Charles Fort et l'agitation de l'extraordinaire

Critique de la science qu'il définit comme « exclusionniste », c'est-à-dire enclin à n'accepter que les données qui confirment les théories admises et à rejeter les données qui les mettent en doute, Charles Fort procÚde, à la maniÚre des anciens collationneurs de « merveilles », à recueillir et analyser toutes les soi-disant anomalies, ces "faits maudits" qui n'avaient pas leur place dans les modÚles scientifiques, influençant dans une certaine mesure toute la sphÚre de la "réalité alternative" du XXe siÚcle, comme l'ufologie, l'archéologie spatiale et la cryptozoologie.


di Francesco Cerofolini

Nous vivons dans un univers beaucoup plus étrange et fou que nous ne le pensons. Charles Hoy Fort en était convaincu et pour le prouver, il a passé la majeure partie de sa vie d'adulte dans les archives des bibliothÚques et des musées à la recherche de rapports d'événements que la science ne pouvait pas expliquer. Soutenu uniquement par sa femme et un petit groupe d'admirateurs, Fort a accumulé prÚs de quarante mille notes dans sa maison devenue archive. Dans cette énorme quantité de papiers, il y avait de tout : des pluies de poissons, de charbon, de soufre. PhénomÚnes aériens anormaux. Apparitions et disparitions mystérieuses. Des personnes aux facultés exceptionnelles. Et la liste pourrait s'allonger encore et encore.

De cette importante documentation, Charles Fort a tiré quatre livres, Le livre des damnés, Lo !, Nouveaux territoires e Talents sauvages, avec qui il a voulu soumettre ces données inconfortables à la science de l'époque, une science que Fort considérait comme non moins dogmatique que les religions du passé. Cette offensive massive contre la citadelle de la science s'est avérée vaine et à sa mort, Fort était, au-delà de quelques cercles étroits, pratiquement inconnu. Cependant, son travail et ses idées ont été reçus par des artistes et des penseurs qui ont redécouvert son travail surtout aprÚs la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd'hui, de nombreuses idĂ©es de Fort imprĂšgnent la culture populaire, il suffit de penser au terme «tĂ©lĂ©portation» inventĂ© par Fort. En retraçant l'histoire humaine et en redĂ©couvrant sa pensĂ©e provocatrice, on comprend comment Fort n'Ă©tait pas seulement un collectionneur compulsif de bizarreries : son travail Ă©tait aussi un acte de rĂ©bellion contre une sociĂ©tĂ© qui, derriĂšre la patine du progrĂšs, Ă©tait conformiste et dĂ©shumanisante et qui visait aussi Ă  rĂ©guler la perception mĂȘme de la rĂ©alitĂ©.

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Charles Fort (1974 - 1932)

L'Ă©crivain du Bronx

En 1887, le chimiste Marcelin Berthelot a écrit que "désormais il n'y a plus de mystÚre dans l'Univers». En 1895, le célÚbre physicien Lipmann a statué que la physique était un domaine de recherche épuisé. Vraiment Heinrich Hertz il considérait que la recherche sur les ondes radio qu'il avait découverte n'était d'aucune utilité pratique. Ces déclarations témoignent de la climat culturel qui régnait entre le XIXe et le XXe siÚcle : la science allait bientÎt tout expliquer, la nature était apprivoisée et l'homme se dirigeait vers un avenir de paix et la prospérité. Dans ce paysage intellectuel particulier, Charles Fort a grandi.

Charles Fort est nĂ© Ă  Albany le 6 aoĂ»t 1874, deuxiĂšme fils d'un riche marchand. La mĂšre est morte quand Charles Ă©tait encore petit. Le pĂšre, homme sĂ©vĂšre et autoritaire, soumet Charles et ses frĂšres Ă  une discipline de fer. Dans son autobiographie jamais publiĂ©e intitulĂ©e Plusieurs parties, Fort raconte comment lui et ses frĂšres ont Ă©tĂ© enfermĂ©s dans un placard en guise de punition, parfois mĂȘme pendant des jours. Ces expĂ©riences ont mĂ»ri chez Fort une mĂ©fiance et une hostilitĂ© envers toute forme d'autoritĂ©, une attitude qu'il portera tout au long de sa vie.

Le petit Charles manifeste immĂ©diatement un grand intĂ©rĂȘt pour la nature : il commence d'abord par ramasser des coquillages et des Ă©toiles de mer, puis des ailes et des Ɠufs d'oiseaux qu'il chasse lui-mĂȘme Ă  la fronde. C'Ă©tait un Ă©tudiant mĂ©diocre et indisciplinĂ©, mais Ă  la maison, il dĂ©vorait des livres sur tout, de la gĂ©ographie aux langues Ă©trangĂšres, de l'histoire naturelle Ă  la biologie.. Pendant son adolescence, Fort a dĂ©couvert qu'il avait un talent pour l'Ă©criture et il a donc dĂ©cidĂ© de devenir Ă©crivain. A dix-huit ans, il entreprend un voyage en solitaire autour du monde. Fort espĂ©rait que connaĂźtre diffĂ©rents lieux et personnes aurait accumulĂ© du matĂ©riel sur lequel Ă©crire. Pendant prĂšs de deux ans, il a erré entre l'Europe, L'AmĂ©rique et l'Afrique ne subviennent Ă  leurs besoins qu'avec des emplois occasionnels et avec le peu d'argent envoyĂ© de chez eux. Ses aventures se sont terminĂ©es en Afrique du Sud oĂč il a contractĂ© le paludisme et a Ă©tĂ© contraint de retourner aux États-Unis.

En 1896, il Ă©pousa Anna Filing. Le couple s'est installĂ© Ă  New York, oĂč ils ont vĂ©cu dans une grande pauvretĂ© dans le Bronx pendant plusieurs annĂ©es. Au cours de ces annĂ©es, Fort est passĂ© d'une profession Ă  une autre alors qu'il tentait de faire dĂ©coller sa carriĂšre d'Ă©crivain. Pendant les mois les plus froids, le couple a Ă©tĂ© obligĂ© de brĂ»ler de vieux meubles pour se rĂ©chauffer et les jours de pluie, Fort n'a pas pu sortir pour chercher du travail parce que ses chaussures Ă©taient trouĂ©es. Fort pendant cette pĂ©riode est souvent en proie Ă  la dĂ©pression et aux pensĂ©es suicidaires. Cependant, persĂ©vĂ©rant, il rĂ©ussit Ă  vendre certaines de ses histoires humoristiques Ă  certains magazines.

Le grand romancier ThĂ©odore Dresier a dĂ©fini les contes du Fort comme "les meilleures histoires humoristiques produites en AmĂ©rique [
] Ă©taient rĂ©alistes, ironiques, sages et belles Ă  leur maniĂšre». EncouragĂ© par ces petits succĂšs, Fort dĂ©cide de se consacrer Ă  l'Ă©criture de romans. Parmi les nombreux romans qu'il semble avoir Ă©crits, seul le seul publiĂ© - c'est-Ă -dire Les fabricants parias - SurvĂ©cu. Comme ses nouvelles, ce roman se dĂ©roule Ă©galement dans les quartiers pauvres et prolĂ©taires oĂč habite Fort, et suit les histoires d'un couple d'escrocs. Le roman a Ă©tĂ© chaleureusement accueilli par la critique mais s'est avĂ©rĂ© ĂȘtre un Ă©chec commercial.

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Le cortÚge des damnés

Entre 1910 et 1918, la dĂ©sillusion de Fort envers la science et le monde universitaire atteint son apogĂ©e. Fort Ă©tait un lecteur vorace et gardait des milliers de notes sur une variĂ©tĂ© de sujets. Il a dĂ©cidĂ© de brĂ»ler les plus de vingt-cinq mille notes pour faire place Ă  une archive encore plus substantielle dans laquelle conserver et cataloguant tous les Ă©vĂ©nements que la science conventionnelle non seulement ne pouvait pas expliquer mais qu'elle refusait mĂȘme de considĂ©rer. Au fil des ans, cette nouvelle archive comptera - comme mentionnĂ© - plus de quarante mille notes. 

La recherche constante de faits Ă©tranges et mystĂ©rieux est devenue, selon les mots de Fort, une vĂ©ritable obsession qui l'a amenĂ© Ă  fouiller encore et encore dans les archives des bibliothĂšques. Sa maison deviendra un étrange croisement entre une archive et un musĂ©e. Le modeste appartement oĂč vivait Fort regorgeait de classeurs dans lesquels l'Ă©crivain gardait le fruit de ses recherches, de collections d'araignĂ©es, de papillons et d'insectes, d'Ă©chantillons de substances mystĂ©rieuses dont on dit ils avaient plu du ciel et d'annĂ©es en annĂ©es de revues scientifiques. Fort, qui collectionnait dĂ©sormais des faits impossibles avec la mĂȘme minutie avec laquelle il collectionnait insectes et coquillages dans son enfance, eut l'intuition qui marquera sa vie Ă  jamais : le chemin de la connaissance passe par l'Ă©tude des anomalies.

Au cours de cette pĂ©riode, Fort a Ă©crit deux livres, respectivement intitulĂ©s X e Y. Les manuscrits des livres ont Ă©tĂ© brĂ»lĂ©s par Fort aprĂšs un Ă©niĂšme rejet par un Ă©diteur. Des lettres que Fort a envoyĂ©es de son ami Dresier, nous apprenons que X il a explorĂ© l'hypothĂšse que les Ă©vĂ©nements sur Terre ont Ă©tĂ© influencĂ©s par des moyens invisibles par les habitants de Mars. DrĂ©sier rapporte ainsi quelques-unes des hypothĂšses que Fort avait exposĂ©es dans le manuscrit : "X Ă©tait le quelque chose de mystĂ©rieux d'oĂč Ă©manaient ces rayons. [...] Ces rayons Ă©taient l'Ă©manation de quelque chose qui Ă©tait capable de les utiliser comme un moyen de nous crĂ©er, vous, moi, tous les animaux, les plantes, la terre dans toute sa beautĂ©, sa variĂ©tĂ© et son Ă©trangetĂ©". Fort a comparĂ© l'action de ces rayons sur la terre Ă  celle de la lumiĂšre imprimant une image sur un film photographique.

Y il s'agissait plutĂŽt d'une autre civilisation, cette fois situĂ©e au pĂŽle Sud, qui conspirait contre l'humanitĂ© depuis des temps immĂ©moriaux. En livre a mĂȘme Ă©mis l'hypothĂšse que Kaspar Hauser Ă©tait un Ă©missaire de cette civilisation fantĂŽme. Cette pĂ©riode agitĂ©e est marquĂ©e par des refus d'Ă©diteurs, des incendies de notes et de manuscrits, des recherches fĂ©briles et des rĂ©Ă©critures continues qui aboutissent Ă  la livre qui donnera la renommĂ©e de Fort, c'est-Ă -dire Le livre des damnĂ©s. L'Ɠuvre de Fort aussi aurait certainement Ă©tĂ© destinĂ©e Ă  suivre le triste sort de ses prĂ©dĂ©cesseurs sans l'intercession de son ami romancier. ThĂ©odore Dresier, qui a littĂ©ralement fait chanter son Ă©diteur, le menaçant de quitter la maison d'Ă©dition s'il ne faisait pas imprimer l'Ɠuvre de Fort. PubliĂ© en 1919 Le livre des damnĂ©s il est immĂ©diatement devenu un cas d'Ă©dition et bien que les ventes modestes n'aient pas rĂ©solu la situation Ă©conomique prĂ©caire de Fort, le livre lui a garanti un public restreint mais fidĂšle d'admirateurs.

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Le livre des damnĂ©s c'est une Ɠuvre labyrinthique, un mĂ©lange de faits bizarres et mystĂ©rieux qui deviennent le point de dĂ©part de spĂ©culations cosmologiques vertigineuses et de thĂ©orisations audacieuses sur la science et la connaissance. Fort n'est que le dernier auteur Ă  s'ĂȘtre essayĂ© Ă  la collection de merveilles, une tradition qui dĂ©coule de l'historien latin Jules ObsĂ©quents et de son Livre des Prodiges, en passant par le bestiaires mĂ©diĂ©vaux et fonctionne comme il Livre des Merveilles di Gervais de Tilbury, mais Fort traite du merveilleux et du dĂ©concertant avec l'air sceptique et iconoclaste de son temps.

MĂȘme si au fil des annĂ©es Fort a Ă©tĂ© dĂ©peint comme un crĂ©dule ou pire encore un charlatan, en le lisant sans prĂ©jugĂ©s, il est clair comment cet auteur met en pratique un scepticisme radical, pour lequel mĂȘme les faits les plus absurdes et les spĂ©culations les plus imaginatives sont dignes d'une ' analyse prĂ©cise. L'Ă©crivain de science-fiction Damon Chevalier, auteur de la biographie Charles Fort, prophĂšte de l'inexpliquĂ©, rĂ©sume ainsi l'attitude de Fort envers la recherche scientifique :

" EST un cliché selon lequel les écrivains adolescents seraient solitaires et rebelles. Fort, ayant renié l'autorité paternelle plus fort que d'habitude - ou ayant été renié par elle - il semblait déterminé à remettre en question toute autorité et finalement à la nier. "

Cette combinaison de curiositĂ© intellectuelle et de rĂ©bellion existentielle l'a amenĂ© Ă  prendre parti dans tout ce que la science officielle considĂ©rait comme hĂ©rĂ©tique. Toujours selon Knight, il "est devenu le dĂ©fenseur, non pas de ses hypothĂšses farfelues, mais des donnĂ©es Ă©cartĂ©es elles-mĂȘmes. Ce n'Ă©tait pas contraire Ă  la science, ni Ă  la mĂ©thode scientifique, mais au systĂšme clos de la science, ou Ă  l'Ă©lĂ©vation de l'hypothĂšse au rang de dogme.". Ces donnĂ©es Ă©cartĂ©es sont les « damnĂ©s » qui donnent son titre au livre. Avec son style imaginatif habituel, Fort ouvre ainsi son Ɠuvre :

« Par le mot damnés, j'entends les exclus.

Nous aurons alors un défilé de données que la science a écartées. Des bataillons de damnés, menés par des données diaphanes que j'ai exhumées, partiront. Vous les lirez... c'est-à-dire qu'ils défileront. Certains d'entre eux sont meurtris, d'autres flamboyants, d'autres encore pourris.

Certains d'entre eux sont des cadavres squelettiques, des momies qui se tordent et vacillent, animés par des camarades qui ont été damnés de leur vivant. Il y a des géants qui passeront, mais qui dormiront profondément. Il y a des choses qui sont des théorÚmes et d'autres qui ne sont que des haillons : elles défileront sous le bras d'Euclide avec l'esprit de l'anarchie. Ici et là, il y aura des salopes. Beaucoup sont des imbéciles mais beaucoup sont de la plus grande respectabilité. Certains sont des meurtriers. Il y a des puanteurs légÚres et de maigres superstitions, des ombres simples et des malices vives : caprices et amabilité. Le naïf et le pédant, le bizarre et le grotesque, le sincÚre et le faux, le profond et l'enfantin. [...] Le pouvoir qui a dit que toutes ces choses sont des damnés est la Science Dogmatique. »

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À la dĂ©rive dans la super mer des Sargasses

Dans le vaste assortiment d'Ă©vĂ©nements inexpliquĂ©s documentĂ©s par Fort, ils occupent une place de choix prĂ©cipitations anormales. Au cours de ses recherches, Fort avait constatĂ© que non seulement la pluie et la neige tombaient du ciel. De nombreux rapports parlent de pluies rouges, aussi appelĂ©es "pluies de sang ". Il Les 12 et 13 novembre 1902, des pluies rouges s'abattent sur l'Australie et l'annĂ©e suivante, c'est au tour de l'Europe. 27 fĂ©vrier 1903 une Ă©trange substance rouge s'abattit sur la Belgique, la Hollande, l'Allemagne et l'Autriche. Un navire naviguant dans l'ocĂ©an Atlantique a signalĂ© un phĂ©nomĂšne similaire. Dans la mĂȘme pĂ©riode, des pluies de boue rouge s'abattent sur la Russie et le Royaume-Uni. Creuser en arriĂšre il s'avĂšre que le phĂ©nomĂšne se rĂ©pĂšte Ă  l'identique en des lieux et Ă  des Ă©poques diffĂ©rentes : en Chine en 1877, Ă  Sienne le 28 dĂ©cembre 1860, en MĂ©diterranĂ©e en 1888
 et la liste est longue.

De temps en temps, des scientifiques analysent les échantillons, certains constatant qu'il s'agit de sable du désert du Sahara, d'autres de matiÚre organique. Des théories sont formulées pour expliquer les événements déconcertants. Par exemple, un certain EG Clayton émet l'hypothÚse que les pluies rougeùtres sur l'Angleterre sont dues au "la poussiÚre emportée par le vent des rues et ruelles du Wessex". Fort avec le sarcasme qui le distingue commente : "C'est-à-dire que toute explication est une explication du Wessex : avec cela, j'essaie d'interpréter l'énorme en termes de minuscule.».

L'esprit des sceptiques pour Fort"ils s'installent dans le concept d'un petit monde, isolé et confortable, sans contact avec le mal cosmique, à l'abri des ruses stellaires, non perturbé par les invasions et les pillages étoile». Fort part plutÎt de ces faits pour se lancer dans des spéculations folles et imaginatives, déterminées autant à provoquer qu'à surprendre le lecteur. "Je pense personnellement qu'en 1903 nous avons traversé les restes d'un monde pulvérisé ... relique d'une ancienne dispute interplanétaire et qui était depuis resté dans l'espace comme un avertissement rouge». Dans l'hypothÚse de Fort, la Terre était comme une ßle au milieu de l'océan vers laquelle des courants entraßnaient les restes de planÚtes et "provisions de supervaisseaux qui se sont écrasés dans le trafic interplanétaire».

Mais des choses plus Ă©tranges tombent du ciel. Fort a recueilli des rapports faisant Ă©tat de prĂ©cipitations de bƓuf et de substances ressemblant Ă  du beurre, de pierre et de fer, et mĂȘme d'artefacts tombĂ©s du ciel lors de violentes tempĂȘtes. dans ce casuistique bigarrĂ©e, les phĂ©nomĂšnes les plus troublants sont certainement ceux qui concernent pluies d'animaux: les plus connus sont certainement ceux des grenouilles et des crapauds comme ceux tombĂ©s d'un nuage dense apparu subitement prĂšs de Toulouse en 1804, ainsi que ceux des poissons, documentĂ©s depuis l'AntiquitĂ©. Fort nous prĂ©sente une large sĂ©lection de ces Ă©vĂ©nements bizarres : Pluie de moules en Allemagne en 1892, pluie de lĂ©zards au Canada en 1857, des centaines de serpents "apparaissent" aprĂšs une violente tempĂȘte en 1877 Ă  Memphis, Tennessee, pluie de fourmis en Angleterre en 1874. 

Les scientifiques ont rejetĂ© les histoires comme des rumeurs ou des rapports exagĂ©rĂ©s, d'autres ont Ă©voquĂ© l'action de cornes de mer ou de tornades qui "aspiraient" les groupes d'animaux puis les dĂ©posaient Ă  l'endroit des prĂ©cipitations. Pour Charles Fort ces explications ne suffisaient pas et il construisit alors l'une de ses hypothĂšses les plus visionnaires et farfelues. Pour expliquer ces pluies mystĂ©rieuses Fort a postulĂ© l'existence de la Super mer des Sargasses, une rĂ©gion au-dessus de l'atmosphĂšre terrestre oĂč elle s'est terminĂ©e - Ă  son avis - tout ce qui a Ă©tĂ© capturĂ© par de mystĂ©rieuses forces cosmiques et y est restĂ© dans une sorte de limbes mĂȘme pendant des annĂ©es ou des siĂšcles avant d'ĂȘtre rejetĂ© sur Terre des tempĂȘtes qui troublaient parfois cette mer. Selon Fort, si nous avions pu visiter cette mer nous aurions trouvĂ© :

«Épaves, dĂ©bris, vieilles cargaisons d'Ă©paves spatiales; des choses projetĂ©es dans ce qu'on appelle l'espace des convulsions d'autres planĂštes, des choses du temps des Alexandrins, des CĂ©sars et des NapolĂ©ons, de Mars et de Jupiter et de Neptune ; les choses aspirĂ©es par les cyclones terrestres : chevaux et Ă©curies et Ă©lĂ©phants et mouches et dodi et moa et ptĂ©rodactyles ; tous, cependant, qui ont tendance Ă  se dĂ©sagrĂ©ger en boue ou sable homogĂšne, rouge ou noir ou jaune... des trĂ©sors authentiques pour les palĂ©ontologues et les archĂ©ologues... des gisements sĂ©culaires... les cyclones d'Egypte, de GrĂšce, d'Assyrie... des poissons flĂ©tri et raidi, lĂ  pour un court laps de temps; d'autres assez longtemps pour se putrĂ©fier. "

Fort dans ses spĂ©culations "supergĂ©ographiques" (comme il appelait l'Ă©tude de la "super mer des Sargasses") est allĂ© jusqu'Ă  Ă©mettre l'hypothĂšse d'une rĂ©gion similaire Ă  la Terre situĂ© dans la super mer des Sargasses, une planĂšte appelĂ©e Genestrine sur laquelle se seraient dĂ©veloppĂ©es des formes de vie primitives qui, grĂące aux tempĂȘtes de ladite "mer", auraient "plu" sur la Terre et l'auraient peuplĂ©e.

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Parmi les nombreuses bizarreries tombées du ciel, la plus bizarre est certainement celle que Fort a trouvée rapportée dans le numéro du 10 septembre 1910 de Scientific American. Défini par Fort «l'une des plus maudites de nos données», l'article fait référence à «une pierre étrange ressemblant à une météorite, [qui] est tombée dans la vallée de Yaqui, au Mexique, et d'un bout à l'autre du pays a fait le tour de l'histoire qu'elle était descendue sur terre une pierre qui portait des inscriptions Humain». Fort signale un autre aérolithe aux signes mystérieux, qui se serait écrasé prÚs de Brescia le 16 février 1883 : cette fois la météorite porterait l'empreinte d'une main humaine. Qui était l'expéditeur de ces étranges messages ?

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Trouvailles d'ailleurs

Des choses étranges viennent du ciel et tout aussi étranges sont les choses qui apparaissent en creusant sous terre. Un grand espace est dédié par Fort à des découvertes archéologiques extraordinaires, qui jettent un doute sur l'histoire de la planÚte telle que nous l'avons connue. Le catalogue est également dans ce cas large et varié. Un fermier du comté de Cass, dans l'Illinois, trouve une piÚce de monnaie en bronze portant l'ancienne inscription grecque "Le roi Antiochus Epiphane le Victorieux". Fort rapporte la découverte d'une piÚce de monnaie romaine dans un tumulus de l'Illinois. Plus vous plongez dans les pages que Fort consacre au sujet, plus les découvertes deviennent incroyables :

« Des tablettes de pierre portant les dix commandements en hĂ©breu auraient Ă©tĂ© trouvĂ©es dans des monticules aux États-Unis. Des emblĂšmes maçonniques auraient Ă©tĂ© trouvĂ©s dans des monticules amĂ©ricains. "

En 1838, il a été trouvé dans un ancien tumulus funéraire à Grave Creek en Virginie Occidentale "une petite pierre ovale plate - ou disque - sur laquelle étaient gravés des caractÚres alphabétiques». Ces trouvailles « insolites » à la fois chronologiques et géographiques jettent un doute sur l'histoire du continent américain. Cependant, il y en a d'autres que Fort, avec sa sagacité et son imagination, utilise pour poser des questions encore plus dérangeantes.

Ils ont Ă©tĂ© trouvĂ©s en Virginie petites croix, pesant entre 7 et 28 grammes, pas plus gros qu'une tĂȘte d'Ă©pingle. Les gĂ©ologues qui les ont analysĂ©s ont conclu qu'ils Ă©taient faits de cristal et qu'ils se sont formĂ©s spontanĂ©ment. Fort Ă©tait bien sĂ»r d'un tout autre avis :

« Une race d'ĂȘtres minuscules. Ils ont crucifiĂ© des cafards. Des ĂȘtres exquis... mais voilĂ  la cruautĂ© de leur dĂ©licatesse. Dans leur petite taille, ils Ă©taient des ĂȘtres humains. Ils ont crucifiĂ©. "

Fort Ă©numĂšre ensuite d'autres rĂ©cits de dĂ©couvertes d'outils miniatures tels que les soi-disant silex pygmĂ©es. silex pygmĂ©es »ce sont de minuscules outils prĂ©historiques. Certains d'entre eux ont la taille d'un quart de pouce (0,6 centimĂštre). L'Angleterre, l'Inde, la France, l'Afrique du Sud - ont Ă©tĂ© trouvĂ©es dans de nombreuses parties du monde - qu'elles y aient Ă©tĂ© plu ou non. Zone». Qui Ă©taient ces ĂȘtres minuscules ? Comme pour les pluies mystĂ©rieuses, Fort trouve l'origine des artefacts dans le ciel. Les ĂȘtres minuscules viendraient sur Terre de une planĂšte hypothĂ©tique que Fort appelle Elvera:

"[...] on pense que les habitants d'Elvera ne sont venus ici que pour une visite : arrivĂ©s en hordes aussi Ă©paisses que des nuĂ©es de chauves-souris pour des parties de chasse... de souris je dirais [...] ou plus vraisemblablement, pour convertir les paĂŻens ici... [... ] Ils devaient ĂȘtre des missionnaires. "

Leurs corps, petits et fragiles, n'auraient pas Ă©tĂ© conservĂ©s sous forme de fossiles, mais leurs artefacts le seraient, et Fort cite un article du 20 juillet 1836 dans le London Times rapportant la dĂ©couverte dans une formation rocheuse prĂšs d'Édimbourg par «une petite grotte. Dix-sept petits cercueils. Trois Ă  quatre pouces de long. Dans les cercueils, il y avait des personnages en bois miniature».

D'autres dĂ©couvertes ont suggĂ©rĂ© que des ĂȘtres gigantesques avaient parcouru la Terre dans un passĂ© lointain. Fort rapporte plusieurs dĂ©couvertes faites Ă  l'intĂ©rieur de tumulus d'armes et d'outils trop grands et trop lourds pour ĂȘtre utilisĂ©s par un ĂȘtre humain ordinaire. MĂȘme un rapport parle d'empreintes humaines de 45 Ă  50 centimĂštres de long qui auraient Ă©tĂ© retrouvĂ©es dans le grĂšs du Nevada. A la lumiĂšre de cette actualitĂ© pour Fort les lĂ©gendes sur gĂ©ants et le "Les petites gens" ils ont acquis une nouvelle crĂ©dibilitĂ©.

Ces dĂ©couvertes ont incitĂ© Fort Ă  considĂ©rer l'hypothĂšse que la Terre avait Ă©tĂ© visitĂ©e dans le passĂ© par des ĂȘtres d'autres mondes. Charles Fort fut le premier auteur Ă  populariser cette idĂ©e qui connaĂźtra un grand succĂšs tant dans le domaine de la littĂ©rature de science-fiction que dans celui des pseudosciences et des "rĂ©alitĂ©s alternatives". Les visites d'extraterrestres pourraient expliquer les nombreux artefacts Ă©garĂ©s, comme les monnaies romaines en AmĂ©rique :

"Nous sommes d'avis qu'il y a eu des catastrophes dans l'air, et que des piĂšces de monnaie sont tombĂ©es ici et que les habitants de la la terre les ait trouvĂ©es ou les ait vues tomber, et qu'eux aussi frappaient les monnaies par imitation : il se peut que les monnaies aient Ă©tĂ© dĂ©posĂ©es ici par quelque ĂȘtre tutĂ©laire qui entendait nous faire passer du stade du troc Ă  l'usage de l'Ă©change. "

Charles Fort dans ses écrits éclipse cependant un scénario plus inquiétant dans lequel l'humanité sans méfiance est à la merci de entités extraterrestres dont il ignore l'existence et les projets qu'ils lui réservent :

"Je dirais que nous appartenons à quelque chose: que cette terre était autrefois un No Man's Land et que d'autres mondes l'ont explorée et colonisée et se sont battus pour la possession, mais qu'elle est maintenant possédée par quelque chose. Que quelqu'un possÚde ce terrain et que tous les autres ont été avisés de rester à l'écart. "

Fort suggÚre que pour rendre notre planÚte précieuse et attrayante pour nos "maßtres", ce serait nous les humains : nous serions leur bétail en un mot :

"Je soupçonne que nous sommes utiles aprĂšs tout ... et qu'un accord a Ă©tĂ© conclu entre les demandeurs en lice, Ă  savoir que maintenant quelque chose a des droits lĂ©gaux sur nous, obtenus par la force ou en payant avec l'Ă©quivalent de nos colliers de verre. Ă  notre premiers et plus primitifs propriĂ©taires - aprĂšs avoir averti tous les autres de s'Ă©loigner - et que tout cela Ă©tait connu depuis des siĂšcles par certains habitants de la terre, par une secte ou un ordre, par des membres qui font office de chefs de meute pour nous autres, ou qui sont des super-esclaves ou des contrĂŽleurs qui nous dirigent selon nos instructions reçues
 ailleurs
 pour notre mystĂ©rieuse utilitĂ©. "

Fort pense également avoir trouvé des preuves de communications entre ces groupes humains et leurs supérieurs inconnus. Dans l'un de ses vols imaginatifs les plus audacieux, Fort déclare que des empreintes de pas ont été trouvées dans les roches de diverses parties de la planÚte qu'il appelle "en forme de tasse de café» Disposés en rangées. Fort voit des similitudes avec l'alphabet braille et le code morse et imagine que les signes sont le résultat d'une transmission à distance qui les a imprimés dans la roche :

"Peut-ĂȘtre que les forces derriĂšre l'histoire de la terre ont laissĂ© des Ă©crits sur les rochers de la Palestine, de l'Angleterre, de l'Inde et de la Chine, qui seront un jour dĂ©chiffrĂ©s, concernant des instructions adressĂ©es Ă  certains groupes Ă©sotĂ©riques. "

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Fort et Sciences

Que faire de toutes ces donnĂ©es incroyables et des conclusions dĂ©concertantes auxquelles Fort est parvenu ? Ne les acceptez certainement pas sans critique, car cela rendrait un mauvais service au travail de Fort. En revanche, c'est lui-mĂȘme qui a Ă©crit : "Je ne crois rien de ce que j'ai Ă©crit». Tout comme il est lĂ©gitime d'avoir quelques doutes sur l'exactitude des signalements recueillis par Fort. Fort lui-mĂȘme se considĂ©rait comme un pionnier qui collectait toutes les donnĂ©es disponibles sans se soucier de leur exactitude. La vĂ©rification aurait Ă©tĂ© un travail Ă  effectuer ultĂ©rieurement :

« Je ne pense pas que je fais de l'absurde une idole. Je pense que dans les premiÚres tentatives, il n'y a aucun moyen de savoir ce qui sera acceptable par la suite. Si l'un des pionniers de la zoologie (qui est à refaire) entend parler d'oiseaux qui poussent sur les arbres, il devrait signaler qu'il a entendu parler d'oiseaux qui poussent. des arbres. Alors il doit prendre soin, mais alors seulement, d'examiner les données de ce fait. "

Cela nous amĂšne Ă  la question de la relation entre Charles Fort et la science. C'Ă©tait certainement une relation conflictuelle. Il il l'a dĂ©fini voire "l'ennemi de la science". Une dĂ©finition efficace mais pas trĂšs prĂ©cise. S'il est vrai que Fort n'a pas lĂ©sinĂ© sur les attaques mĂȘme fĂ©roces contre la science de son temps, il est Ă©galement vrai qu'il n'a jamais complĂštement rejetĂ© la mĂ©thode scientifique. Fort Ă©tait un sceptique, un sceptique critique de la science qu'il dĂ©finissait comme un "exclusif" ou enclin Ă  n'accepter que les donnĂ©es qui confirmaient les thĂ©ories acceptĂ©es et Ă  rejeter les donnĂ©es qui les mettaient en doute.

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Cette tendance conduisit selon lui Ă  une stagnation mortelle et empĂȘcha de rĂ©els progrĂšs scientifiques. Crucial pour Fort Ă©tait l'analyse des anomalies, de ces maudits faits qui n'avaient pas leur place dans les modĂšles scientifiques. En confirmation de cela, Fort Ă©crivit non sans ironie :

« Il y a beaucoup de choses dans les sciences les plus acceptées d'aujourd'hui qui représentent une réhabilitation de soi-disant légendes, superstitions et folklore. Souvenez-vous de l'incrédulité de Voltaire face aux fossiles, auxquels selon lui seuls les paysans pouvaient croire... Il était l'un des esprits les plus vifs, mais il ne pouvait pas accepter les données, car il refusait l'explication de ces données... Aujourd'hui il sont certains arriérés qui ne croient pas aux sorciÚres : mais tout homme marié connaßt la vérité ! "

Pour Fort, le progrĂšs scientifique est passĂ© de l'Ă©tude de donnĂ©es qui remettent en cause les modĂšles acceptĂ©s, plutĂŽt que de donnĂ©es qui les confirment, favorisant ainsi l'Ă©mergence de nouveaux paradigmes : "La science d'aujourd'hui... la superstition de demain. La science de demain ... la superstition d'aujourd'hui». Dans certaines parties de ses Ă©crits, en revanche, il semble percevoir l'insuffisance de la science de son temps comme salvifique pour l'homme : tout Ă  fait dans la lignĂ©e du narrateur lovecraftien du phĂ©nomĂ©nal incipit de L'Appel de Cthulhu il juge que "Toute science est une pieuvre mutilĂ©e. Si ses tentacules n'Ă©taient pas coupĂ©s en morceaux, il entrerait en contact avec des choses inquiĂ©tantes. Bref, la science l'exclusionniste de son temps Ă©tait incapable de comprendre l'homme et sa place dans l'univers et peut-ĂȘtre que pour la vie tranquille de l'humanitĂ© c'Ă©tait mieux ainsi.

Fort Charles
L'enseigne de l'Association Marchmont, qui se consacre au « Fortianisme », c'est-à-dire à l'étude des phénomÚnes surnaturels et extraordinaires à l'instar de Charles Fort

L'héritage de Charles Fort

MĂȘme si aujourd'hui le nom de Charles Fort ne dit rien au grand public, ses idĂ©es ont pĂ©nĂ©trĂ© l'imaginaire collectif et sont devenues l'hĂ©ritage du folklore moderne des "rĂ©alitĂ©s alternatives". Dans ce crĂ©neau particulier, Fort est devenu un tournant, au point d'ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le premier Ă©rudit "moderne" du paranormal. Dans une certaine mesure, toutes les disciplines pseudoscientifiques telles que l'ufologie, l'archĂ©ologie spatiale et la cryptozoologie sont issues des travaux de Fort et il n'est pas hasardeux de dire que sans ses livres ce courant culturel ne serait pas le mĂȘme. Son importance dans ce domaine est telle qu'elle a Ă©tĂ© inventĂ©e le terme "fortiano" (fortĂ©en en anglais), au double sens de suiveur de Fort et de typologie de phĂ©nomĂšne (qui aurait pu ĂȘtre) Ă©tudiĂ© par Fort dans ses travaux.

Dans la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle, des dizaines d'auteurs ont poursuivi l'Ɠuvre de Fort ou en ont Ă©tĂ© influencĂ©s. Le français Louis Pauwels e Jacques Bergier ils citent Fort comme l'un des reprĂ©sentants du « rĂ©alisme magique » dans le sĂ©minal Le matin des magiciens. Parmi les disciples les plus influents de Fort, il faut certainement retenir le journaliste et chercheur John A. Quille, avec Jacques VallĂ©e l'un des plus grands partisans de l'hypothĂšse OVNI "paraphysique". Connu avant tout pour avoir fait la figure lĂ©gendaire du cĂ©lĂšbre Mothman, Keel dans ses livres poursuit le travail de catalogage de l'absurde commencĂ© par Fort et tente de trouver un fil conducteur qui relie les types d'anomalies les plus disparates.

Un autre domaine dans lequel les idĂ©es de Fort ont connu un grand succĂšs est celui de la science-fiction, en particulier ce sous-genre aux frontiĂšres incertaines qui porte le nom de bizarre. Ici aussi, il existe de nombreux exemples d'auteurs qui se sont inspirĂ©s des livres de Fort pour des nouvelles et des romans, mais il y a un auteur en particulier avec qui Fort partage sa vision particuliĂšre du monde, Ă  savoir le susmentionné Howard Phillips Lovecraft. A la lecture de certaines considĂ©rations sur l'univers, les forces obscures qui le gouvernent et la "bĂ©atitude ignorance" de l'ĂȘtre humain mises en page par Fort, l'esprit ne peut que courir aux meilleurs contes du solitaire de la Providence.

Ces deux hommes, solitaires, obsessionnels et misanthropes, concevaient l'univers comme un lieu froid et hostile Ă  la merci de forces aveugles et incomprĂ©hensibles, oĂč l'ĂȘtre humain a survĂ©cu, fuyant l'horreur qui vient du savoir en se protĂ©geant de les dogmes et fĂ©tiches des religions et des sciences. L'Ă©crivain Lyon Sprague de Camp dans son Lovecraft : une biographie, raconte Ă  quel point Lovecraft Ă©tait enthousiasmĂ© par le Le livre des damnĂ©s, y trouvant une grande source d'inspiration pour les histoires sans prendre au sĂ©rieux les idĂ©es de Fort, Ă  tel point qu'il cite l'Ă©crivain new-yorkais dans son histoire Celui qui murmurait dans l'obscuritĂ©. S'il s'avĂšre qu'il n'a jamais rencontrĂ© Fort, ni que les deux ont correspondu, cependant, de Camp n'exclut pas que Lovecraft ait pu ĂȘtre prĂ©sentĂ© Ă  Fort pendant la pĂ©riode oĂč il vivait Ă  New York.

L'aboutissement le plus rĂ©ussi du mariage entre les thĂ©ories de Fort et la science-fiction est certainement le roman Esclaves des Invisibles (en version originale BarriĂšre sinistre) De Eric Frank Russel, publiĂ© en 1943. InspirĂ© de la cĂ©lĂšbre maxime de Fort «Je pense que nous sommes la propriĂ©tĂ© des autres», L'histoire raconte l'histoire d'un groupe de scientifiques qui dĂ©couvrent que la terre est habitĂ©e par des extraterrestres invisibles Ă  l'Ɠil nu, les Vitons. DĂšs l'apparition de petites sphĂšres d'Ă©nergie, les Vitons se nourrissent des Ă©nergies nerveuses et de la souffrance des humains sans mĂ©fiance et pour cette raison, ils ont affectĂ© nĂ©gativement l'histoire humaine depuis des temps immĂ©moriaux. Dans ce roman, Russell dĂ©veloppe de nombreuses idĂ©es de Fort, anticipant Ă©galement de nombreuses idĂ©es qui deviendront trĂšs populaires dans le domaine des rĂ©alitĂ©s alternatives dans quelques dĂ©cennies, comme le thĂšme deinfluence des entitĂ©s parasites Ă  travers l'histoire de l'humanitĂ© et celle de enlĂšvements extraterrestres.

Malgré le siÚcle qui s'est écoulé depuis la publication de Le Livre des damnés, Fort et son travail restent pertinents et, à certains égards, controversés. Au fil des ans, il a été qualifié de prophÚte ou de charlatan : il n'aurait certainement pas accepté l'une ou l'autre des définitions. Fort était, comme nous l'avons dit au début, une étrange sorte de rebelle; et, aprÚs tout, ils nous offrent la meilleure synthÚse de sa figure Bergier et Pauwels de celui-ci Le matin des magiciens:

« Avant les premiĂšres manifestations du dadaĂŻsme et du surrĂ©alisme, Charles Fort a introduit dans la science ce que Tzara, Breton et leurs disciples auraient introduit dans les arts et la littĂ©rature : le refus flamboyant de jouer Ă  un jeu oĂč tout le monde triche, l'affirmation violente qu' « il y a plus ». Un effort Ă©norme, peut-ĂȘtre pas pour penser le rĂ©el comme un tout, mais pour Ă©viter que le rĂ©el soit pensĂ© de maniĂšre faussement cohĂ©rente. Une pause essentielle : "Je suis un taon qui irrite le cuir du savoir pour l'empĂȘcher de dormir." "

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Bibliographie:

  • Charles-Fort, Le livre des damnĂ©s
  • Charles-Fort, Les livres complets de Charles Fort
  • Damon Chevalier, Charles Fort : prophĂšte de l'inexpliquĂ©
  • Louis Pauwels et Jacques Bergier, Le matin des magiciens
  • Lyon Sprague de Camp, Lovecraft : Une biographie