (ou peut-ĂȘtre juste Ă cause d'elles !) et son incomplĂ©tude (le film se termine aprĂšs FossĂ© de Helm et n'a pas de suite), est un produit auquel le monde de Tolkien est positivement liĂ©.Â
Nous sommes arrivĂ©s Ă la fin de ce voyage. En dĂ©crivant les nombreuses Ă©tapes de la vie de celui qui s'est identifiĂ© comme un hobbit, beaucoup trop d'informations significatives ont Ă©tĂ© laissĂ©es de cĂŽtĂ© pour obtenir un aperçu complet de qui Ă©tait JRR Tolkien et de ce qu'il reprĂ©sente aujourd'hui. Ce que nous espĂ©rons, c'est pouvoir faire ressortir, Ă cĂŽtĂ© du croyances essentiellesle chemins parallĂšles de cet auteur, qui, dans toute son humanitĂ©, a su crĂ©er un monde secondaire extrĂȘmement complexe, nous invitant Ă relever de vrais dĂ©fis avec foi, tĂ©nacitĂ© e espĂ©rer:Â
Et lĂ , Sam, regardant Ă travers les bandes de nuages ââqui surplombaient un autre sommet, vit soudain une Ă©toile blanche scintiller. La splendeur pĂ©nĂ©tra son Ăąme, et l'espoir renaĂźt en lui. Comme un Ă©clair clair et froid, la pensĂ©e passa dans son esprit que l'Ombre n'Ă©tait, aprĂšs tout, qu'une petite chose passagĂšre : au-delĂ d'elle, il y avait une lumiĂšre Ă©ternelle et une splendide beautĂ©.Â
3 commentaires sur "JRR Tolkien, l'histoire humaine d'un hobbit du XXe siÚcle »