La magie de la Mainarde : sur les traces du Janare et de l'Homme Cerf

Une visite à Castelnuovo al Volturno, dans le Molise, nous permet de donner un visage aux personnages du folklore local, les Janare et "Gl'Cierv", et de reprendre certains aspects mythiques et traditionnels centraux de Cultes cosmiques-agraires de l'ancienne Eurasie.


di Maximilien Palmesano
(revue par Marco Maculotti)
image: l'Homme Cerf du Carnaval de Castelnuovo al Volturno

 

Le dernier dimanche de Carnaval de Castelnuovo al Volturno (Isernia), en Molise, on cĂ©lĂšbre une fĂȘte qui nous ramĂšne directement dans la nuit des temps, quand une diffĂ©renciation aussi claire entre les humains et les animaux n'avait pas encore eu lieu et, en effet, les premiers ont pu se transformer en secondes et les ces derniers ont pu communiquer avec leurs esprits avec les hommes : c'est la fĂȘte de "Gl'Cierv", ou l'homme aux cerfs. La cĂ©lĂ©bration, qui semble ĂȘtre une ritualisation mythique du passage de l'hiver au printemps avec le rĂ©veil cyclique de la nature, est une pantomime dans laquelle, en plus de l'Homme Cerf, d'autres figures apparaissent Ă©galement comme la Biche, le Hunter, le masque Molise de Martino et entre autres aussi le Janare et le Maone, leur sombre chef.

La prĂ©sence des Janare au sein de la pantomime est d'autant plus intĂ©ressante que lors du rite ils apparaissent en premier et, outre les attributs nĂ©gatifs stĂ©rĂ©otypĂ©s qui les accompagnent un peu partout dans le vaste espace oĂč ils sont prĂ©sents, ils prĂ©sentent aussi plus de connotations. typiquement chamanique : il semble que l'Homme Cerf soit presque Ă©voquĂ© par la procession et les danses extatiques de ces femmes vĂȘtues de noir, masquĂ©es et aux longs cheveux de raphia. Nous dĂ©cidons donc d'aller au Mainarde, sur la piste de ce qui Ă  premiĂšre vue nous a semblĂ© intĂ©ressant "anomalie" Ă  analyser chemin faisant, en paraphrasant Carlo Ginzbourg, de "DĂ©cryptage" du janara, presque totalement dĂ©pouillĂ©, dans le rituel du cerf, de ses prĂ©rogatives dĂ©moniaques et nĂ©gatives, prĂ©rogatives "obscurcies" par le rĂŽle magique d'Ă©vocateurs de l'esprit ancestral du cerf.

En réalité, il y a deux anomalies intéressantes : la seconde est celle qui rentre dans le cadre que nous appelons le "Géographie des Janara", un champ d'étude assez large qui traite des rapports entre centres et périphéries, d'une part, et d'autre part, celui qui concerne les frontiÚres de ce que nous appellerons le "Nation Janara", c'est-à-dire l'ensemble du territoire intéressé à la tradition et à la superstition par la présence des janaras. Sur ce dernier point il y a une précision : parmi les nombreux stéréotypes qui accompagnent l'histoire noire de Janara, l'un des plus répandus est celui qui la veut simplement comme une « traduction » bénéventienne de la figure de la sorciÚre (une considération qui est au moins une demi-vérité, sinon l'explication superficielle d'un phénomÚne beaucoup plus complexe).

La « Nazione Janara » comprend certes tout le territoire de BĂ©nĂ©vent, mais ses ramifications s'Ă©tendent vers le sud sur quelques kilomĂštres en aval de BĂ©nĂ©vent jusqu'au nord de Salerne. En effet, le chiffre de la "Maciara" ou "magara", plus proche du monde magique lucanien Ă©tudiĂ© par Ernesto DeMartino, tandis que si nous allons vers le nord, nous trouvons sa prĂ©sence presque partout dans les provinces de Naples et de Caserta, dans le bas Latium au moins jusqu'Ă  Terracina et Fondi (Ă  Formia, il y a mĂȘme le toponyme "Grotta della Janara"), dans presque tout Molise et dans certaines rĂ©gions des Abruzzes infĂ©rieures et dans une partie de la province de Foggia. Un vaste territoire qui laisse penser qu'il ne suffit pas de justifier cette diffusion avec la seule influence qu'a eu BĂ©nĂ©vent comme capitale de Longobardie mineure au haut Moyen Âge, c'est-Ă -dire Ă  l'Ă©poque oĂč, selon certains, la figure de la janara s'est formĂ©e.

Qu'est-ce que Bénévent a à voir avec tout ce discours alors ? Elle y est pour quelque chose, tout comme les Lombards et la principauté des Longobardie mineure. Lorsque les Lombards arrivÚrent à Bénévent dans la seconde moitié du VIe siÚcle aprÚs J.-C., menés par un chef guerrier appelé Zotton (vers 570-591), que la tradition décrit comme le fondateur du duché lombard de Bénévent , ils étaient déjà presque tous catholiques (avec de petites minorités professant « l'hérésie arienne ») et avaient officiellement abandonné leurs anciens cultes depuis pas mal d'années. Cette "conversion" des peuples lombards, cependant, s'était produite plus pour des raisons purement politiques que "spirituel": elle leur offrait en fait un plus large éventail de possibilités de comparaison (en réalité presque toujours rebelle) avec la papauté : il était essentiel pour eux de rendre leur présence la plus « étrangÚre » possible au contexte qu'ils entendaient dominer, bien que la l'essentiel du travail, ils l'ont fait avec l'épée.

En rĂ©alitĂ©, cependant, bon nombre de ces guerriers ont conservĂ© les coutumes et les traditions de leurs ancĂȘtres, avec des cĂ©rĂ©monies pratiquĂ©es Ă  l'extĂ©rieur, parmi les arbres et peut-ĂȘtre juste sous un noyer, avec prĂ©sence de simulacres rituels caprins semblable Ă  de nombreux peuples nomades-guerriers du nord et de l'est de l'Europe et peut-ĂȘtre aussi avec des sacrifices rituels de chĂšvres; un corollaire cultuel que si d'une part, Ă  commencer par San Barbato qui dans sa prĂ©dication se mit Ă  parler de rassemblements de sorciĂšres et de dĂ©mons sous le noyer de BĂ©nĂ©vent, il associa facilement ces cultes paĂŻens Ă  sabbat de la sorcellerie, d'autre part, presque certainement, ces mĂȘmes formes de culte ont Ă©tĂ© immĂ©diatement reconnues comme apparentĂ©es par des femmes qui pratiquaient des cultes ancestraux datant, selon nous, d'avant l'Ă©poque romaine : cultes italiques liĂ©s Ă  la DĂ©esse MĂšre avec de fortes affinitĂ©s avec la monde celto-germanique. Bref, si d'une part, dans le rĂ©cit public, il Ă©tait stĂ©rĂ©otype dĂ©moniaque et paĂŻen prendre en charge , d'autre part, des formes de syncrĂ©tisation Ă©taient Ă©galement possibles, ou peut-ĂȘtre seulement d'affinitĂ© archĂ©typale-symbolique entre les cultes des Janare et ceux des conquĂ©rants lombards.

L0019609 Une sorciĂšre Ă  son chaudron entourĂ©e de bĂȘtes. Gravure de J.
Jan van de Velde II, "Une sorciĂšre Ă  son chaudron entourĂ©e de bĂȘtes", 1626.
Magnifique et féérique Mainarde

Mais revenons Ă  la Mainarde. DĂšs qu'on arrive dans le domaine, on a l'impression d'ĂȘtre dans un lieu "magique", oĂč la nature conserve virginalement tous ses pouvoirs et oĂč le temps s'est taillĂ© un espace de fixitĂ© en cessant son rythme infini. Nous nous basons sur lac de San Vincenzo, un bassin artificiel construit au milieu du siĂšcle dernier pour alimenter une centrale hydroĂ©lectrique mais qui s'est parfaitement intĂ©grĂ© au territoire, de rester quelques jours pour avoir une premiĂšre approche avec le monde du Cerf et du Janare de Castelnuovo.

Mais d'abord, faisons (Ă  notre joie infinie) un saut verszone archĂ©ologique de l'abbaye de San Vincenzo a Volturno qui est dĂ©fini par beaucoup comme le dĂ©but du Moyen Âge de PompĂ©i, et Ă  Scapoli, patrie des fabricants de cornemuses, un autre Ă©lĂ©ment, celui des cornemuses et des cornemuses, qui nous montre une forte rĂ©sistance culturelle dans ces terres. La premiĂšre rencontre avec le Janare et avec le cerf nous le faisons Ă  Scapoli, oĂč, dans l'atelier du maĂźtre Izzi, situĂ© Ă  l'intĂ©rieur de la passerelle de la citadelle mĂ©diĂ©vale, parmi les tours, les cornemuses et les chĂąles, certains ont fini d'autres encore esquissĂ©s nous prenons l'occasion de poser quelques questions et d'expliquer aux locaux la raison de notre visite.

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Tout d'abord, nous dĂ©couvrons qu'une des hypothĂšses qui nous a amenĂ©s jusqu'ici doit ĂȘtre reformulĂ©e : les Janare dans la pantomime du cerf ont Ă©tĂ© introduits plus tard et ces derniers temps. Certes la janara est une figure centrale des croyances de ces terres, mais notre hypothĂšse concernant son rĂŽle d'Ă©vocatrice du Cerf a Ă©tĂ© Ă©cartĂ©e. DĂ©couvrons Ă©galement un autre fait utile: dans les temps anciens, la fĂȘte du cerf Ă©tait pratiquĂ©e dans toute la rĂ©gion et n'Ă©tait pas seulement une prĂ©rogative de Castelnuovo, prĂ©cisĂ©ment pour souligner le substrat culturel archaĂŻque commun des habitants de ces rĂ©gions.

En quittant Scapoli et en parcourant les rues Ă©troites du centre historique, nous remarquons dans deux jardins de maisons privĂ©es deux plantes luxuriantes de noyer metella (datura mĂ©tal), appartenant Ă  la famille des solanacĂ©es et Ă©troitement apparentĂ©e Ă  la stramonium (datura stramonium) : la noix de metella fait partie des plantes magiques utilisĂ©es par celle que nous simplifions nous dĂ©finissons la "la sorcellerie europĂ©enne". Bien sĂ»r : deux plantes ne peuvent en aucun cas indiquer une donnĂ©e ethnologique ou ethnobotanique et nous n'avons pas eu l'occasion d'interviewer les propriĂ©taires des jardins, mais nous avons aimĂ© ĂȘtre influencĂ©s par leur prĂ©sence immĂ©diatement aprĂšs avoir parlĂ© des janare et des hommes qui se transforment en cerfs .et nous rĂ©cupĂ©rons la sphĂšre aiguillonnĂ©e caractĂ©ristique pour la conserver et la cataloguer dans notre section "Herbier".

Dans l'aprĂšs-midi, nous arrivons enfin Ă  Castelnuovo et, sous prĂ©texte de demander des informations, nous nous arrĂȘtons au bar de la place oĂč se dĂ©roule la pantomime du cerf ; dans la voiture, nous avons aussi des volumes dont nous voulons discuter avec quelqu'un de l'endroit dĂšs que l'occasion se prĂ©sente. Devant le bar, il y a deux personnes ĂągĂ©es souriantes : nous nous arrĂȘtons pour leur demander un endroit oĂč acheter une bouteille de bon vin. MalgrĂ© une certaine mĂ©fiance initiale, nous essayons de briser la glace en utilisant le dialecte : mais nous n'utilisons pas le dialecte campanien le plus proche du napolitain, nous utilisons une forme dialectale hybride entre le nord de la Campanie et les dialectes des Apennins avec une terminaison en "ou", ancien Ă©cho de langues Oscan-Samnite et l'expĂ©dient nous aide beaucoup. On dĂ©couvre que tous deux ont toujours Ă©tĂ© joueurs de cornemuse et ont "Fait le tour du monde avec cornemuse et ciaramella" et immĂ©diatement nous sympathisons avec l'un d'eux, Giuseppe, qui aprĂšs quelques minutes de silence nous invite Ă  le suivre chez lui : il nous donnera le vin.

Nous sommes au premier coup d'oeil dĂ©paysĂ©s par ce monsieur sympathique et vital au fil des annĂ©es, par son Ă©nergie, par sa façon de nous accueillir, par son sourire : par contre aussi la musique, savoir la crĂ©er, ĂȘtre un vĂ©hicule pour la transmettre aux gens pour leur insuffler des sensations a toujours Ă©tĂ© une prĂ©rogative chamanique et nous ne pouvons manquer de relier la raison de notre recherche Ă  cette autre rĂ©sistance culturelle liĂ©e au monde de la cornemuse et de la cornemuse, dans ce lopin de terre. Nous nous asseyons Ă  table avec lui et nous comprenons tout de suite que Peppe ne nous vendra rien : il nous donnera le vin, ainsi que de savoureuses tomates et piments de son jardin. Il nous parle de sa vie, de ses enfants, de la campagne et surtout de sa vie de joueur de cornemuse, de l'art hĂ©ritĂ© de son pĂšre, des longues chevauchĂ©es dans la botte, et nous raconte Charles Moulin, le peintre français qui a dĂ©cidĂ© de se retirer pour vivre dans une grotte sur la Mainarde aprĂšs avoir Ă©coutĂ© jouer par hasard un joueur de cornemuse, restĂ© enchantĂ©.

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L'Homme-Cerf dans le Carnaval de Castelnuovo al Volturno.

Nous lui racontons notre "recherche" du Cerf et du Janare et lui, avec une grande surprise, nous dit que sa femme fait partie du groupe de personnes qui organisent chaque annĂ©e le rituel du Cerf. De retour sur la place, elle nous attend. Commençons Ă  parler, nous proposons Ă  nouveau de maniĂšre fragmentĂ©e et discursive les questions du questionnaire que nous soumettons aux autochtones Ă  des fins de recherche. Quand on commence Ă  parler de la fĂȘte du Cerf et du Janare, un groupe se forme, et les locaux confirment que ces derniers ont Ă©tĂ© introduits dans la pantomime ces derniers temps, bien qu'ils aient toujours peuplĂ© les croyances locales. Ils nous disent comment les Janare sortent la nuit "en vol", se transforment en animaux, surtout en chats et en serpents, se procurent et enlĂšvent le mauvais Ɠil.

Nous découvrons également que la coutume des'abstenir d'avoir des rapports sexuels le 24 mars, car en cas de conception, il est possible que l'enfant naisse à Noël, et celui qui est né cette nuit-là devient janara ou loup-garou. Toujours le loup-garou et la janara (ou la sorciÚre) coexistent dans l'horizon mythique et superstitieux des communautés agro-pastorales un peu partout en Europe . Dans une histoire que nous avons rassemblée, datant du début des années 900, la personne qui s'est transformée en loup-garou se promenait la veille de Noël, terrorisant les gens. recouvert d'une épaisse fourrure e s'en couvrant le visage.

Dans cette histoire, nous avons immĂ©diatement trouvĂ© une similitude morphologique, dans les pages de Mircea Éliade  et Carlo Ginzbourg  avec pratiques connexes du chamanisme d'Asie centrale et europĂ©en, dans laquelle le chaman atteint l'extase en se recouvrant entiĂšrement d'une fourrure animale, le plus souvent celle de son animal totĂ©mique, s'envolant ("en esprit") ou se transformant en animal pour combattre avec d'autres chamans . L'isomorphisme entre des pratiques si Ă©loignĂ©es les unes des autres dans l'espace et dans le temps nous fait penser Ă  un substrat archaĂŻque commun ou en tout cas Ă  une affinitĂ© culturelle, surtout ici, oĂč en plus du conte du loup-garou nous en avons un autre bien plus important comprendre que il n'est plus tout Ă  fait animal, mais il n'est pas non plus dĂ©finitivement homme et c'est « Gl'Cierv » : vĂȘtu de peaux de chĂšvre, portant des sonnailles bruyantes et coiffĂ© d'une coiffe Ă  deux grandes cornes de cervin.

Le mythe de Castelnuovo transmet le souvenir vivace de (a) un culte ancestral lié à (b) passage de l'hiver à la période vitale du printemps ; (c) un culte avant tout extatique, l'homme déguisé en cerf qui descend dans la campagne se distinguant par (d) une "fureur" surhumaine (il descend au village en hurlant et écrasant tout sur son passage, aucune intervention ne peut l'apprivoiser, son étage de gros bois de cerf éloigne tout le monde), jusqu'à ce qu'il arrive (e) le chasseur qui le tue, mais seulement pour que (f) peut remonter, comme chaque année, la saison printaniÚre aprÚs celle de l'hiver.

Mort rituelle et résurrection du cycle des saisons à travers l'élément magique des peaux (la robe de l'Homme Cerf) et des os (sa coiffe de cervin). Vu sous cet angle, le mythe du cerf de Castelnuovo nous fournit une série complÚte et claire d'éléments de nature chamanique qui suggÚrent ses racines trÚs anciennes.

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DĂ©tail du Chaudron de Gundestrup.
Le Cerf, un archétype celto-italique

« Le prestige du cerf dans la symbolique n'est pas simplement liĂ© Ă  son apparence - beautĂ©, grĂące, agilitĂ© - mais aussi au phĂ©nomĂšne du cycle de croissance et de rĂ©gĂ©nĂ©ration de ses bois. Ce dernier aspect est profondĂ©ment intĂ©riorisĂ© par l'esprit des paysans nĂ©olithiques. Le stade bois de cervin joue un rĂŽle important [
]. Le rĂŽle du cerf dans le mythe de l'Europe antique n'est pas une invention des paysans nĂ©olithiques. L'importance de la biche gestante doit ĂȘtre hĂ©ritĂ©e d'une Ăšre prĂ©-agricole. Les peuples nordiques au stade de la chasse croient encore que la mĂšre de l'univers est une biche orignal ou un renne biche. Les mythes parlent de femmes enceintes qui gouvernent le monde et ont l'apparence de cerfs : couvertes de fourrure et de bois ramifiĂ©s sur la tĂȘte. "

Nous sommes ici confrontĂ©s Ă  une symbole "totĂ©mique" trĂšs ancien et surtout rĂ©pandu dans toute l'Europe. On sait que la figure archĂ©typale du cerf reste centrale mĂȘme Ă  l'Ă©poque romaine : l'animal est sacrĂ© pour donner Ă  Diana, protecteur, entre autres, des bois et de la vie sauvage. Une lĂ©gende raconte que lorsque l'armĂ©e romaine assiĂ©gea l'ancienne ville Capua, celui-ci parvint Ă  rĂ©sister jusqu'au Mont Tifata, lieu sur lequel se dressait le trĂšs important temple de Diana Tifatine, n'est pas sorti un cerf blanc, symbole et totem de la dĂ©esse, qui se prosterna devant le gĂ©nĂ©ral romain en se faisant tuer.

Cette mise Ă  mort mythique, ritualisĂ©e et sacrĂ©e nous ramĂšne Ă  une autre similitude morphologique supplĂ©mentaire entre le mythe du Cervo di Castelnuovo et le culte de Diane, c'est-Ă -dire avec l'histoire qui fait James Frazer ni "La branche d'or » du chiffre de Rex NĂ©morensis. Le Rex NĂ©morensis Ă©tait roi-prĂȘtre qui vivait dans le temple de Diane prĂšs du lac de Nemi (prĂšs de Rome). La Diane NĂ©morensis (De nĂ©mur > bois ou plus prĂ©cisĂ©ment bois sacrĂ©) a des affinitĂ©s prĂ©cises avec Diana Tifatina, en fait aussi le terme "tifĂąt » indique une forĂȘt de chĂȘnes verts . Le Rex NĂ©morensis gardait et dĂ©fendait le temple Ă  l'ombre d'un grand chĂȘne sacrĂ© et brandissait constamment une Ă©pĂ©e, car la succession entre l'ancien et le nouveau roi-prĂȘtre (gĂ©nĂ©ralement un esclave affranchi) se faisait avec un meurtre rituel: le nouveau roi-prĂȘtre n'a pu le devenir qu'aprĂšs avoir tuĂ© l'ancien .

Ces implications sanglantes de la mort et de la renaissance sont similaires Ă  la mort et Ă  la rĂ©surrection rituelles de l'Homme Cerf dans la pantomime de Castelnuovo et ont presque certainement une racine chamanique archaĂŻque commune : aussi le Cerf de Castelnuovo il ne meurt que dans la mesure oĂč la nouvelle renaissance est dĂ©jĂ  assurĂ©e, tout comme le Rex NĂ©morensis qui ne meurt que par ceux qui prendront aussitĂŽt leur place dans un cycle continu, circulaire et non linĂ©aire, selon une vision du temps typique du monde antique .

Mais il y a aussi un autre domaine de rapprochements et d'analogies morphologiques qui sont encore plus intĂ©ressants Ă  comparer et Ă  analyser, et qui nous conduisent directement Ă  la monde Celtique-germanique. Sur le soi-disant Chaudron de Gundestrup, un artefact datant du IIe siĂšcle av. J.-C. (trouvĂ© dans une tourbiĂšre de l'Himmerland au nord du Danimaca en 1891), un Homme cerf brandissant un serpent, entourĂ© d'animaux sauvages, dont un cerf : la ressemblance avec le cerf de Castelnuovo est frappante. L'ĂȘtre mythique reprĂ©sentĂ© sur le chaudron est le dieu Cernunnus (ou Kernunnos), divinitĂ© Ă  cornes de cervin et couverte de fourrure animale, adjointe Ă  la vie sauvage, aux bois et au cycle des saisons .

Également sur le chaudron de Gundestrup, nous trouvons gravĂ©es de petites figures tripunted qui ressemblent Ă  trois petits champignons joints Ă  la tige, de la forme du chapeau, il est possible de tracer des similitudes avec champignons psychoactifs du genre psylocibe, ce qui nous fait supposer une relation entre les rites liĂ©s au monde des bois et de la nature sauvage personnifiĂ©s par Cernunno et l'utilisation de champignons psychoactifs Ă  des fins rituelles-religieuses , une hypothĂšse formulĂ©e par de nombreux archĂ©ologues et ethnobotanistes concernant Ă©galement certains chaudrons huns et leur utilisation rituelle lors de cĂ©rĂ©monies impliquant l'utilisation de champignons psychoactifs Ă  des fins extatiques et chamaniques .

C'est prĂ©cisĂ©ment ce dĂ©tail qui m'a rappelĂ© une anecdote recueillie lors des travaux de recherche qui se sont dĂ©roulĂ©s juste au nord de la rĂ©gion de Mainarde, dans les Abruzzes, au dĂ©but des annĂ©es 900 : l'histoire d'une femme qui revint de la montagne eut soudain une vision. Il vit un grand chaudron, rempli d'or et couvert de fourrure ; il y est allĂ© avec l'idĂ©e de prendre de l'or, mais il a tout de suite remarquĂ© que du haut d'un rocher un ĂȘtre Ă  cornes (que le protagoniste a associĂ© au diable pour un clair transfert culturelle) l'avait pointĂ©e du doigt et courait vers elle ; il s'enfuit alors pour Ă©viter la rencontre. La prĂ©sence de similitudes archĂ©typales entre l'histoire de cette "vision" et l'univers mythique celtique est Ă©tonnante : (a) vision extatique, (b) chaudron, (c) or, (d) fourrure, (e) Ă©tant cornĂ© et furieux. Une sĂ©rie de connexions et de similitudes qui semblent provenir d'un seul univers mythique.

Dans le monde germanique et nordique, nous retrouvons la raison de mort et résurrection sous l'apparence d'un cerf, qui  :

"[...] c'est un animal de symbologie solaire puisque ses cornes perpĂ©tuellement renouvelĂ©es (emblĂšme d'Ă©ternitĂ©) sont considĂ©rĂ©es comme Ă©quivalentes aux rayons du soleil dotĂ©s de vertus vivifiantes. [...] Le cerf est aussi Ă©troitement liĂ© Ă arbre cosmique Yggdrasyl. Comme lui, en effet, il participe aux trois couches de l'ĂȘtre : les jambes touchent la terre, le corps appartient au monde superficiel, les cornes ramifiĂ©es sont comme les branches qui s'Ă©tirent vers le ciel. D'aprĂšs le rĂ©cit de Snorri quatre cerfs sautent entre les branches d'Yggdrasyl et broutent ses feuilles : ce sont Dainn (Mort), Dvalinn (celui qui s'attarde), Duneyrr (celui qui fait du bruit sur le sol graveleux), Duradror (sanglier endormi) . Sont Ă©galement liĂ©es au cerf la figure et l'histoire de ce Dorir, grand adorateur paĂŻen surnommĂ© le cerf (hjotr). Le roi Olaf Tryggvason l'avait vaincu au combat et il s'Ă©tait enfui. Un des hommes du souverain lui avait lancĂ© une lance et il Ă©tait tombĂ© Ă  terre mourant. Un grand cerf Ă©tait sorti de son corps. "

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L'Homme-Cerf dans le Carnaval de Castelnuovo al Volturno (Source : LaStampa.it).
Os et peaux de cerf

Mais est-il vraiment possible d'entrevoir un trait d'union entre le Cervo di Castelnuovo et le monde celtique ? La conjecture est moins risquĂ©e qu'il n'y paraĂźt Ă  premiĂšre vue et il y en a pour nous donner une trace Inscriptions samnites datant de l'Ă©poque de la premiĂšre guerre samnite (343-341 avant JC) dans lequel il est clairement indiquĂ© que l'armĂ©e samnite qui Ă©tait sur le point d'affronter l'armĂ©e romaine, a Ă©tĂ© bĂ©nie par un collĂšge sacerdotal composĂ© de prĂȘtres indigĂšnes et Druides celtiques. La parentĂ© entre les peuples apennins et ceux de lignĂ©e celtique qui peuplaient les terres un peu plus au nord est donc vĂ©rifiĂ©e par des inscriptions datant d'au moins 300 ans avant notre Ăšre. CElti et Osco-Samnites, peut-ĂȘtre en raison de leurs habitudes nomades et pastorales, se rencontraient dĂ©jĂ  Ă  des Ă©poques bien plus anciennes que De bello gallico.

Et tandis que toutes ces liaisons s'entassent dans la tĂȘte et que les fils se renouent, voilĂ  qu'arrive un homme maigre et Ă©lancĂ© qui se prĂ©sente aussitĂŽt : il s'agit d'Ernest, le prĂ©sident de l'association qui organise la pantomime du Cerf. Nous lui faisons lire des pages des livres que nous emportons avec nous, qui parlent d'hommes qui se transforment en cerfs, d'os et de peaux. Ernest se rend immĂ©diatement disponible pour une visite au siĂšge de l'association oĂč sont conservĂ©s les costumes et quelques souvenirs importants du rite de l'Homme Cerf. Quelques minutes plus tard nous sommes au siĂšge de l'association, nous visitons le premier Ă©tage qui accueille une exposition avec tous les costumes de pantomime : Cervo, Cerva, Martino, Cacciatore et notre Janare aux masques terrifiants, Ernest nous montre fiĂšrement une sĂ©rie de masques accrochĂ© au mur, rĂ©sultat de l'Ă©change et contamination de l'homme cerf de Castelnuovo avec de nombreux rituels similaires rĂ©pandus dans toute l'Europe de la Sardaigne [16] Ă  l'Angleterre.

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Nous descendons ensuite au sous-sol qui est le laboratoire oĂč sont conservĂ©s et assemblĂ©s les costumes du rite Deer Man et, pendant que nous voyons comment ils sont confectionnĂ©s et en essayons certains, Ernest parle comme une riviĂšre dĂ©chaĂźnĂ©e et nous en "donne" un de celles "Anomalies" au sein de la narration que nous avons tant recherchĂ©e pour un dĂ©chiffrement du rite du Cerf. En fait, il nous dit que maintenant le Deer Man porte un costume prĂȘt Ă  l'emploi, un vrai costume avec un casque Ă  cornes, une veste en cuir et un couvre-jambes, mais une fois, et jusqu'Ă  il y a quelques dĂ©cennies, la peau Ă©tait cousue comme un costume autour du corps de la personne se faisant passer pour l'homme cerf, juste avant le rite. Ce type particulier de pratique magico-rituelle nous ramĂšne immĂ©diatement aux contes du chamanisme caucasien et europĂ©en : la couture des peaux sur l'homme suit un schĂ©ma "magique" de transmutation de l'homme en animal, un retour Ă  la fĂ©rinitĂ©, aux sensations et besoins primordiaux, une pratique finalement extatique-chamanique.

Il faut une extase, qu'on peut dĂ©finir "Mystique", pour faire en sorte que l'esprit du cerf (et de la nature sauvage qu'il incarne) entre en contact avec celui de l'homme, qui, en parfaite adĂ©quation avec les attributs chamaniques traditionnels, ne se laisse pas dominer par les esprits, mais les conduit, guide, les fait devenir ses auxiliaires: dans le cas de l'Homme Cerf de Castelnuovo, de sorte que l'esprit de l'animal aide la communautĂ© Ă  sortir de la rigueur de l'hiver et Ă  la conduire vers un printemps et un Ă©tĂ© pleins de rĂ©coltes et de fruits. C'Ă©tait prĂ©cisĂ©ment le maillon qui unissait les autres maillons de la chaĂźne et, on peut dire, fermait la boucle dans le « jeu » des isomorphismes et des sĂ©ries de similitudes. Le rite de l'Homme Cerf de Castelnuovo se situe donc presque certainement dans un contexte archaĂŻque qui a ses racines au moins dans le NĂ©olithique ; un environnement extatique, chamanique, liĂ© Ă  une vision cyclique de la mort et de la rĂ©surrection, Ă  l'Éternel Retour [17], Ă  la transmutation de l'homme en animal (mais aussi de l'animal en homme).

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Martino affronte l'Homme-Cerf, Carnaval de Castelnuovo al Volturno 2008 (source : TurismoinMolise.com).
conclusion

Avant de quitter l'association nous visitons une salle au rez-de-chaussĂ©e dĂ©diĂ©e au peintre Moulin, dont nous avons dĂ©jĂ  parlĂ© ; et ici, parmi les photos de ses oeuvres, on en trouve "recettes" de prĂ©parations Ă  base d'herbes sauvages. On dĂ©couvre ainsi qu'en plus d'ĂȘtre peintre, Moulin en avait prĂ©parĂ© un excellent dans sa maison troglodyte laboratoire Ă  base de plantes et il connaissait les vertus et les propriĂ©tĂ©s de toutes les plantes indigĂšnes. Ils nous disent que beaucoup dans le village ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de ses remĂšdes mĂ©dicaux et ont appris de lui l'utilisation des herbes. Tant de connaissances herboristes nous ont immĂ©diatement ramenĂ©s aux plantes de noix de metella vues quelques heures plus tĂŽt Ă  Scapoli : dans ce lieu magique oĂč survivent les rituels et les mythes anciens et la musique archaĂŻque liĂ©e au monde agricole et pastoral, les connaissances traditionnelles des plantes et de leurs "pouvoirs", notamment grĂące Ă  la figure de Moulin, qui peuplait ces montagnes il y a seulement quelques dĂ©cennies.

Nous retournons sur la place pour saluer toute la compagnie qui nous a accueillis comme si nous Ă©tions chez nous et nous promettons de revenir bientĂŽt avec un peu plus de matĂ©riel pour dĂ©crypter non seulement la figure de Janara mais aussi la figure tout aussi intrigante et magique de l'Homme Cerf . Nous retournons au lac juste Ă  temps pour le coucher du soleil et le spectacle est exceptionnel : les flĂšches escarpĂ©es et rocheuses surplombent les bois et parmi celles-ci, il semble apercevoir leHomme cerfQu'il s'agisse d'un vin rare et exotique ou du mĂȘme vin dans diffĂ©rents millĂ©simes, quel que soit votre choix au Cernunnus, Ou l' Rex NĂ©morensis qui tire les ficelles qui font tourner la roue des saisons, tandis que dansent des janare Ă©thĂ©rĂ©es, presque nymphes du lac et des bois, illuminĂ©es par la pleine lune de la magique Mainarde.


Remarque:

 T.Indelli, Histoire politique de Longobardia Minor - Les principautés lombardes de Bénévent, Salerne et Capoue, Editrice Gaïa.
Voir A. Modena Altieri, Lupercales : les célébrations cathartiques de Februa, sur AXIS mundi.
 Monsieur Eliade, Chamanisme et techniques d'extase, Éditions mĂ©diterranĂ©ennes.
 C. Ginzbourg Night Story - Un déchiffrement du sabbat, Adelphi (Chapitre « Os et peaux »).
 M. Gimbutas, Les déesses et les dieux de l'Europe antique, P 178.
 G. Centro, Capoue épigraphique et plus, Capoue Speciosa, p. 70.
 G. Spertino, Les chaudrons huns : une hypothÚse mycologique, Eleusis N * 3 décembre 1995, p. 20 et suiv.
 Église G.Isnardi, Les mythes nordiques, p. 557 et suiv.
Voir A. Massaiu, Les lointaines origines du carnaval sarde, sur AXIS mundi.

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