L'horreur surnaturelle de Montague Rhodes James

Loin d'ĂȘtre simplement classĂ©es dans le cadre de la «hantologie», les histoires de Montague Rhodes James, bien plus que de simples «histoires de fantĂŽmes», ont anticipĂ© la mythopoeia «cosmic-horror» de HP Lovecraft et Thomas Ligotti, prĂ©sentant l'Horreur en «totalement autres », sans aucun rapport avec l'anthropomorphisme et la dimension physique-corporelle typiquement humaine.


di Marco Maculotti
couverture : Montague Rhodes James

DĂ©jĂ  par le passĂ© sur nos pages, dans la catĂ©gorie "HP Lovecraft et ses environs", nous avons rendu hommage, outre le RĂȘveur Providence, au gĂ©nie de certains de ses collĂšgues (ainsi que plus ou moins de ses contemporains) dont la vision du monde et dont mythopoĂŻĂšse ils les ont rendus Ă  ses yeux non seulement dignes d'ĂȘtre lus, mais aussi d'ĂȘtre Ă©tudiĂ©s en tant que reprĂ©sentants suprĂȘmes de la veine littĂ©raire de l'Horreur Surnaturelle. Dans son essai Horreur surnaturelle dans la littĂ©rature [et. ce. ThĂ©orie de l'horreur, Bietti, Milan 2011], rĂ©digĂ© en 1927, c'est Lovecraft lui-mĂȘme qui esquisse le vade-mecum sur la façon d'Ă©crire efficacement ce type de littĂ©rature, citant, si nĂ©cessaire, l'avis autorisĂ© de quelques gĂ©ants qui l'ont anticipĂ© dans cette sorte de « relais " pour maintenir vivante l'Ă©tincelle de cette "corde d'or" particuliĂšre qui traverse les siĂšcles : tantĂŽt un Edgar Poe, tantĂŽt un Coleridge, tantĂŽt un Stevenson.

Parmi les représentants les plus valables du genre d'horreur surnaturelle au sein de l'écoumÚne britannique de son temps, Lovecraft a reconnu l'importance avant tout de quatre auteurs ; nous en avons déjà parlé sur nos pages, et ce sont Arthur Machen e Algernon Bois Noir. Les deux autres grands maßtres contemporains étaient selon lui à retracer en irlandais Seigneur Dunsany, particuliÚrement important pour le nÎtre en ce qui concerne son cycle d'histoires plus oniriques, et chez un écrivain "diamétralement opposé au génie" du premier, et aussi "doué d'un pouvoir presque diabolique pour évoquer l'horreur avec des touches délicates à partir d'une réalité quotidienne plus prosaïque "[Théorie de l'horreur, p. 421] : le savant Montague Rhodes James, né dans le Kent en 1862 et destiné à décéder en 1936, quelques mois avant Lovecraft dont nous parlerons ici. D'aprÚs Lovecraft [Théorie de l'horreur, p. 427] :

« Le Dr James, malgré son toucher léger, évoque la terreur et la répulsion sous les formes les plus choquantes ; et il restera certainement l'un des rares véritables maßtres et créateurs de ce genre littéraire sombre. "

Historien et bibliographe, recteur d'Eton Collage pendant des décennies, célÚbre antiquaire, spécialiste reconnu de la paléographie et de l'archéologie, autorité reconnue en matiÚre de manuscrits médiévaux et d'histoire des cathédrales, qu'il a su dans ses récits décrire dans les moindres détails avec la compétence du spécialiste (ici, principalement, par qui le jeune HPL a été influencé dans ce type de descriptions, si chÚres à lui aussi : allons-y avec l'esprit, à, par exemple, celui contenu dans L'habitant de l'obscurité): ceci et bien plus encore était Montague Rhodes James, un représentant intellectuel typique de l'Angleterre victorienne. Pourtant, aujourd'hui, malgré toutes ses occupations et ses compétences, prÚs d'un siÚcle aprÚs sa mort, la plupart se souviennent de lui pour avoir écrit histoires de fantÎmes.

Paul Lowe, portrait de Montague Rhodes James


qui des fantĂŽmes?

C'est du moins la formulation habituelle : il semble en effet que dans les cercles littĂ©raux de l'Ă©poque on ne fasse pas trop de distinction entre histoires « classiques » de prĂ©sences fantomatiques et de maisons hantĂ©es, si gonflĂ©es depuis la naissance du roman gothique dans la seconde moitiĂ© du XVIIIe siĂšcle, et un autre type de contes, dont Montague Rhodes James pourrait Ă  juste titre ĂȘtre considĂ©rĂ© comme l'un des plus grands reprĂ©sentants en Europe (en plus, peut-ĂȘtre, d'un autre grand gĂ©nie du XIXe siĂšcle Ă  bien des Ă©gards comparable Ă  James, ou la Baltique ETA Hoffmann). Comme nous essaierons de le dĂ©montrer ici et dans un autre article Ă  paraĂźtre prochainement, les crĂ©ations littĂ©raires d'un James ou d'un Hoffmann se dĂ©tachent significativement de la "fantĂŽme" canonique de l'Ă©cole gothique, Ă  partir de la caractĂ©ristique d'ĂȘtre profondĂ©ment concentrĂ© sur l'Ă©lĂ©ment surnaturel-Ă©sotĂ©rique-magique plutĂŽt que sur celui de nature sentimentale-psychologique.

Ainsi, pour James comme pour Hoffmann (mais aussi plus tard, pour Machen, Lovecraft et Blackwood) les apparitions fantomatiques deviennent un 'espion' pour introduire et mettre en scĂšne des horreurs bien plus vastes et indĂ©finissables, aux caractĂ©ristiques nettement anti-humaines et anti-rationnelles : le monde de la magie (noire) est une sorte de monde Ă  l'envers dans lequel rĂšgne le chaos absolu et oĂč les valeurs du monde des humains ne sont ni reconnues ni en vigueur. Comme Lovecraft l'a notĂ© [ThĂ©orie de l'horreur, p. 422-3] :

En inventant un nouveau genre de fantĂŽme, il s'Ă©carte considĂ©rablement de la tradition gothique conventionnelle ; car, lĂ  oĂč les fantĂŽmes de l'ancien rĂ©pertoire Ă©taient pĂąles et solennels et s'apercevaient surtout par la vue, Le fantĂŽme typique de James est maigre, petit et hirsute : une abomination nocturne infernale et indolente Ă  mi-chemin entre la bĂȘte et l'homme, et est gĂ©nĂ©ralement touchĂ© avant d'ĂȘtre vu.. Parfois, le look est encore plus anormal : un rouleau de flanelle aux yeux d'araignĂ©e, ou une entitĂ© invisible se modelant avec un drap et montrant un visage de lin froissĂ©. "

Paul Lowe 'Le traité Middoth' 2019
Paul Lowe, illustration pour "The Tractate Middoth" par MR James, 2019

À l'instar de Lovecraft, un autre continuateur bien connu de la veine d'horreur surnaturelle, le britannique Ramsey Campbell a soulignĂ© comment de facto dans Montague Rhodes, James l'un des premiers vĂ©ritables initiateurs du courant littĂ©raire aux sources primitives duquel il a lui-mĂȘme bu doit ĂȘtre identifiĂ© [introduction à Contes sinistres, et. Sylvestre Bonnard, CrĂ©mone 2006, p. 11] :

« Sa dĂ©finition d'un fantĂŽme ne se limitait pas aux morts revenant sur terre. Ses histoires sont peuplĂ©es d'araignĂ©es [
], d'insectes immenses, de dĂ©mons Ă  tentacules ou, pire encore, d'ĂȘtres malĂ©fiques nichĂ©s dans des puits ou [
] sous l'oreiller. "

Coeurs dĂ©chirĂ©s ("Lost Hearts", 1895), la nouvelle qui donne le titre Ă  l'anthologie Ă©ditĂ©e par Dino Buzzati pour Bompiani (Milan, 1967), est paradigmatique pour se rendre compte comment, en derniĂšre analyse, la plupart du temps, les apparitions fantomatiques sont dans les histoires de James plus prĂ©paratoires Ă  d'autres Ă©lĂ©ments narratifs plutĂŽt qu'au centre d'elles-mĂȘmes. En l'occurrence, par exemple, c'est plus que tout le portrait du cousin Abney, seigneur d'Aswarby, qui reste dans l'esprit du lecteur, ainsi que sa vaste bibliothĂšque, qui font de lui un personnage typiquement lovecraftien. ante-littĂ©rale: il contenait en fait "Tous les livres disponibles Ă  cette Ă©poque sur les MystĂšres, les poĂšmes orphiques, le culte de Mithra et les NĂ©oplatoniciens", en plus de Corpus hermĂ©tique d'Ermete Trismegisto et d'autres traitĂ©s qui (comme le lecteur doit le comprendre) sont sans doute classĂ©s sous le titre de « magie noire », dont les pratiques sont expĂ©rimentĂ©es par le cousin Abney afin d'obtenir la jeunesse Ă©ternelle.

Les pratiques magiques, en revanche, sont un Ă©lĂ©ment rĂ©current dans les histoires de James, comme nous essaierons de bien le montrer dans la suite de notre article. La consĂ©quence et/ou la fin de ces pratiques interdites est, dans la plupart des cas, l'Ă©vocation d'une entitĂ© de l'Autre Monde, qui la plupart du temps se prĂ©sente comme un dĂ©mon ou un ĂȘtre vampirique qui s'apprĂȘte Ă  aspirer progressivement toute l'Ă©nergie vitale de la personne Ă  qui il a Ă©tĂ© liĂ© par magie, soit pour une malĂ©diction, soit pour un geste tĂ©mĂ©raire du malheureux, jusqu'Ă  la mort inĂ©vitable.

Ne Le registre du chanoine Alberico ("Canon Alberic's Scrap-Book", 1894) quelques illustrations reprĂ©sentant ces crĂ©atures dĂ©moniaques sont dĂ©crites : seulement en partie anthropomorphes, semblables Ă  des squelettes "avec des muscles saillants comme des fils mĂ©talliques" et des ongles saillants, entiĂšrement recouverts d'un "enchevĂȘtrement de cheveux dĂ©goĂ»tant". Une description qui me vient Ă  l'esprit est la Wendigo de la Folklore nord-amĂ©ricain (et de l'histoire homonyme de Algernon Bois Noir, sur laquelle nous reviendrons plus loin dans cet article) que la goule dĂ©crite par Lovecraft Le modĂšle de Pickman. Ces entitĂ©s, par contre (c'est sous-entendu) Ă©taient bien connues dans l'antiquitĂ©, mĂȘme des anciens prophĂštes : "Isaiah Ă©tait un homme trĂšs sensible; - un des personnages de l'histoire en question Ă  la fin du rĂ©cit - ne parle-t-il pas de monstres nocturnes vivant dans les ruines de Babylone ?».

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Odilon Redon Sous l'aile ténébreuse la créature noire a infligé une profonde morsure 1891
Odilon Redon, "Sous l'aile ténébreuse, la créature noire a infligé une profonde morsure", 1891

L'objet-portail vers l'Ailleurs

Ce n'est pas moins dérangeant Siffle, et je cours vers toi, mon garçon (« Oh, Whistle, and I'll Come to You, My Lad », 1904), dont une transposition télévisuelle fut faite en 1968 pour la BBC. Probablement influencé par les premiÚres publications de Arthur Machen (Le grand dieu Pan e Les trois imposteurs), l'histoire est centrée sur la découverte par le protagoniste d'un ancien flacon en métal trouvé dans les ruines d'une église médiévale, caractérisé par la propriété peu propice de rappeler et de faire ce qui est défini comme un "démon terrifiant" avec "un visage absolument horrible, di toile froissée». Comme dans d'autres James Terror Tales (par ex. Le charme des runes e Un avertissement pour les curieux, analysé plus loin ici) ici aussi la présence de l'hÎte indésirable, qui suit le protagoniste dans ses déplacements sans que ce dernier ne s'en aperçoive presque, est plutÎt remarquée par les personnes qui l'entourent.

RĂŽle similaire au sifflet dans "Oh, Whistle", il le reprend dans une autre de ses meilleures Ɠuvres, Une vue de la colline ("A View from a Hill", 1925 ; de cette magnifique histoire en 2005, il a Ă©tĂ© tirĂ© un moyen mĂ©trage) une ancienne jumelle. Si c'est L'homme de sable par ETA Hoffmann le tĂ©lescope que Nataniele achĂšte au vendeur de baromĂštres Giuseppe Coppola - alter ego des MĂ©phistophĂ©lĂšs Assistant de sable - contribuera de maniĂšre dĂ©cisive Ă  le prĂ©cipiter vers l'abĂźme de la folie, un peu comme le destin de M. Fanshawe puisqu'il commence Ă  regarder le monde au moyen de jumelles construites par le dĂ©funt M. Baxter, un personnage bizarre qui au cours de sa vie naturelle s'est intĂ©ressĂ© de cultes anciens et pratiques interdites. OĂč dans le Sandmann les suggestions Ă©sotĂ©riques, pourtant pertinentes, restaient cachĂ©es derriĂšre la structure narrative d'un moule psychologique, nous voici plutĂŽt dans le domaine des pratiques de sorcellerie et de magie noire au sens le plus clair du terme (thĂšmes qu'Hoffmann lui-mĂȘme n'a pas manquĂ© d'aborder dans autres histoires), comme on peut le voir dans la finale glaçante. Dans les deux histoires, l'instrument ophtalmologique ouvre de nouveaux aperçus sur l'organe de vue, dans un sens littĂ©ral et en mĂȘme temps Ă©sotĂ©rique (le vision): Fanshawe avec son aide va commencer Ă  voir une mystĂ©rieuse abbaye qui ne devrait pas exister, ainsi qu'une potence au sommet d'une colline, invisible Ă  l'Ɠil nu.

Ne La mezzotinte ("La Mezzotinte", 1904) est une Ɠuvre d'art figurative, une eau-forte ou mezzotinte prĂ©cisĂ©ment, pour agir comme un portail pour le 'Absolu ailleurs. L'esquisse suscite la perplexitĂ© des observateurs car la scĂšne dĂ©peinte par l'artiste semble changer progressivement, comme s'il s'agissait d'une sorte de court mĂ©trage composĂ© de plusieurs diapositives, qui rĂ©vĂšle aux yeux horrifiĂ©s du spectateur ce qui semble ĂȘtre l'enlĂšvement d'un enfant terrifiĂ© par une entitĂ© fantomatique ressemblant Ă  un squelette, avec des jambes « effroyablement minces ». Ici, comme dans d'autres histoires de James (et dans les dĂ©cennies qui suivirent de Lovecraft), les secrets les plus sinistres sont souvent en rapport avec les Ă©vĂ©nements de certaines familles aristocratiques qui avaient auparavant vĂ©cu dans les lieux oĂč se trouve le protagoniste.

Mort d'Odilon Redon - C'est moi qui te rends sérieux Let Us Embrace 1896
Odilon Redon "La mort - C'est moi qui te rends sérieux, embrassons-nous", 1896

Suggestions lovecraftiennes

C'est Ă©galement un Ă©lĂ©ment artistique et figuratif, notamment une fenĂȘtre d'abbaye, qui ouvre "d'autres" scĂ©narios dans un autre des rĂ©cits de terreur les plus significatifs de James, Le trĂ©sor de l'abbĂ© Thomas ("Le trĂ©sor de l'abbĂ© Thomas", 1904), centrĂ© sur un code Ă©nigmatique Ă  rĂ©soudre selon l'exemple de Le scarabĂ©e d'or par PoĂ©. Pour atteindre le "trĂ©sor" mentionnĂ© dans le titre, les protagonistes devront en fabriquer un vrai descente aux enfers accĂ©der Ă  un puits de marbre italien prĂ©cieux, agrĂ©mentĂ© de reliefs reprĂ©sentant certaines des figures les plus cĂ©lĂšbres de l'Ancien Testament (Elie, Jacob, etc.), dĂ©montrant le fait que dans les contes plus Ă©sotĂ©riques de Jacques souvent le judĂ©o-christianisme et le "paganisme" (et/ou la "magie noire") sont Ă©troitement liĂ©s. Le dĂ©mon "gardien" (c'est-Ă -dire gardĂ© par l'abbĂ© Thomas) sur lequel les aventuriers finissent par tomber a peut-ĂȘtre influencĂ© dans une certaine mesure l'anatomie des anciens Lovecraftiens, au point que l'un d'eux dĂ©crit avec dĂ©goĂ»t "l'impression que plusieurs bras ou jambes o tentacules [italiques ns.] ou qui sait quoi d'autre, [le] s'Ă©tait accrochĂ© au corps" (la mĂȘme description exacte sera Ă©galement rĂ©pĂ©tĂ©e dans "La rĂ©sidence Ă  Whitminster", voir ci-dessous), et qu'un autre dĂ©crit la tĂȘte sculptĂ©e sur le bien, portrait du Gardien, comme "quelque chose qui ressemble beaucoup Ă  un crapaud", anticipant ainsi les hybrides humains-batraciens de Dagon e Le masque d'Innsmouth.

A la fois "Le trésor de l'abbé Thomas" et le suivant Un épisode de l'histoire d'une cathédrale ("Un épisode de l'histoire de la cathédrale", 1914) ont également inspiré l'un des films d'horreur les plus valables du panorama italien de la fin des années quatre-vingt : La chiesa de MichÚle Soavi. Dans l'histoire qui se déroule dans une cathédrale précédemment construite sur un marécage, c'est l'enlÚvement de la chaire qui provoque une avalanche d'horribles cauchemars et de morts inattendues sur la communauté ; pour accompagner cette atmosphÚre d'agitation de plus en plus oppressante s'ajoute un cri effrayant qui résonne dans les profondeurs de la nuit - remplaçant ici le rire plus classique et sinistre de l'espace, qui si souvent, dans les histoires de James, se moque des victimes visées.

Mort d'Odilon Redon - Mon fer surpasse tous les autres 1889
Odilon Redon, "La mort - Mon fer surpasse tous les autres", 1889

Comme le lecteur l'aura dĂ©jĂ  devinĂ©, il n'y a pas que les sorciĂšres et les "paĂŻens" qui cachent d'abominables secrets dans les histoires de James : souvent, comme dans les Le registre du chanoine Alberico e Le trĂ©sor de l'abbĂ© Thomas, Je suis trĂšs les prĂ©lats apparaĂźtre comme personnages sinistres possĂ©dant des connaissances indescriptibles destinĂ©s Ă  semer l'horreur dans la vie de ceux qui osent les exhumer de leurs tombes ou des hĂ©ritages qu'ils ont lĂ©guĂ©s Ă  la suite. C'est aussi le cas pour de Les stalles de la cathĂ©drale de Barchester ("Les stalles de la cathĂ©drale de Barchester", 1910), oĂč l'archidiacre Haynes a un "destin trĂšs Ă©trange". De toutes les histoires de James, c'est probablement celle qui a le plus inspirĂ© Lovecraft, Ă  commencer par l'Ă©numĂ©ration des Ă©vĂ©nements sous forme de journal intime, notamment dans des histoires comme L'Horreur de Dunwich e Journal d'Alonzo Typer. Pour servir de passerelle vers le terrifiant « autre » monde qui se cache derriĂšre le monde ordinaire, trois petites statues sculptĂ©es de maniĂšre grotesque, dont l'une reprĂ©sente un personnage assis sur un trĂŽne, manifestement en possession des signes extĂ©rieurs de la royautĂ©, mais qui prĂ©sente en mĂȘme temps des caractĂ©ristiques « dĂ©moniaques » : les pieds sont "soigneusement cachĂ©s par un long manteau" et "ni la couronne ni la cagoule qu'il porte ne suffisent Ă  dissimuler les oreilles pointues et les cornes recourbĂ©es qui trahissent son origine tartare" (c'est-Ă -dire dĂ©duire); sa main est d'ailleurs « armĂ©e de griffes effroyablement longues et acĂ©rĂ©es ».

Dans ce cas Ă©galement, nous remarquons un mĂ©lange d'Ă©lĂ©ments provenant de l'Ă©coumĂšne culturel judĂ©o-chrĂ©tien avec d'autres plus typiquement "paĂŻens": les statuettes prĂ©citĂ©es ont Ă©tĂ© gravĂ©es dans le bois de la forĂȘt de chĂȘnes sacrĂ©s adjacente au village : une en particulier de ces arbres, qui s'Ă©lĂšve au centre du bosquet, elle est connue sous le nom de "Quercia della Forca" en raison de la grande quantitĂ© d'ossements humains trouvĂ©s parmi ses racines. Il est aussi mentionnĂ© la coutume, typique du folklore britannique, de suspendre Ă  ses branches "de petites images ou des marionnettes grossiĂšres de paille [ou] d'osier" pour assurer le succĂšs dans les affaires de cƓur ou d'un autre genre : encore aujourd'hui cette habitude persiste dans une grande partie de l'Irlande et les arbres en question sont ainsi dĂ©corĂ©s (gĂ©nĂ©ralement des aubĂ©pines, deux des plus cĂ©lĂšbres situĂ©es prĂšs de la colline sacrĂ©e de Tara et Ă  proximitĂ© du mĂ©galithique nĂ©olithique site de Creevykeel) sont gĂ©nĂ©ralement appelĂ©s "Arbres fĂ©eriques" (arbre fĂ©erique).

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L'auteur à l'arbre féerique adjacent au site néolithique de Creevykeel, comté de Sligo en Irlande

Un autre conte cĂ©lĂšbre de Lovecraft, Les souris dans le mur, a peut-ĂȘtre aiguisĂ© l'imagination de James en Ă©crivant le quasi-homonyme Topi ("The Rats", 1929), qui Ă  son tour anticipait certaines suggestions mises en scĂšne par l'Ă©crivain Providence dans la suite Le masque d'Innsmouth: pensez Ă  la "malĂ©diction marine", Ă  l'hĂŽtel oĂč le protagoniste se retrouve bloquĂ© malgrĂ© lui, Ă  la chambre mystĂ©rieusement scellĂ©e qui semble pourtant ĂȘtre habitĂ©e par un sinistre locataire.

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Comme dans Des rats dans le mur, d'autre part, les souris ne sont pas du tout responsables de l'horreur rĂ©elle : si dans le conte lovecraftien ils figuraient comme des espions d'une horreur immensĂ©ment plus terrifiante, dans le conte de James ils ne jouent mĂȘme aucun rĂŽle, insĂ©rĂ© uniquement dans le titre pour faire allusion Ă  la nature des bruits sinistres entendus par le protagoniste ; mais que ce ne sont pas les souris qui sont responsables est tout de suite mis noir sur blanc, Ă  tel point qu'au dĂ©but du rĂ©cit on lit : «Mais Ă©tait-ce vraiment pour les souris ? je demande pourquoi sinon [c'est-Ă -dire dans l'histoire que le narrateur s'apprĂȘte Ă  raconter, ndlr] ce n'Ă©tait pas pour ça». Le descriptif de la rĂ©el source du bruit, Ă  la fin du rĂ©cit, constitue l'un des temps forts de la fiction noire jamĂ©sienne :

« Et ainsi, aussi silencieusement que possible, il se glissa jusqu'Ă  la porte et l'ouvrit. L'effondrement des illusions ! Il Ă©clate Ă  peine de rire. AccoudĂ©, on pourrait presque dire assis, au bord du lit, il n'y avait rien d'autre au monde que... un Ă©pouvantail ! Un Ă©pouvantail des champs, bien sĂ»r, chassait dans une piĂšce dĂ©serte
 oui, mais Ă  ce stade, la fĂȘte Ă©tait terminĂ©e. Les Ă©pouvantails ont-ils les pieds nus et osseux ? Est-ce que leur tĂȘte se balance sur leurs Ă©paules ? Ont-ils des colliers de fer et des anneaux de chaĂźnes autour du cou ? Peuvent-ils se lever et bouger, et mĂȘme pas aussi rigidement, en agitant la tĂȘte et les bras ? Et le frisson ?

Le MĂ©phistophĂ©lienne M. Karswell de est aussi purement lovecraftien Le charme des runes ("Casting the Runes", 1911), segment narratif Ă  partir duquel l'un des films les plus horrifiques a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© culte des annĂ©es XNUMX : Nuit du dĂ©mon par Jacques Tourneur (1957). A mi-chemin entre le Assistant de sable de la cĂ©lĂšbre histoire d'ETA Hoffmann et il Nyarlathotep nĂ© de la plume (et mĂȘme avant des expĂ©riences oniriques) de Lovecraft, on raconte Ă  Karswell comment il a fait mourir de peur un groupe d'enfants de la paroisse locale Ă  l'aide d'une sorte de "lanterne magique", avec laquelle il projetait des images aussi rĂ©alistes que terrifiants de petits garçons malheureux chassĂ©s et dĂ©chirĂ©s par des crĂ©atures dĂ©moniaques, ainsi que de "serpents, mille-pattes et crĂ©atures ailĂ©es dĂ©goĂ»tantes" grouillant d'une maniĂšre si vĂ©ridique qu'ils semblent littĂ©ralement sortir de l'Ă©cran et envahir la piĂšce. De mĂȘme pour le scĂ©lĂ©rat le plus emblĂ©matique nĂ© de l'imagination de Lovecraft, Karswell aurait Ă©galement fondĂ© sa propre religion, dont les "rites Ă©pouvantables" Ă©taient exĂ©cutĂ©s par l'individu abject avec l'aide de serviteurs., Ă©galement appelĂ©s "gens horribles".

La bibliothĂšque publique est l'un des endroits prĂ©fĂ©rĂ©s de James pour amener les malheureux protagonistes de ses histoires dans l'horreur la plus inattendue : Ă  cet Ă©gard, en plus de l'histoire qui vient d'ĂȘtre analysĂ©e, elle est aussi paradigmatique Le traitĂ© de Middoth ("Le traitĂ© Middoth", 1911), Ă©pisode kalĂ©idoscopique Ă  mi-chemin entre Borges et Meyrink. MĂȘme ces deux derniers contes citĂ©s ne peuvent ĂȘtre dĂ©finis comme « histoires de fantĂŽmes » que dans un sens trĂšs large : comme le lecteur l'aura compris, nous sommes encore dans le plein champ de la magie noire et de l'occultisme plutĂŽt que dans lehantologie stricto sensu.

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Odilon Redon, "L'araignée qui pleure", 1881

Folklore et horreur

Ne Il cendre ("The Ash Tree", 1904), rĂ©cit inspirĂ© en partie des superstitions folkloriques irlandaises, c'est l'esprit non rĂ©solu d'une sorciĂšre - cette Mme Mothersole, Ă©liminĂ©e suite Ă  la condamnation Ă  mort - pour semer la terreur et la mort parmi les habitants actuels de le manoir, qui subissent malgrĂ© eux une dĂ©vitalisation progressive rappelant celle des malheureuses victimes des rĂ©cits lovecraftiens Ă©crits dans les dĂ©cennies suivantes comme La maison Ă©vadĂ©e e La couleur venue de l'espace. Le frĂȘne est l'une des nombreuses histoires d'horreur de James dans lesquelles les entitĂ©s dĂ©moniaques, familiĂšres dans ce cas de la sorciĂšre ressuscitĂ©e, sont dĂ©crites avec des caractĂ©ristiques similaires Ă  celles des arachnides ("Il a vu les restes d'une Ă©norme araignĂ©e, bosselĂ©e et carbonisĂ©e").

Inspiré également des pratiques de sorcellerie et des croyances du folklore irlandais (notamment la "DeuxiÚme vue", c'est-à-dire la prévoyance et la capacité de vision à distance des voyants et des sorciers, dont le révérend Robert Kirk a également traité dans son traité d'époque Le Commonwealth secret, écrit à la fin du XVIIe siÚcle) est le conte La résidence de Whitminster ("La résidence à Whitminster", 1931), dont certains passages ne peuvent manquer de rappeler au lecteur les atmosphÚres typiques des récits les plus paradigmatiques de Arthur Machen ("Les Blancs"). Prenons cet extrait comme exemple :

"Je t'assure, Emily, au nom de ce qui nous est le plus cher à tous les deux, que les expériences que j'ai vécues cet aprÚs-midi dépassent les limites de ce que j'ai jusqu'à présent jugé crédible. [...] une vision, étrange à mes yeux, d'une colline d'herbe sauvage avec des ruines de pierre grise au centre et un mur de pierre brute tout autour. Et il y avait là une femme, vieille et trÚs laide, avec un manteau rouge et une robe en lambeaux, parlant à un garçon habillé à la mode d'il y a environ cent ans. Elle a mis quelque chose de brillant dans sa main et il a mis quelque chose sur elle [...] Puis la scÚne a disparu [...] »

Odilon Redon. La ChimÚre considérait toutes choses avec terreur 1886
Odilon Redon, « La ChimÚre considérait toutes choses avec terreur », 1886

Typiquement machenien est aussi La roseraie (« La roseraie », 1911), oĂč se confondent les visions oniriques et celles aux yeux ouverts de deux paires de personnages en miroir, visions identiques entre elles malgrĂ© les distances chronologiques et spatiales. L'agitation qui opprime ici les personnages - consĂ©quence, comme cela arrive souvent dans les rĂ©cits de James, d'Ă©vĂ©nements terribles survenus dans le passĂ© Ă  l'endroit oĂč ils se trouvent - semble ici aller de pair avec les effets dĂ©vastateurs du soi- appelĂ© paralysie hypnagogique: une angoisse incontrĂŽlĂ©e, un sentiment indĂ©fini d'oppression, le temps suspendu et dilatĂ© indĂ©finiment, le sentiment que quelque chose d'horrible va arriver et que rien ne peut ĂȘtre fait pour l'Ă©viter.

La rĂ©fĂ©rence aux chouettes comme souvenir fictif pour recouvrir le vrai, beaucoup plus glaçant, anticipe Ă©tonnamment les cas mĂ©dicaux des soi-disant enlĂšvement extraterrestre. A cet Ă©gard, on peut mentionner Communion de Whitley Strieber, un rĂ©cit de rencontres rapprochĂ©es de type III et IV que l'auteur affirme lui avoir rĂ©ellement vĂ©cues, Ă©crit Ă  la fin des annĂ©es XNUMX : ici il est curieux de constater comment le narrateur, avant de reprendre possession de ses souvenirs grĂące Ă  l'hypnose rĂ©gressive, il "cachait" le souvenir de enlĂšvement subi aprĂšs de prĂ©tendues rencontres nocturnes avec des chouettes ou des chouettes. En plus de cela, il n'est pas hors de propos de rapporter une citation trĂšs cĂ©lĂšbre de la sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e Twin Peaks: «Les hiboux ne sont pas ce qu'ils semblent ĂȘtre»!

Odilon Redon. Le commandement sinistre du spectre est accompli. Le rĂȘve est rĂ©alisĂ© par la mort 1887
Odilon Redon, « Le commandement sinistre du spectre est accompli. Le rĂȘve est rĂ©alisĂ© par la mort », 1887

Mais probablement l'histoire de Montague Rhodes James qui fait le plus de clins d'Ɠil aux atmosphĂšres folk-horror chĂšres Ă  Machen est Ă  identifier dans M. Humphreys et son hĂ©ritage ("M. Humphreys et son hĂ©ritage", 1911), histoire se dĂ©roulant dans une villa que le protagoniste reçoit soudainement en hĂ©ritage d'un oncle qu'il n'a jamais rencontrĂ©, et surtout dans le labyrinthe de blaireaux, de forme circulaire, construit dans le parc qui lui est adjacent. A l'intĂ©rieur dudit labyrinthe, lorsque l'obscuritĂ© tombe, M. Humphreys vit des situations d'angoisse qui rappellent Ă©troitement les rĂ©cits de son collĂšgue gallois ("Un fragment de vie"), ainsi que les traditions populaires de tout l'archipel britannique :

"Lorsque l'obscuritĂ© s'est approfondie, il lui a semblĂ© qu'il y avait plus d'un espionnant sur lui, et cela aurait mĂȘme pu ĂȘtre toute une bande; ainsi il a jugĂ© par le bruissement qu'ils ont fait dans les buissons. Et puis, de temps en temps, des chuchotements se faisaient entendre, comme s'ils parlaient entre eux. Mais qui ils Ă©taient ou quelle forme ils prenaient, il ne voulait pas le dire. "

Plus efficace encore est la description de l'objet mystérieux qui se dresse au bout d'une colonne parfaitement lisse et solitaire dans sancta sanctorum du labyrinthe, c'est-à-dire en son centre : un globe de cuivre finement incrusté, probablement l'artefact "magique" le plus sensationnel de toute la production littéraire de notre, dont les motifs ornementaux sont ainsi décrits par le narrateur (notez, entre autres, la description du pÎle Sud comme une vallée « surnaturelle » et « infernale » qui s'ouvre dans une chaßne de montagnes ; description qui anticipe étonnamment l'Antarctique de Lovecraft dans le roman Aux montagnes de la folie, dans lequel il est sous-entendu qu'il équivaut à une sorte de « double terrestre » du fameux plateau de Lang) :

"Une figure lui semblait familiĂšre, Draco, un serpent ailĂ© qui entourait la sphĂšre au point qui, sur le globe terrestre, correspond Ă  l'Ă©quateur : d'autre part, cependant, une grande partie de l'hĂ©misphĂšre nord Ă©tait couverte par les ailes dĂ©ployĂ©es d'un grand personnage dont la tĂȘte Ă©tait cachĂ©e par un anneau qui dominait l'ensemble. Les mots pouvaient ĂȘtre lus autour de sa tĂȘte Princeps Tenebrarum. Dans l'hĂ©misphĂšre sud, en revanche, il y avait une zone ombrĂ©e par des lignes verticales, marquĂ©e comme ombre morte. PrĂšs de celle-ci se trouvait une chaĂźne de montagnes, et entre les montagnes s'ouvrait une vallĂ©e d'oĂč s'Ă©levaient des flammes. La vallĂ©e a Ă©tĂ© dĂ©finie comme [...] Vallis filiorum Hinnom. Autour de Draco il y avait diverses figures pas diffĂ©rentes des constellations cĂ©lestes, mais pas les mĂȘmes. Par exemple, un homme nu avec une massue levĂ©e n'Ă©tait pas dĂ©crit comme Hercule, mais comme CaĂŻn. Un autre, coincĂ© au centre de la terre jusqu'au torse et les bras tendus de dĂ©sespoir, n'Ă©tait pas Ophiuchus, mais Kore, et un troisiĂšme, pendu par les cheveux Ă  un arbre tordu, Ă©tait Absalom. PrĂšs de ce dernier se trouvait un homme qui portait une longue tunique et un chapeau haut de forme, et se tenait debout au centre d'un cercle, d'oĂč il appela deux dĂ©mons qui tournaient autour de lui, et qui s'appelait Hostanes Mage [
]. La scĂšne dans son ensemble devait reprĂ©senter le rassemblement des Patriarches du Mal, et a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© inspirĂ© par Dante. "

Odilon Redon. PĂšlerin du monde sublunaire 1891
Odilon Redon, « PÚlerin du monde sublunaire » 1891

Le folklore britannique rĂšgne en maĂźtre dans Un avertissement pour les curieux ("Un avertissement aux curieux", 1925), dans lequel les malheurs du protagoniste commencent par l'exhumation imprudente dans la ville cĂŽtiĂšre de Seaburgh, par le protagoniste, d'une vĂ©ritable relique sacrĂ©e : une couronne qui, selon la tradition, aurait le pouvoir de dĂ©fendre les cĂŽtes d'Albion des invasions extĂ©rieures. La lĂ©gende raconte qu'il y avait initialement trois couronnes Ă©parpillĂ©es sur la cĂŽte anglaise Ă  cet effet (d'oĂč les trois couronnes visibles dans les armoiries d'East Anglia) : mais au fil des siĂšcles les deux premiĂšres ont Ă©tĂ© irrĂ©mĂ©diablement perdues et seule celle de Seaburgh est restĂ©e. Comme "La rĂ©sidence de Whitminster", "Un avertissement aux curieux" est aussi agrĂ©mentĂ© de suggestions dĂ©licieusement macheniennes : dĂšs le moment du geste insensĂ©, M. Paxton - c'est le nom du protagoniste - est inĂ©vitablement suivi de prĂ©sences obscures, dont le travail rappelle celui de Les justes dans les contes gallois : il ne peut sentir la prĂ©sence haineuse que du coin de l'Ɠil tandis que, comme cela arrive souvent dans les histoires d'horreur de James, d'autres la voient clairement, comme une sorte de parasite astral qui suit partout sa victime.

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Le parallĂ©lisme qui existe entre les Ă©pisodes concluants de cette histoire et certains passages du dĂ©jĂ  mentionnĂ© est Ă©galement Ă©tonnant Wendigo par Blackwood, Ă©crit 15 ans plus tĂŽt. Dans ce dernier le narrateur dĂ©crit les empreintes du malheureux DĂ©fago, kidnappĂ© par le Wendigo (entitĂ© dĂ©moniaque du Folklore algonquin), accompagnĂ©es d'autres empreintes mystĂ©rieuses, « marques sinistres... laissĂ©es dans la neige par la crĂ©ature inconnue qui avait leurrĂ© un ĂȘtre humain pour l'amener Ă  la ruine»; « Et la vue de ces pistes Ă©tranges qui couraient cĂŽte Ă  cĂŽte, tĂ©moignage silencieux d'un voyage oĂč la terreur ou la folie avaient conduit Ă  des rĂ©sultats impossibles, Ă©tait profondĂ©ment troublante. Il en Ă©tait troublĂ© jusque dans les abĂźmes secrets de l'Ăąme ». Et ici, comme dĂ©monstration de notre hypothĂšse, un passage presque en miroir de Un avertissement pour les curieux de Jacques :

« Et il y avait des traces dans le sable : de quelqu'un portant des chaussures et marchant Ă  la hĂąte ; et d'autres devant celles-ci, parce que de temps en temps les chaussures foulent les empreintes qui les ont prĂ©cĂ©dĂ©es, des empreintes de pieds nus. [
] La seule chose que nous pouvions faire Ă©tait de remarquer ces empreintes alors que nous continuions Ă  courir. Mais ils se rĂ©pĂ©taient de plus en plus frĂ©quemment et nous n'avions plus aucun doute que ce que nous voyions, lĂ , devant nos yeux, c'Ă©taient des empreintes de pieds nus, des pieds qui montraient plus d'os que de chair. L'idĂ©e de Paxton poursuivant
 poursuivant quelque chose comme ça, convaincu qu'ils Ă©taient les amis qu'il attendait, Ă©tait tout simplement glaçante. »

Odilon-Redon-Un-Ă©trange-Jongleur
Odilon Redon, "Un Ă©trange jongleur", 1885

qui "Histoires de fantĂŽmes"?

Comme une "histoire de fantĂŽme" Stricto sensu pourrait peut-ĂȘtre ĂȘtre encadrĂ©, du moins en premier lieu, Chambre numĂ©ro 13 (« Chambre 13 », 1899), une histoire se dĂ©roulant dans un hĂŽtel oĂč un Ă©pisode mystĂ©rieux qui s'est produit dans le passĂ© semble se jouer la nuit. Pourtant, mĂȘme dans ce cas, en plus des cris d'animaux, des chants fantomatiques et des rires sinistres, James n'abandonne pas un vague description de l'entitĂ© surnaturelle qui la rapproche des dĂ©mons prĂ©sents dans d'autres contes plutĂŽt que de l'Ăąme ressuscitĂ©e d'un dĂ©funt ("Peau nue... recouverte de longs cheveux gris"). Enfin, le lecteur apprend qu'ici mĂȘme il s'agit de magie noire, et notamment d'un pacte que le dĂ©funt de la chambre numĂ©ro 13 avait conclu avec le Malin. Comme dans les contes de fantĂŽmes et fĂ©es, le chant du coq et le lever du soleil mettent fin aux sinistres apparitions.

"Des fantĂŽmes" peut peut-ĂȘtre ĂȘtre dĂ©fini sans hĂ©sitation L'enclos de Martin ("Martin's close", 1911), histoire de procĂšs centrĂ©e sur le meurtre de la jeune Ann Clark, qui se souvient de prĂšs les histoires « hantĂ©es » du contemporain amĂ©ricain Ambrose Bierce, dont, cependant, il ne peut atteindre le pathos. Il est Ă©vident que la dĂ©finition de James de "l'auteur d'histoires fantĂŽmes" est vraiment Ă©troite, et comme dĂ©monstration supplĂ©mentaire, on ne peut s'empĂȘcher de souligner comment ses efforts narratifs qui n'impliquent pas d'"autres" horreurs et plus difficiles Ă  dĂ©finir et Ă  classer (comme la plupart de ceux mentionnĂ©s ici) sont placĂ©s Ă  un niveau nettement infĂ©rieur.

Mais alors, Ă  la fin, quali « Histoires de fantĂŽmes » nĂ©es de la plume brillante de Montague Rhodes James, que nous avons finalement vu ĂȘtre l'un des grands initiateurs de la littĂ©rature d'horreur surnaturelle au tournant des XIXe et XXe siĂšcles, peuvent-ils rĂ©ellement ĂȘtre dĂ©finis de cette maniĂšre ? TrĂšs peu, avec le recul, puisque les apparitions fantomatiques sur lesquelles d'autres Ă©crivains plus typiquement gothiques (pensez, par exemple, l'homonyme Henry James) centrent leurs intrigues s'avĂšrent ĂȘtre pour Montague un "espion" d'une horreur bien pire, qu'il se niche derriĂšre le scĂšnes non seulement du rationnel et de l'humain, mais mĂȘme du rĂ©el.

Anticipant les diktats de la horreur cosmique rendue cĂ©lĂšbre d'abord par Lovecraft puis, ces derniĂšres dĂ©cennies, par Thomas Ligotti, Montague Rhodes James a esquissĂ© l'Horreur (il vrai horreur, avec un A majuscule) en termes "totalement autres", sans rapport avec l'anthropomorphisme et la dimension physique-corporelle typiquement humaine, d'une maniĂšre qui reflĂšte la crĂ©ation par le RĂȘveur Providence d'un monde trĂšs nourri et varié panthĂ©on, ainsi que dans la lignĂ©e de l'idĂ©e machĂ©nienne de "RĂ©gression protoplasmique" typique de Les justes et de ceux qui ont eu le malheur de voir le visage du Grand Dieu Pan.

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Montague Rhodes James (1862 - 1936)

Éditions consultĂ©es :

  • Montague Rhodes James, Coeurs dĂ©chirĂ©s, organisĂ©e par Dino Buzzati, Bompiani, Milan 1967
  • Montague Rhodes James, FantĂŽmes et autres horreurs, Ă©ditĂ© par Gianni Pilo et Sebastiano Fusco, Newton, Rome 1995
  • AAVV, Contes sinistres dans la tradition de MR James, Ă©ditĂ© par Ramsey Campbell, Sylvestre Bonnard, Milan 2006

10 commentaires sur "L'horreur surnaturelle de Montague Rhodes James »

  1. Vous avez mentionné les moyens métrages de la BBC de la série A Ghost Story for Christmas, eh bien je vous recommande fortement de tous les trouver car ils sont trÚs beaux et différents, ils sont tirés des histoires de MR James

  2. Pingback: La nuit du diable

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